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Décision n° 2004-502 DC du 5 août 2004 - Saisine par 60 députés

Loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement
Conformité

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement telle qu'adoptée par le Parlement, et plus particulièrement ses articles 4 et 10 septies.
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L'article 4 attribue une aide à l'emploi pour les employeurs de personnel des hôtels, cafés et restaurants, à l'exclusion des employeurs du secteur de la restauration collective pour les périodes effectuées du 1ier juillet 2004 au 31 décembre 2005.
Il s'agit d'une aide attribuée aux entreprises d'un secteur d'activité particulier. Elle est constituée d'une aide forfaitaire fonction du nombre de salariés dont le salaire est égal au salaire minimun de croissance et d'une aide égale au produit du nombre de salariés dont le salaire horaire est supérieur au salaire minimun de croissance par un montant forfaitaire déterminé en fonction de l'activité de restauration sur place dans l'activité générale de l'entreprise.
Une aide est également prévue pour les travailleurs non salariés du même secteur qui prennent en charge pendant la même période les cotisations sociales dues par leur conjoint collaborateur.
Ces aides sectorielles sont justifiées afin d'inciter les recrutements dans les hôtels, cafés et restaurants. Le but d'intérêt général qu'assigne le législateur à cette disposition est la création d'emplois dans un secteur spécifique de l'activité économique de notre pays.
Une telle mesure incitative crée une rupture d'égalité entre les contribuables devant les charges publiques, puisqu'elle est ciblée sur un seul secteur économique. Le législateur peut bien évidemment créer une telle situation à condition qu'elle repose sur des critères objectifs et rationnels motivés par un motif d'intérêt général, en l'occurrence la création d'emplois.
Tel n'est pas le cas de l'article 4.
En premier lieu, il institue un avantage sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur. L'aide aux entreprises est accordée en fonction du nombre de salariés présents dans l'entreprise et non en fonction du nombre d'emplois créés. Elle est donc accordée sans contrepartie en la matière.
En second lieu, il institue un avantage disproportionné au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi. Son coût pour les finances publiques est estimé, selon les travaux parlementaires, à environ 1,2 milliard d'euros destiné à la création d'emplois dans un seul secteur d'activité de l'économie de notre pays.
Il apparaît que l'article 4 met en oeuvre une disposition créant une rupture d'égalité sans lien avec l'objet de la loi. Pour ces raisons, cet article ne peut qu'être censuré.
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L'article 10 septies modifie la loi n°93-1419 du 31 décembre 1993 relative à l'Imprimerie nationale. Il prévoit la possibilité d'intégration sur leur demande des personnels de l'Imprimerie nationale dans un corps ou cadre d'emplois de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière. Il prévoit également que les ouvriers de l'Imprimerie nationale peuvent être recrutés sur leur demande en qualité d'agent non titulaire de droit public dans des collectivités publiques et établissements publics à caractère administratif.
Cet article résulte d'un amendement du Gouvernement déposé sous le n°67 lors de la première lecture de ce projet de loi par le Sénat et adopté le 15 juillet 2004.
Cet article s'avère avoir été adopté en méconnaissance du premier alinéa de l'article 39 de la Constitution et du premier alinéa de l'article 44 de la Constitution. Il ne peut être que censuré conformément à votre jurisprudence applicable aux adjonctions ou modifications sans lien avec l'objet du texte au cours de la discussion.
En l'occurrence, le lien avec le projet de loi initial est totalement inexistant.
Le projet de loi porte sur le soutien à la consommation et à l'investissement. Il comprend un ensemble de dispositions d'ordre fiscal et financier pour orienter l'épargne des agents économiques vers la consommation et l'investissement, pour aider des entreprises à développer ou maintenir l'emploi.
L'article 10 septies est présenté par le Gouvernement comme une des conséquences du plan de restructuration de l'Imprimerie nationale, soumis aux instances représentatives du personnel le 1ier juillet 2004.
Les dispositions de cet article sont dépourvues de tout lien avec le projet de loi initial adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 24 juin 2004. Le projet de loi initial ne comportait aucune disposition permettant à des agents de la fonction publique un reclassement dans tel ou tel corps de la fonction publique, ni aucune mesure de reclassement de personnels d'une entreprise quelle soit publique ou privée.
La seule justification de cet article ajouté tardivement se situe au niveau de la mise en oeuvre du plan de restructuration de l'entreprise publique. Cet article ne peut pas être considéré comme une mesure d'aide à l'emploi et à l'investissement dans les entreprises. Il s'agit d'une mesure d'accompagnement d'un plan de restructuration d'une entreprise publique.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale, n'a pas été en mesure compte tenu de la déclaration d'urgence de se prononcer sur cet article additionnel.
Pour toutes ces raisons, l'absence de lien entre l'article 10 septies et la loi en discussion est évident et la censure au titre de la méconnaissance des articles 39 et 44 de la Constitution est inévitable.
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Par ailleurs, le Conseil constitutionnel pourra également juger de la conformité à la Constitutions des conditions d'adoption de nombreux articles de la loi et en particulier des articles 7bis, 8, 9, 10bis, 10ter, 10quater, 10quinquies, 10sexies adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale et le Sénat sans lien immédiat avec l'objet du projet de loi.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, l'expression de notre haute considération.