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Décision n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 2004
Non conformité partielle

I - Sur l'absence de sincérité de la loi de finances pour 2004
La loi de finances pour 2004 doit être analysée comme méconnaissant le principe constitutionnel de sincérité tel qu'il s'impose en application de l'article 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1ier août 2001 relative aux lois de finances et tel que la jurisprudence du Conseil constitutionnel l'a établi notamment dans la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 (considérants 3 à 8).
L'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances dispose en effet que : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. ». Cet article fixe les conditions dans lesquelles le principe de sincérité doit s'apprécier. Il lui donne une portée renforcée, comme en ont témoigné les travaux préparatoires à l'élaboration de la loi organique. Ainsi, il est précisé page 170 du volume I des travaux préparatoires : « Le principe de sincérité implique que l'évaluation des charges et des ressources de l'Etat soit réalisée avec « bonne foi », et ce, aussi correctement que possible, compte tenu des informations disponibles. ».
Le Conseil constitutionnel a par ailleurs encadré l'exigence de sincérité en considérant dans la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 que si au cours de l'exercice « les grandes lignes de la loi de finances s'écartaient sensiblement des prévisions, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative. ».
Ceci conforte et précise le sens donné au principe de sincérité des lois de finances selon lequel la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.
La loi de finances pour 2004 méconnaît le principe de sincérité dans la mesure où le Gouvernement a commis une erreur certaine, manifeste et volontaire dans la présentation et la détermination des objectifs en matière de déficits publics et des plafonds de dépenses, ne permettant pas au Parlement d'exercer ses prérogatives et conduisant à fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.
La conformité à la Constitution de la loi de finances pour 2004 ne peut qu'être mise en cause de ce point de vue. Il ne s'agit pas de mener une querelle d'experts sur le caractère réaliste ou non des hypothèses économiques, mais de montrer que le Gouvernement ne fait pas preuve de la prudence nécessaire dans la détermination des objectifs d'évolution des finances publiques.
Il ne tire pas toutes les leçons des dérives constatées notamment à compter des évaluations faites dans le cadre de l'audit de la situation des finances publiques réalisé par Messieurs Jacques Bonnet et Philippe Nasse et présenté le 24 juin 2002.
Il s'exonère également des recommandations du Conseil constitutionnel exprimées l'an dernier sur le contrôle de sincérité d'une façon telle que ne peut qu'être confortée l'erreur manifeste d'appréciation de l'évolution des finances publiques.
1/ L'insincérité dans la gestion et la présentation des dépenses publiques
insincérité lors de la construction du collectif de juillet 2002 et de la loi de finances pour 2003
En juin 2002, l'audit des finances publiques a estimé que pour l'année 2002, les déficits publics pourraient atteindre entre 2,4 % et 2,6 %. Le Gouvernement a alors retenu l'hypothèse la plus pessimiste de 2,6 % du PIB, pour construire le projet de loi de finances rectificative de l'été 2002. Au total, l'année 2002 s'est soldée par un résultat de 3,1 % du PIB, soit 0,5 % au-delà de l'hypothèse la plus pessimiste. Si l'on peut voir dans ce résultat, pour partie, les effets des inévitables erreurs inhérentes à l'exercice de prévision économique, il ne peut pas être expliqué ni compris sans faire référence aux politiques publiques menées pour y parvenir.
Ainsi, la Cour des comptes a estimé que la dégradation finalement constatée en 2002 résultait pour les deux tiers d'une volonté délibérée de l'actuel Gouvernement de dégrader les finances publiques, laissant ainsi filer le déficit. Cette analyse a été reprise par le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Monsieur Pédro Solbès, qui dans une interview au journal Le Monde daté du 12 octobre déclarait que : « La France s'est mise elle-même dans cette situation. ».
L'exécution du budget de l'Etat pour 2002 traduit parfaitement la volonté de dissimulation du Gouvernement. Sur l'ensemble de l'année, les dépenses publiques ont progressé de 4,3 %, en tenant compte des dépenses supplémentaires pour un montant de 4,96 milliards d'euros votées dans la loi de finances rectificative pour 2002 n° 2002-1050 du 6 août 2002.
Le projet de loi de finances pour 2003 a par la suite été construit sur la base des dépenses de la loi de finances pour 2002 majorées des dépenses du collectif d'été. Il s'agit là d'un manquement à la règle budgétaire selon laquelle la norme de progression des dépenses publiques doit être fixée par rapport à la loi initiale.
En procédant ainsi, le Gouvernement a volontairement voulu minorer la norme affichée de l'évolution des dépenses publiques prévue pour 2003. Cet artifice ne sera confirmé par la Cour des comptes de façon définitive que lors de la présentation de la loi de règlement pour 2003. Il traduit cependant la volonté de masquer la réalité de l'évolution particulièrement dynamique des dépenses et des déficits publics.
Ceci traduit parfaitement les contradictions auxquelles doit faire face le Gouvernement. D'un côté, il veut financer les promesses électorales qui ont été faites au printemps 2002. D'un autre côté, il souhaite montrer sa capacité à gérer les finances publiques dans l'esprit des engagements européens de la France. Le Gouvernement fait ainsi preuve d'une volonté manifeste d'insincérité, voire utilise l'insincérité comme mode de gestion.
insincérité en raison des discussions concomitantes à la procédure parlementaire avec l'Union européenne
Ces contradictions renvoient directement aux conséquences de la politique budgétaire et fiscale menée par le Gouvernement sur l'évolution des finances publiques et font écho aux critiques de la Cour des comptes et de la Commission européenne sur la responsabilité directe du Gouvernement dans l'évolution de la situation budgétaire.
