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Décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006 - Observations du gouvernement

Loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes
Non conformité partielle

Paris, le 3 mars 2006
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT SUR LE RECOURS DIRIGE CONTRE LA LOI RELATIVE A L'EGALITE SALARIALE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre les articles 14 et 30 de la loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, adoptée le 23 février 2006.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I/ Sur l'article 14
A/ L'article 14 de la loi déférée, complétant l'article L 124-2-1-1 du code du travail, a pour objet de permettre le recours à des salariés d'une entreprise de travail temporaire lorsque la mission de travail temporaire vise à assurer un complément d'activité à des personnes titulaires d'un contrat de travail conclu avec une entreprise autre que l'entreprise utilisatrice.
Les députés saisissants font valoir que cet article résulte d'un amendement du Gouvernement présenté en deuxième lecture au Sénat et ils soutiennent qu'il a été adopté dans des conditions contraires aux articles 39, 44 et 45 de la Constitution.
B/ Cette critique appelle les observations suivantes.
Le Gouvernement ne peut que donner acte aux auteurs de la saisine de ce que le Conseil constitutionnel a récemment infléchi sa jurisprudence sur l'exercice du droit d'amendement, pour décider désormais que les seules adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées par voie d'amendement après la première lecture doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion, sous réserve des amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle (décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006).
Par cette décision, le Conseil constitutionnel a modifié l'interprétation qu'il donnait jusque là des dispositions de la Constitution relatives à l'exercice du droit d'amendement, notamment celles de son article 45. La jurisprudence antérieure admettait que des articles additionnels puissent être adoptés par voie d'amendement en deuxième lecture, dès lors qu'ils n'étaient pas dépourvus de tout lien avec le texte en discussion. La nouvelle jurisprudence se montre plus stricte, déduisant des termes de l'article 45 l'exigence que les amendements adoptés en deuxième lecture soient en relation directe avec les dispositions restant en discussion.
A cet égard, il est exact que les dispositions de l'article 14 de la loi déférée sont issues d'un amendement n°44 présenté par le Gouvernement au cours de l'examen par le Sénat, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Cet amendement insérant un article additionnel a été adopté par le Sénat au cours de sa séance du 19 janvier 2006. Si le Gouvernement estime que cet article additionnel n'était pas sans lien avec le texte dans lequel il s'est inséré, il ne peut que reconnaître qu'il n'était pas en relation directe avec une disposition restant en discussion à ce stade du débat parlementaire. Il n'avait, par ailleurs, pas pour objet de corriger une erreur matérielle, d'opérer une coordination ou d'assurer le respect de la Constitution.
Le Gouvernement entend toutefois souligner que le Conseil constitutionnel a décidé de modifier sa jurisprudence le jour même où le Sénat adoptait, en deuxième lecture, l'amendement qui est finalement devenu l'article 14 de la loi déférée. La nouvelle interprétation de la Constitution n'était pas connue à la date à laquelle l'amendement a été discuté et adopté et ne pouvait, en conséquence, pas être prise en compte par le Sénat. A la date à laquelle il s'est prononcé, le Sénat a adopté un amendement dans des conditions que l'interprétation de la Constitution qui avait alors cours ne conduisait pas à juger irrégulières.
On peut, dans ces conditions, s'interroger sur le point de savoir s'il est possible que la nouvelle interprétation jurisprudentielle soit opposée à l'article 14 de la loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. Sans doute la loi a-t-elle été adoptée définitivement quelques semaines après le changement de jurisprudence, mais l'événement qui constitue l'irrégularité définie par la nouvelle jurisprudence est intervenu avant que la nouvelle affirmation jurisprudentielle ne soit connue.
Dans plusieurs circonstances, il est déjà arrivé au Conseil constitutionnel de différer les effets de certaines de ses prises de position. Par la décision n°97-395 DC du 30 décembre 1997, le Conseil a estimé que l'atteinte portée à la sincérité de la loi de finances pour 1998 par le rattachement de certains crédits à des fonds de concours ne conduisait pas, en l'espèce, à déclarer la loi de finances contraire à la Constitution ; les motifs de sa décision avertissent toutefois qu'il en irait différemment l'année suivante, si le même reproche pouvait être adressé à la loi de finances pour 1999. Par sa décision n°2005-528 DC du 15 décembre 2005, le Conseil a estimé, de même, que la méconnaissance de l'article 17 de la loi organique relative aux lois de finances par les articles 5 et 64 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ne conduisait pas, en l'état, à les déclarer contraires à la Constitution. Une solution analogue a encore été retenue par la décision n°2005-530 DC du 29 décembre 2005 à propos des comptes spéciaux et des budgets annexes ne comportant qu'un seul programme.
Ces différentes décisions illustrent le souci du Conseil constitutionnel d'éviter que ses prises de position jurisprudentielles nouvelles ne déstabilisent l'action publique. La méthode mise en oeuvre par la décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006 pour changer la jurisprudence sur le droit d'amendement témoigne également de la prise en compte de ces considérations : le Conseil a, en effet, pris soin d'énoncer sa nouvelle interprétation de l'article 45 de la Constitution dans un cas où aucune censure n'était encourue de ce fait. Le commentaire de cette décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel a mis en exergue cette démarche, en relevant que « sur une question aussi importante, il est de bonne politique de ne pas prendre le législateur par surprise : l'envoi d'un signal explicite paraissait nécessaire et l'occasion qui se présentait était parfaitement adaptée pour ce faire ». Cet objectif serait pleinement atteint si le Conseil constitutionnel, à l'instar des décision précitées, acceptait de ne pas opposer, en l'espèce, sa nouvelle ligne jurisprudentielle à un amendement qui a été adopté le jour où a été rendue la décision n°2005-532 DC.
II/ Sur l'article 30
A/ L'article 30 de la loi déférée complète l'article 1er du code de l'industrie cinématographique, afin de permettre au Centre national de la cinématographie de recruter des agents non titulaires sur des contrats à durée indéterminée.
Les parlementaires auteurs du recours soutiennent que cet article, qui résulte d'un amendement, a été adopté en méconnaissance des dispositions des articles 39 et 44 de la Constitution.
B/ A la différence de l'article 14, l'article 30 de la loi déférée est issu d'un amendement n°138 présenté par le Gouvernement, qui a été adopté lors de l'examen du projet de loi, en première lecture, à l'Assemblée nationale.
Cet article a pour objet d'autoriser le Centre national de la cinématographie à recruter des agents non titulaires sur des contrats à durée indéterminée et de garantir, sans distinction de sexe, aux agents du Centre qui ont été antérieurement recrutés sur des contrats à durée indéterminée le maintien du bénéfice de leur contrat. Il permettra de régulariser la situation juridique de nombreux agents du Centre et d'harmoniser les différentes situations des agents contractuels. Il s'inscrit ainsi dans une perspective d'égalité salariale, sans distinction de sexe, de l'ensemble des agents du centre. Cette finalité n'est pas dépourvue de tout lien avec l'objet du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes qui a été déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale.
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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs de la saisine pourraient être écartées. C'est pourquoi il demande au Conseil constitutionnel de rejeter le recours dont il est saisi.