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Décision n° 2004-497 DC du 1 juillet 2004 - Réplique par 60 sénateurs

Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle
Conformité

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, les observations du gouvernement datées du 18 juin 2004, et transmises à nous le 21 juin, appellent de notre part les brèves remarques qui suivent.
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A titre liminaire, il sera fait observer que le gouvernement s'empresse de faire une utilisation de votre décision du 10 juin 2004 quelque peu caricaturale. En effet, à lire ses observations, toutes les dispositions des directives pertinentes dans le cadre de l'examen de la loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle seraient inconditionnelles, claires et précises. En sorte que le Parlement aurait été en situation de compétence totalement liée et que votre contrôle serait désormais impossible. Cette technique semble aller bien au-delà de la portée de votre jurisprudence la plus récente.
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I. Sur l'article 41 de la loi
Le gouvernement ne répond pas réellement au grief de la saisine.
Certes, une interrogation était posée sur le sens de la dernière phrase de l'article critiqué. Confronté à sa propre mauvaise rédaction, le gouvernement explicite ce qui n'était pas clair.
Il demeure qu'il ignore l'essentiel de la critique que l'on rappellera ici : la possibilité de diffuser des messages publicitaires, même à vocation nationale, lors de décrochages locaux est de nature à déstabiliser l'économie de la presse locale et donc, par ses effets induits, le pluralisme tel que vous en assurez la protection constitutionnelle.
Contrairement à la thèse implicitement soutenue par le gouvernement, la presse locale réalise aussi son équilibre à travers la publicité à vocation nationale et pas seulement au travers des messages strictement destinés à un public local. Un journal quotidien ne peut se contenter de la réclame d'un restaurateur ou d'un supermarché local voire d'un concessionnaire automobile. La publicité nationale joue également son rôle dans l'équilibre économique de la presse régionale et locale.
D'ailleurs, votre jurisprudence ne restreint à aucun moment la protection du pluralisme par une sanctuarisation du seul marché publicitaire local (Décision n° 93-333 DC du 21 janvier 1994). Du point de vue économique, il serait manifestement erroné de considérer le marché publicitaire local et celui national comme deux marchés pertinents distincts. Ils sont évidemment mêlés et substituables au point que peuvent survenir des glissements de l'un vers l'autre. En conséquence, les diffuseurs locaux peuvent fort bien pâtir gravement d'une raréfaction de la publicité à vocation nationale s'exprimant par leur biais.
C'est donc tout un édifice qui est fragilisé par l'article 41 critiqué.
De ce chef, la censure ne peut qu'intervenir.
II. Sur l'article 58 de la loi
Le gouvernement prétend s'appuyer sur votre jurisprudence pour établir que l'obligation de motivation n'a pas de valeur constitutionnelle.
C'est une lecture abusive de votre décision du 21 novembre 2001 qui est ainsi proposée. Surtout, le gouvernement feint d'ignorer que le moyen se fonde sur l'atteinte au principe du pluralisme que provoque l'absence de motivation en cause.
D'abord, dans la même décision vous avez rejeté un des griefs soulevés au titre de l'absence de motivation d'une décision défavorable au motif que le législateur n'avait pas entendu soustraire ledit refus aux règles de droit commun de la loi du 11 juillet 1979 (Décision du 21 novembre 2001, précitée, considérants 23 et 24). Le moyen manquait donc en fait. Dans l'hypothèse inverse, on peut imaginer à l'aune de votre rédaction que la censure serait intervenue. D'ailleurs, l'exemple utilisé par le gouvernement est assez faible car il vise l'absence de motivation d'une décision de classement et non le régime d'une décision refusant un droit.
Or, ensuite, il s'avère qu'en l'occurrence le refus dont s'agit concerne l'exercice d'une liberté : celle de communication et que se trouve en cause la protection due à l'exigence constitutionnelle du pluralisme.
On le voit, en l'espèce, c'est bien une décision ayant le caractère d'une décision défavorable refusant l'exercice ou l'accès à un droit constitutionnellement garanti.
Il faut ajouter que cette absence de motivation empêche que puisse s'exercer pleinement le droit au recours tel que prévu par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Or, à cet égard, le gouvernement s'abstient de répondre.
De tous ces chefs, la censure est certaine.