Les choix budgétaires et fiscaux se résument aux baisses de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune, qui, comme l'a reconnu le ministre de l'économie et des finances, ne se sont « pas forcément traduites par une augmentation de la consommation ». Les choix du Gouvernement ont ainsi accentué le ralentissement de la croissance et entraîné la chute des recettes fiscales et non fiscales.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2003 de fin d'année prévoit un recul des recettes fiscales de 7,5 milliards d'euros et des recettes non fiscales de 2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Ce projet ne peut pas être considéré comme répondant à la réserve du Conseil constitutionnel exprimée au considérant 7 de la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002. Il s'agit en effet du traditionnel collectif de fin d'année et en aucun cas d'un projet permettant de corriger l'écart constaté entre l'exécution et les prévisions en ce qui concerne les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.
Cet écart a pu être constaté tout au long de l'année. Dès le premier trimestre de l'année 2003, la Commission européenne a souhaité que la France corrige la situation de dérive de ses finances publiques. La situation est telle que notre pays a été tout au long de l'année 2003 sous la menace d'une sanction de l'Union européenne pour déficit excessif. Pour 2003, le niveau annoncé des déficits publics est de 4 % du PIB. Ce mauvais résultat est obtenu malgré les annulations de crédits intervenues régulièrement tout au long de l'année.
Il est à cet égard intéressant de noter la concomitance des décrets d'annulation de crédits avec les étapes de la procédure de mise en demeure de la France par la Commission européenne pour que soit mis un terme à la situation de déficit excessif. Un premier décret d'annulation de crédits a été pris le 14 mars 2003. Il portait sur 1,439 milliard d'euros de crédit de paiement. Un deuxième décret d'annulation de crédits a été pris le 3 octobre 2003. Il portait sur 1,115 milliard de crédit de paiement. Un troisième décret d'annulation de crédits a été présenté le 19 novembre dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2003. Il porte sur 1,72 milliard de crédits de paiement.
Pourtant, malgré les gages qu'il a voulu donner avec ces annulations successives tout au long de l'année 2003, le Gouvernement n'a pas suffisamment respecté les recommandations de la Commission européenne pour corriger dès 2003 la situation de déficit excessif, entraînant ainsi la poursuite de la procédure prévue à l'article 104, paragraphe 9, du Traité instituant la Communauté européenne.
Une nouvelle recommandation a été proposée au Conseil des ministres européens par la Commission européenne le 3 octobre 2003. Elle faisait suite à la décision du 3 juin 2003 fixant au 3 octobre la date avant laquelle la France devait avoir pris des mesures permettant de réduire le déficit sous la barre des 3 % du PIB dès 2004.
Le 25 octobre, le Conseil des ministres de l'économie et des finances a donné une forme de sursis à la mise en demeure faite à la France. Toujours est-il qu'à cette occasion le Gouvernement français s'est manifestement engagé sur des mesures rapides de corrections budgétaires pour l'année 2004 sans qu'à aucun moment le Parlement ne soit saisi et informé de l'état de ces discussions et des engagements pris, qui ont pourtant un impact direct sur la façon dont sera exécutée la loi de finances pour 2004.
Le principe de sincérité ne saurait tolérer que l'information des institutions européennes, tirée des obligations conventionnelles de la France, se fasse au détriment de l'information du Parlement qui en l'occurrence n'est plus en mesure d'exercer ces prérogatives.
L'examen par le Parlement du projet de loi de finances prend ainsi un aspect virtuel et fictif, dès lors que le Gouvernement procède, par ailleurs et par des voies différentes de la procédure parlementaire, à des ajustements de nature à modifier sensiblement l'équilibre budgétaire.
insincérité dans la présentation des plafonds de dépenses pour 2004
En 2004, il est avéré dès la présentation du projet de loi de finances que les objectifs en matière de dépenses ne sont pas sincères. Le 30 septembre 2003, le ministre du budget a en effet précisé devant la commission des finances de l'Assemblée nationale qu'il proposerait « tout naturellement au Premier ministre des mesures en ce sens au début du prochain exercice, de manière à éviter tout dérapage. ». Il faisait référence à des gels de crédits, voire des annulations, que le Gouvernement envisageait de mettre en oeuvre dès le début de l'année 2004.
Bien entendu, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel notamment dans le considérant 5 de la décision n° 2002-464 du 27 décembre 2002, « le vote par le Parlement, dans la loi de finances, des plafonds afférents aux grandes catégories de dépenses et des crédits mis à la disposition des ministres n'emporte pas, pour ces derniers, obligation de dépenser la totalité des crédits ouverts ».
Mais la pratique qui consiste à opérer un décalage systématique entre le niveau des dépenses soumis au vote du Parlement et le niveau des dépenses effectivement envisagées et concrètement engagées par le Gouvernement ne doit pas devenir le mode normal d'évaluation et de présentation des dépenses de l'Etat.
Pourtant, dès la présentation du projet de loi de finances pour 2004, le Parlement est informé par le Gouvernement que le plafond de dépenses proposé ne sera pas celui qui sera mis en oeuvre. L'intention du Gouvernement est très clairement présentée par le ministre délégué au budget, lors de la deuxième séance du mardi 14 octobre 2003, en réponse à l'exception d'irrecevabilité défendue par Didier Migaud : « Le Ministre délégué au budget ne peut qu'espérer, en début de gestion, une mise en réserve de crédits, non pas pour dépenser moins, ..., mais simplement pour pouvoir respecter l'autorisation qui est donnée par la représentation du peuple français. ».
La prétendue bonne gestion dont voudrait faire preuve le ministre, ne doit pas être confondue avec le respect des règles budgétaires. La mise en réserve de crédits n'est pas constituée pour faire face en cours d'exercice à un événement conjoncturel imprévu. Elle correspond simplement à la volonté du Gouvernement de faire des économies par rapport au plafond de dépenses votées. Il y a ainsi un détournement des règles prévues à l'article 14 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
En effet, l'article 14 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances prévoit qu'afin de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire, un crédit peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances, mais que toutefois le montant cumulé des crédits ainsi annulés ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances.
Ce seuil n'était pas dans l'esprit du législateur de 2001 une forme « de droit d'entrée automatique » dans la procédure d'annulation de crédits. Le législateur n'a en effet pas souhaité mettre en place une facilité de gestion que l'actuel Gouvernement utilise volontairement pour permettre aux ministres dépensiers de présenter au vote du Parlement un budget acceptable. Il n'a pas souhaité à ce titre créer une possibilité pour le Gouvernement d'annuler, dès après le vote de la loi, 1,5 % des crédits de l'année.
Au contraire, le législateur organique de 2001 a souhaité instituer un seuil qui offre une certaine souplesse de gestion tout au long de l'exercice, sans pour autant négliger le rôle du Parlement, dans la mesure où, au-delà du seuil de 1,5 %, le Gouvernement devrait présenter un projet de loi de finances rectificative pour que le Parlement se prononce sur une détérioration de l'équilibre budgétaire et sur les moyens d'y mettre un terme.
Il apparaît que telle n'est pas la pratique du Gouvernement. Ainsi en 2003, est constituée dès les premiers jours de février, une réserve de 3,9 milliards d'euros représentant 1,45 % de la totalité des crédits votés à peine quelques semaines plus tôt. Il convient de signaler que cette somme représente environ 70 % des mesures nouvelles prévues par la loi de finances initiale pour 2003. Dès le mois de mars, la raison d'être de cette mise en réserve est apparue pour ce qu'elle était, à savoir annuler purement et simplement des crédits votés quelques semaines auparavant.
En effet, le 14 mars 2003, un décret d'annulation de 1,439 milliard d'euros de crédits est publié au Journal officiel. Au total, c'est une somme quasi égale au montant des gels qui sera annulée sur l'ensemble de l'exercice. En effet, le projet de loi de finances rectificative pour 2003 fixe à la date du 19 novembre 2003 un total de 3,37 milliards d'euros de crédits annulés depuis le début de l'année.
La constitution d'une réserve dès les premières semaines de l'exercice d'un niveau certes inférieur mais proche du seuil de 1,5 % prévu à l'article 14 de la loi organique est éclairante sur l'intention du Gouvernement. Il ne peut s'agir de constituer une réserve destinée à prévenir la détérioration de l'équilibre budgétaire. A cette époque de l'année, aucun élément conjoncturel nouveau, qui n'ait déjà été diagnostiqué, n'existe en réalité, sauf à considérer que le Gouvernement admette enfin, mais sans le dire, que les hypothèses économiques retenues pour la construction et le vote du projet de loi de finances étaient effectivement insincères.
La pratique budgétaire ne peut tendre vers une surestimation systématique en loi initiale des dépenses exécutées d'un niveau proche de 1,5 % du total des crédits. C'est malheureusement ce que fait le Gouvernement dès les premières semaines de 2003, ce que démontre parfaitement a posteriori l'équivalence entre le niveau de mise en réserve et le niveau total d'annulations sur l'ensemble de l'année.
C'est une situation en tout point comparable que l'on retrouve dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004. Le ministre chargé du budget annonce, avant le vote définitif du projet de loi de finances que des mises en réserve de crédits et des annulations seront effectuées dès les premiers jours de l'exécution. En agissant ainsi, on ne peut pas considérer que le Gouvernement cherche à prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire, sauf à considérer que, dès la présentation du projet de loi de finances voire tout au long du débat parlementaire, le Gouvernement est parfaitement conscient de la réalité de l'évolution des finances publiques et que malgré tout, il ne demande pas au Parlement de se prononcer sur cette réalité.
Il y a là un manquement au principe de sincérité, puisque le Gouvernement ne procède pas à une évaluation de « bonne foi » des charges de l'Etat, et qu'il fait preuve ainsi d'une intention manifeste de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.
Sans vouloir remettre en cause la pratique des mises en réserve de crédits, il est cependant important de considérer qu'elle ne peut pas être utilisée comme le fait le Gouvernement qui en détourne l'esprit dans le seul but de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.