III. Sur l'article 70 de la loi
Le gouvernement entreprend ici une défense qui n'est pas sérieuse. Il tente de s'abriter, une nouvelle fois, derrière votre décision du 10 juin 2004 qu'il a eu le temps d'étudier grâce au différé de sa publicité. Or, contrairement à ses écritures, l'article 6 de la directive du 7 mars 2002 ne dit absolument pas ce qu'il ose prétendre. Il dit même le contraire !
Avant de démontrer ce point, il apparaît utile aux auteurs de la saisine de rappeler brièvement ce que sont les notions de droit communautaires en cause ; et l'on excusera, par avance, l'usage de termes anglais.
-- Le « must carry » consiste en la reprise obligatoire, par un diffuseur ou distributeur de services, de services de télévision déjà diffusés par voie hertzienne terrestre. La directive impose le « must carry » au nom du service universel, pour des raisons d'intérêt général : il se justifie « lorsqu'un nombre significatif d'utilisateurs finals (...) utilisent (les réseaux distribuant les chaînes bénéficiant d'un must carry) comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision ».
Jusqu'à présent, aux termes de la loi de 1986, le « must carry » était appliqué, sur le câble (article 34-II-1 °), pour la retransmission des chaînes hertziennes « normalement reçues dans la zone » et TV5 et, sur le satellite (article 34-3), pour la retransmission des chaînes publiques, Arte incluse, RFO et TV5.
Ces dispositions sont reprises par l'article 68 de la loi déférée au Conseil constitutionnel.
-- Prolongement du « must carry », le « must offer » consiste en l'obligation faîte à un éditeur de service diffusé par voie hertzienne terrestre gratuitement de ne pas s'opposer à sa diffusion sur n'importe quel réseau (ADSL, satellite ou câble). Instaurer une telle clause permet de contraindre un éditeur de service ayant bénéficié d'une ressource rare et gratuite (le hertzien de terre) de rendre sa chaîne accessible au plus grand nombre de téléspectateurs, sans considération d'ordre commercial. Cette clause constitue une traduction de la directive dans la mesure où elle répond à des objectifs de service universel et de neutralité des supports.
La loi déférée ne prévoit aucune clause de « must offer » « intégrale », mais sont ébauchées des obligations de ce type :
à l'article 66, pour les chaînes privées hertziennes gratuites, sur les seuls réseaux internes à un immeuble ou une propriété collective raccordés à un réseau câblé ;
à l'article 67, pour les chaînes privées hertziennes gratuites, sur les réseaux câblés, pour une durée limitée à 5 ans seulement à compter de la promulgation de la loi.
Reste le must deliver, tel qu'il figure dans l'article 70 présentement critiqué.
-- Le « must deliver » consiste, à l'inverse, en l'obligation pour un distributeur ou diffuseur de services de faire droit à toute proposition d'un éditeur de services, sans aucune faculté d'opposition. Cette clause qui ne répond à aucun motif d'intérêt général, d'exigence de service universel appliqué à l'audiovisuel ou d'application du principe de neutralité des supports, n'existe nulle part en Europe. Elle n'est imposée en aucune façon par la directive, ni par son article 6 ni par aucune autre disposition ou indication figurant dans une annexe.
On doit, à cet égard, relever les incohérences de la position du gouvernement.
En effet, l'article 6 de la directive, tel qu'il est cité par lui évoque l'obligation pour les opérateurs de « proposer » à tous les diffuseurs un service de transport. L'article critiqué donne le pouvoir à certains diffuseurs « d'imposer » leur choix aux opérateurs et de les obliger à faire droit à leur demande. C'est donc exactement l'inverse des termes de la directive. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'une simple contrainte technique mais d'une obligation qui pèse sur le service que l'opérateur entend proposer à ses clients. Ce qui est substantiellement différent.
Mais il y a plus.
Le gouvernement tente vainement de s'abriter, implicitement, derrière l'intérêt général. Or, en offrant à certains distributeurs le choix d'exiger, selon leurs critères, de certains opérateurs le transport de leurs contenus, le législateur a clairement opté pour que ce soit les seuls intérêts commerciaux de ces diffuseurs qui commandent et non un quelconque intérêt général. A l'opposé du service universel et de la desserte de tous les téléspectateurs, cet article 70 impose une règle discriminatoire portant atteinte à la liberté d'entreprendre des opérateurs, sans aucune justification d'intérêt général.
Les artifices rédactionnels du gouvernement ne pourront vous tromper tant l'inconstitutionnalité est flagrante.
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Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.