Pour s'en convaincre, il est important de se référer au rapport au Parlement de la Cour des comptes sur les décrets d'avance des 16 juin, 8 septembre, 17 novembre et 26 novembre 2003. La Cour des comptes constate en effet que pour financer une partie des ouvertures de crédits mise en oeuvre par voies administratives en cours de gestion, le Gouvernement a recours à des annulations sur certains chapitres budgétaires de crédits manifestement surévalués en loi initiale et que de telles pratiques posent « une nouvelle fois la question de la sincérité du budget soumis au vote du Parlement. »
Comme l'a reconnu le Premier président de la Cour des comptes dans une interview au Figaro le 4 novembre 2002 : « il est paradoxal de faire voter aux parlementaires un plafond de dépenses en annonçant quelques semaines plus tard qu'il n'est qu'indicatif ». La sincérité et la lisibilité de la loi de finances n'en sortent pas, loin s'en faut, renforcées.
Pour 2004, les mises en garde du Ministre du budget interviennent dès le mois de septembre 2003. Le Gouvernement soumet au vote du Parlement un plafond de dépenses dont il sait déjà qu'en réalité, il sera très supérieur au montant constaté au moment de l'exécution. Le Gouvernement fait ainsi preuve d'une volonté manifeste de ne pas présenter des plafonds de dépenses publiques conformes à ce que sera la réalité de l'exécution. En agissant ainsi, il méconnaît le principe de sincérité.
En effet, respecter le principe de sincérité ce n'est pas uniquement annoncer au Parlement ce que risque d'être l'exécution de la loi de finances, c'est inscrire dans le projet de loi initial l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent en découler.
Autrement dit, la sincérité c'est traduire le plus objectivement possible dans le projet de loi soumis au vote du Parlement la réalité budgétaire de l'année à venir, et non pas se contenter d'annoncer, préalablement au vote du Parlement, que la réalité pourrait différer sensiblement des sommes effectivement soumises au vote. La sincérité ce n'est pas seulement dire la vérité, c'est l'inscrire dans la loi pour que le Parlement soit en mesure à son tour d'exprimer un vote sincère.
En guise de première conclusion, on doit également considérer que respecter la règle de sincérité budgétaire, c'est aussi, d'une certaine façon, tirer les leçons des évènements intervenus en cours d'année. S'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'apprécier sur le plan politique la pertinence des décisions du Gouvernement et du Parlement, il lui revient cependant de prendre en compte l'ensemble des éléments qui peuvent constituer des manquements au principe de sincérité. Parmi ces éléments, figurent ainsi l'ensemble des griefs évoqués ci-dessus.
2/ L'insincérité dans la présentation de l'objectif de réduction des déficits publics
Les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement ne sont pas cohérentes avec l'hypothèse de réduction des déficits publics. Il ne s'agit pas là non plus de mener une querelle d'experts sur le réalisme ou non des hypothèses économiques. En revanche, il apparaît clairement que les conséquences des hypothèses retenues sur l'évolution du déficit de l'Etat et sur celui de la sécurité sociale ne sont pas sincères.
L'hypothèse d'une croissance en valeur du PIB de 1,7 % en 2004 est probablement légèrement optimiste, car elle est construite sur la base d'une croissance pour 2003 de 0,5 %, qui apparaît d'ores et déjà surévaluée. Il n'en reste pas moins que contrairement à l'an dernier, elle n'est pas totalement déconnectée des prévisions des conjoncturistes publics et privés. L'effet de la surévaluation de la base de croissance pour 2003 sur 2004 fait partie des erreurs inhérentes à l'exercice de prévision en matière économique.
En revanche, cette année, il n'est pas crédible de prétendre ramener les déficits publics à 3,6 % du PIB avec une croissance de 1,7 %, à politique budgétaire et fiscale inchangée. Les prévisions en la matière du groupe technique de la Commission économique de la Nation ont été collectées, comme l'indique le tome I du rapport économique, social et financier le 19 septembre 2003, soit quelques jours avant la présentation par le Gouvernement du projet de loi de finances pour 2004.
Le groupe technique, constitué d'un ensemble d'organismes économiques et financiers, constate en effet que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement est proche de la sienne. En revanche, il considère, en tout état de cause, que les évolutions des finances publiques prévues par le Gouvernement sont trop optimistes, et que par conséquent le niveau des déficits publics pour 2004 sera plutôt compris entre 4 % et 4,5 % du PIB.
En réalité, les conjoncturistes affirment que l'objectif de réduction n'est réalisable qu'à condition d'intégrer encore des économies supplémentaires voire des recettes supplémentaires.
Dans la mesure où les économies réalisées jusqu'à présent ont porté sur les dépenses d'investissement, elles ont un effet de ralentisseur de la croissance, cette situation renvoie immédiatement aux conséquences sur l'évolution des finances publiques des choix budgétaires et fiscaux du gouvernement.
De même, la suppression d'un jour férié qui serait accompagnée d'un prélèvement de 0,3 % sur la masse salariale des entreprises s'inscrit dans cette logique en jouant également un effet ralentisseur de la croissance.
Nous sommes face à une politique de fuite en avant où le Gouvernement, par ses choix, entraîne inexorablement la croissance vers le bas, où il ne fait que constater sa chute et avec elle la dérive des déficits publics sans reconnaître sa propre responsabilité.
La tentative de diversion opérée par le Gouvernement qui présente une évolution favorable du solde structurel du budget de l'Etat ne saurait emporter la conviction du Conseil constitutionnel sur la volonté de respecter le principe de sincérité.
Le solde structurel est une notion peu convaincante, et ce d'autant plus qu'il n'y a pas à proprement parler de définition communément admise.
3/ L'insincérité par le non respect des décisions du Conseil constitutionnel
Le contrôle du principe de sincérité budgétaire ne peut demeurer une coquille vide. Le considérant 7 de la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 en a fixé les contours en invitant le Gouvernement à présenter au Parlement en cours d'exécution et non pas en fin d'exécution un projet de loi de finances rectificative en cas d'écart sensible entre les objectifs et l'exécution budgétaire.
Le gouvernement n'a manifestement pas considéré que l'écart était suffisamment sensible. Pourtant, les recommandations de la Commission européenne, dès le premier trimestre, auraient, d'une certaine façon du mettre en alerte le Gouvernement. Ainsi, il est à redouter que l'appel fort du Conseil constitutionnel à présenter un projet de loi de finances rectificative demeure une notion vide de sens et d'application en dehors des années d'alternance politique.
Il est vrai que d'une certaine façon, le Gouvernement a souhaité répondre par avance à ce type de critique dans les observations sur le recours du groupe socialiste de l'Assemblée nationale contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004.
En défense sur le non respect de l'engagement pourtant pris cette fois devant le Parlement de présenter un projet de loi financement de la sécurité sociale en cas d'écart significatif entre les prévisions de la loi initiale et celles résultant de la commission des comptes du printemps, le Gouvernement a ainsi indiqué « qu'au plan technique, la révision des estimations n'est pas en principe disponible avant le 15 juin et qu'à compter de cette date la préparation puis la discussion d'un projet de loi de financement rectificatif se heurterait à des difficultés sérieuses et n'aurait, en tout état de cause, qu'une utilité relative. ».
Si le Gouvernement présentait une explication de même nature pour justifier la non présentation en cours d'année d'un projet de loi de finances rectificative, le Conseil constitutionnel ne pourrait retenir cette argumentation. Les difficultés techniques ne sauraient servir de raison à la non présentation d'un projet de loi de finances rectificative, sauf à considérer que la volonté politique s'effacerait devant des raisons techniques.
Si tel était le cas, comment expliquer qu'au printemps 2002, le Gouvernement a pu, en quelques semaines, faire procéder à un audit des finances publiques, dans le but de présenter au Parlement dans le cadre d'une session extraordinaire un projet de loi de finances rectificative ?
Il apparaît de plus en plus clairement, que le Gouvernement n'a finalement que peu de considérations pour les décisions et les réserves que peut émettre le Conseil constitutionnel. Bien entendu, il n'appartient pas au Conseil de juger rétroactivement de la méconnaissance du principe de sincérité. En revanche, les pratiques du Gouvernement constituent un élément d'appréciation à la lumière duquel le Conseil peut juger de sa volonté réelle de respecter le principe de sincérité.
Il apparaît donc que le Conseil constitutionnel a rendu l'an dernier sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 mais aussi sur la loi de finances pour 2003 deux décisions invitant le Gouvernement à présenter en cas d'écart entre les objectifs votés et la réalité de l'exécution en cours d'année un projet de loi rectificative, et qu'en tout état de cause, le Gouvernement considère qu'il ne peut pour des raisons techniques en tenir compte.
En ce qui concerne la loi de finances, le traditionnel collectif de fin d'année ne saurait constituer une réponse à l'invitation du Conseil constitutionnel telle qu'exprimée l'an dernier dans la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002.
Même si en matière de loi de finances, conformément à l'article 14 de la loi organique du 1ier août 2001, le Gouvernement peut toujours prendre par décret des mesures d'annulation de crédits dans la limite de 1,5 % des crédits ouverts dans la loi de finances initiale et en informant préalablement les commissions permanentes compétentes du Parlement, le respect du principe de sincérité suppose également de tenir compte des décisions du Conseil.
Il convient donc que le contrôle de sincérité soit à la mesure des différents gardes fous posés l'an dernier par le Conseil constitutionnel après l'adoption en juillet 2001 de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.

II - Sur l'article 3
L'article 3 a pour objet d'une part d'actualiser le montant de la prime pour l'emploi instaurée par la loi n° 2001-458 du 30 mai 2001 en indexant son montant sur l'évolution de l'indice des prix hors tabac, en rehaussant les seuils de revenus servant au calcul de la prime et des majorations, et en procédant à une très faible hausse des taux servant au calcul de la prime de l'ordre de 4,55 %.
D'autre part, est mis en place un dispositif permettant le versement d'un acompte de la prime due à certains demandeurs d'emploi ou titulaires de minima sociaux reprenant une activité professionnelle.
Cet acompte, d'un montant forfaitaire de 250 euros, serait versé aux personnes justifiant d'une activité professionnelle d'au moins 6 mois, après avoir été en recherche d'emploi ou titulaires de minima sociaux dans les 6 mois précédents. Il était initialement prévu que les demandes visant à obtenir le bénéfice de cet acompte qui auraient été formulées sur la base de renseignements inexacts donneraient lieu à l'application d'une amende fiscale de 100 euros.
Cette disposition a été corrigée par un amendement adopté à l'Assemblée nationale qui prévoit que l'amende doit être conditionnée par l'établissement de la mauvaise foi de l'intéressé.
Malgré cette correction, il apparaît que la disposition critiquée déroge aux principes généraux du droit et notamment au respect des droits de la défense. En effet, l'ajout tardif d'une référence à la nécessité d'établir la mauvaise foi du déclarant ne saurait en aucun cas tenir lieu à elle seule de garantie procédurale. Du reste, aucune référence n'est faite dans la loi aux procédures et garanties applicables, non plus qu'à aucune procédure de réclamation.
Il apparaît également que la disposition critiquée établit des sanctions automatiques et disproportionnées par rapport à l'objet de la loi, en méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
L'amende prévue - de 100 euros - représente en effet une sanction hors de proportion avec l'avantage qui pourrait être retiré d'une déclaration inexacte, qui ne représente en réalité qu'une « avance de trésorerie » d'un montant de 250 euros, dont il faut garder à l'esprit qu'elle est en tout état de cause remboursable puisque l'article 3 précise qu'il s'agit d'un acompte.
Comme l'a justement rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, il ne saurait être question d'excuser la fraude fiscale, ni en entraver la légitime répression, mais d'assurer la conciliation des principes à valeur constitutionnelle issus des articles 8 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer cette disposition.

III - Sur les articles 28 et 53
L'article 28 modifie les quotités de répartition de la taxe d'aviation civile entre le budget annexe de l'aviation civile et le compte d'affectation spéciale n°92-25 « Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien.
L'article 53 propose de mettre en oeuvre l'article 60 de la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer qui dispose que : « l'État verse aux régions de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, à la collectivité départementale de Mayotte, à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna une dotation de continuité territoriale ».
Comme l'a bien relevé le rapport spécial n°1110 annexe 24, cette disposition constitue en réalité un élargissement des missions du Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien (FIATA). Il faut rappeler que le FIATA comprend déjà au nombre de ses missions l'intervention en outre-mer.
Toutefois, cette intervention est destinée à assurer l'équilibre des dessertes aériennes réalisées dans l'intérêt de l'aménagement du territoire. Elle s'adresse donc aux transporteurs aériens, et non à des collectivités territoriales.
La dotation de continuité territoriale créée par la loi du 21 juillet 2003 vient par ailleurs compléter le passeport mobilité, dont les crédits sont inscrits au chapitre budgétaire 46-94 du budget de l'outre-mer.
Le FIATA est doté de ressources fiscales provenant de la taxe d'aviation civile, due par les compagnies d'aviation civile en fonction du nombre de passagers, de fret ou de courrier embarqué au départ de la métropole et des DOM. Dans les territoires d'outre-mer, ni la taxe d'aéroport, ni la taxe de l'aviation civile ne sont prélevées, la fiscalité y relevant a priori de la compétence des gouvernements territoriaux.
Or, ceux-ci n'ont pas institué de taxes similaires. En l'absence d'autre ressource, le financement des missions précitées est aujourd'hui assuré, pour les aéroports relevant de l'État, par des subventions du FIATA.
La question peut donc se poser de l'adéquation entre la ressource et la dépense, à partir du moment où la taxe d'aviation civile n'est pas prélevée dans les territoires d'outre-mer, qui pourtant sont éligibles à la dotation de continuité territoriale.
Au surplus, la loi organique relative aux lois de finances a imposé pour l'affectation d'une recette à une dépense, dans son article 21 relatif au régime des comptes d'affectation spéciale, l'exigence d'une « relation directe » existant « par nature » entre les recettes et les dépenses.
Manifestement, cette exigence n'est pas satisfaite en l'espèce puisqu'il propose d'affecter une taxe, non perçue dans les TOM, due par des opérateurs qui n'ont souvent aucune activité en lien avec l'outre-mer, afin de financer des dépenses de solidarité nationale en direction de collectivités territoriales.
D'ailleurs, la dotation de continuité territoriale versée à la collectivité territoriale de Corse n'est pas inscrite sur un compte d'affectation spéciale, mais sur le chapitre budgétaire 41-57 du ministère de l'intérieur, alors pourtant que cette dotation a été créée avant que l'existence d'une relation directe existant par nature entre les recettes et les dépenses ne soit exigée par la loi organique relative aux lois de finances.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer ces deux articles qui sont car ils méconnaissent les dispositions de l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances en matière d'affectation de recettes à une dépense.

IV - Sur l'article 40
L'article 40 organise le transfert d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) aux départements, en compensation du transfert de compétences en matière d'insertion prévu par la loi, désormais adoptée par le Parlement, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant le revenu minimum d'activité.
Or ce transfert ne respecte pas le principe de libre administration des collectivités territoriales, tel que précisé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ni les nouvelles règles constitutionnelles inscrites aux troisième et quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.
En premier lieu, la ressource transférée ne peut s'assimiler à une ressource propre.Ainsi, le gouvernement ne respecte pas l'esprit du législateur constitutionnel en transférant une part du produit d'un impôt national sans octroyer aux départements la capacité d'en fixer l'assiette ni surtout le taux. Pour le législateur, en effet, la notion d'autonomie financière et celle de ressources propres impliquaient le pouvoir de voter les taux et de fixer l'assiette d'un impôt affecté.
Le Président de la commission des finances écrivait ainsi dans son rapport pour avis (n° 377) sur le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture relatif à l'organisation décentralisée de la République : « Plus généralement, le projet pose les fondements constitutionnels d'une fiscalité locale dont les collectivités maîtriseraient les éléments principaux, plutôt que d'affectation d'impôts d'État, dont les paramètres demeureraient déterminés par celui-ci, et dont les modalités de répartition échapperaient à l'échelon territorial. »
« De manière synthétique, les ressources propres paraissent devoir se limiter à celles dont les collectivités disposent d'une certaine maîtrise. Selon la direction générale de la comptabilité publique (citée par le rapport de la Commission des lois du Sénat n° 27 du 23 octobre 2002), il devrait s'agir des recettes de fiscalité directe et indirecte, ainsi que des produits du domaine et des produits d'exploitation. »
Enfin, le Président de la commission des finances rappelle opportunément dans ce même rapport ce qu'écrivait un commentateur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : « Il n'y aurait pas, en effet, de libre administration si, faute de pouvoir déterminer le taux de l'impôt, une collectivité territoriale ne pouvait arbitrer entre une charge nouvelle entraînant un surcroît d'imposition et le statu quo. ».
On ne saurait mieux dire comment doit s'apprécier la notion de ressources propres, et au-delà le principe d'autonomie financière.
Or ce n'est pas ce que propose le gouvernement avec le transfert aux départements d'une part du produit de la TIPP pour un montant de 4,9 milliards d'euros. Il ne s'agit en effet assurément pas de transférer du pouvoir fiscal, car la TIPP restera un impôt national, et les départements n'auront pas la possibilité d'en fixer le taux puisque la répartition sera assurée par un simple arrêté ministériel, en fonction de statistiques de consommation. Les départements n'auront donc aucune prise sur cette ressource : ni sur les taux, ni sur l'assiette, ni sur la base.
Il ne s'agit donc en aucune manière de doter les départements d'une nouvelle ressource propre, mais purement et simplement d'instaurer à leur profit un nouveau prélèvement sur recettes, comme l'est par exemple la dotation globale de fonctionnement. C'est donc bien à une réduction du ratio ressources propres sur ressources totales des départements, et donc de leur autonomie financière, que conduirait l'article 40 du projet de loi de finances pour 2004.
Cette disposition méconnaît donc l'intention de législateur constitutionnel de doter les collectivités territoriales de ressources sur lesquelles elles disposent d'une maîtrise totale, voire partielle, mais en tout état de cause leur assurant au minimum la capacité de voter les taux des impositions qui leurs sont affectées. L'entrée en vigueur de ce dispositif, en ce qu'elle assimilerait le transfert du produit d'un impôt national, sans le pouvoir d'en voter les taux, à des ressources propres, pourrait ouvrir la porte à une suppression de la fiscalité locale au profit de transferts massifs du produit d'impositions nationales.
On voit bien qu'une interprétation trop extensive de la notion de ressources propres aurait des effets totalement paradoxaux et de nature à affaiblir in fine le principe de libre administration des collectivités territoriales.
En second lieu, la diminution de l'autonomie financière des départements ne respecte pas l'esprit de la Constitution. Au-delà de la définition de la notion de ressources propres, il convient de préciser quel est le niveau en deçà duquel la part des ressources propres n'est plus déterminante, ce niveau n'étant pas défini dans la Constitution. Le gouvernement n'a guère été explicite durant le débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle. Le ministre délégué aux libertés locales déclarait ainsi lors des débats que : « Pour répondre à votre question, « déterminant », cela veut dire « qui donne un sens ». En l'occurrence, il s'agit d'assurer l'autonomie financière des collectivités locales. Il faut que la part des ressources propres soit d'un montant tel qu'elle détermine la liberté des collectivités. ».
En tout état de cause, il apparaît que la nouvelle disposition constitutionnelle vient renforcer l'exigence posée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. A l'occasion de l'examen de la saisine relative à la suppression de la « vignette » et de sa compensation pour les départements par une dotation, le Conseil constitutionnel a ainsi estimé « que les dispositions critiquées, si elles réduisent encore la part des recettes fiscales des collectivités territoriales dans l'ensemble de leurs ressources, ne le font pas au point d'entraver leur libre administration » (décision n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000). Dans une décision de 1991 (n° 91-298 DC du 24 juillet 1991), le Conseil avait estimé que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ».
Ces décisions posent donc que le niveau actuel d'autonomie, pour chaque type de collectivités locales, est conforme à la Constitution. De même, le Conseil n'aurait pas manqué de signaler que la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 avait pour effet de rendre inconstitutionnelle la situation actuelle, et aurait demandé au législateur de corriger sans tarder cette situation. Il ne l'a pas fait.
La question dès lors posée est de savoir s'il est possible de diminuer le taux d'autonomie fiscale des départements, comme le prévoit le projet de loi de finances pour 2004.
Jugée à l'aune du principe de libre administration, la disposition critiquée réduit bien « la part des recettes fiscales des collectivités territoriales dans l'ensemble de leurs ressources (...) au point d'entraver leur libre administration ». Le taux d'autonomie fiscale des départements, actuellement de 51,3 %, diminuerait, après le transfert d'une part du produit de la TIPP, de l'ordre de 5 points, pour s'établir nettement en dessous de 50 %. Cette diminution n'est compatible ni avec le principe de libre administration, ni avec l'esprit de la réforme constitutionnelle.
Soit le nouveau principe constitutionnel n'ajoute rien à celui de la libre administration et, s'il demeure possible de diminuer encore la part relative des recettes propres des collectivités locales dans leurs ressources totales, c'est avec mesure et non pas de façon massive comme le prévoit l'article 40 du projet de loi de finances pour 2004 ; soit le nouveau principe constitutionnel constitue une évolution par rapport à la situation actuelle, comme c'était l'ambition du gouvernement.
Dans ce cas, il faut considérer que l'affirmation de ce nouveau principe revient à figer, une fois pour toute, le niveau actuel des ressources propres et d'en faire un plancher, que l'on ne peut donc plus franchir à la baisse. Dès lors, toute diminution de la part relative des ressources propres, comme celle proposée ici, serait inconstitutionnelle.
On notera que c'est bien cette dernière orientation que semble proposer le projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 octobre dernier.
Certes, faute d'être entré en vigueur, le plancher prévu à l'article 3 du projet de loi organique ne peut être opposé à l'article 40 du projet de loi de finances pour 2004. Pour autant, le principe constitutionnel de libre administration s'impose. Or il implique que, en l'état du droit, le taux d'autonomie des départements ne soit pas diminué dans des conditions telles que cela constituerait une entrave à la libre administration.
L'article 40 critiqué se contente en effet de transférer une somme strictement équivalente à la charge dont il se désengage. Ce faisant, s'il semble respecter formellement le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, il méconnaît en tout état de cause le deuxième alinéa de ce même article puisqu'il diminue le taux d'autonomie fiscale.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer cette disposition qui méconnaît non seulement le principe de libre administration tel que défini par la jurisprudence du Conseil constitutionnel mais encore plus sûrement le nouveau principe d'autonomie financière défini à l'article 72-2 de la Constitution.
En troisième lieu, la nature et le montant de la ressource transférée ne permettent pas de respecter le principe de l'équivalence entre les charges et les ressources transférées.
Le gouvernement assure que le produit de la TIPP - qui représente l'essentiel des ressources transférées - est suffisamment dynamique pour couvrir la progression des charges, qu'il ne nie pas, à laquelle les collectivités locales auront à faire face. L'affirmation selon laquelle la TIPP serait une ressource spontanément dynamique et totalement corrélée à la croissance du PIB est tout simplement fausse.
En réalité, de 1991 à 2001 la consommation de carburants - sur laquelle est indexée la part de TIPP transférée aux départements a augmenté de 15 % quand la croissance française progressait de près de 20 % ! Ainsi, alors que le produit de la TIPP représentait 1,94 % du PIB en 1994, son poids est tombé à 1,6 % en 2001.
Cette faible progression de la consommation de carburants est cohérente avec les engagements pris par la France en matière de réduction des émissions gaz à effet de serre, au premier rang duquel figure le CO², dans le cadre du protocole de Kyoto. La France s'est en effet engagée en 1997 à stabiliser le niveau de ses émissions à l'horizon 2008-2012. Par ailleurs, le Commissariat général au Plan a élaboré, en septembre 1998, les perspectives énergétiques de la France à l'horizon 2020. Le scénario volontariste de ces perspectives prévoit que les pouvoirs publics veillent à ce que le développement économique soit compatible avec les exigences de santé publique et de restauration de la qualité de l'environnement. Autant d'objectifs que le Président de la République a fait siens. Selon ce scénario, la consommation finale de produits pétroliers diminuerait pour atteindre 73,2 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2020. Quant à l'hypothèse médiane, elle fait apparaître une stagnation de la consommation.
On comprend donc bien que l'affirmation d'une croissance spontanée de la consommation des produits pétroliers ne repose sur aucun fondement. Dès lors, si le produit de la TIPP devait progresser, ce serait exclusivement du fait d'une hausse de la pression fiscale, comme on l'a d'ailleurs constaté dans la période récente.
La comparaison de l'évolution des recettes de la TIPP, des dépenses au titre du RMI et de l'indice de progression de la DGF entre 1993 et 2002 est tout aussi éclairante. Selon le rapport pour avis du sénateur Mercier sur le projet de loi portant décentralisation du RMI et créant le RMA, les dépenses au titre du RMI ont progressé de 85 % sur la période, la progression de la DGF a été de 25,3 % et celle des recettes de TIPP de seulement 24,3 % !
Priver les collectivités territoriales du pouvoir de voter le taux de cet impôt, dont seul le produit leur est transféré, revient donc à contraindre les collectivités territoriales à assister passivement à la création d'un écart chaque année plus grand entre les besoins à financer et les ressources disponibles.
Le danger n'est pas hypothétique mais au contraire certain. Le Gouvernement a d'ailleurs contribué à accentuer cet écart en ayant pris un certain nombre de décisions, qui entreront en vigueur en 2004, qui sont de nature à accroître significativement le nombre d'allocataires du RMI à partir de 2004, sans augmentation concomitante des ressources. C'est le cas notamment des restrictions dans le bénéfice de l'Allocation Spécifique de Solidarité (ASS), qui feront sortir, selon une note du ministère des affaires sociales destinée aux directions déconcentrées du travail, près de 250 000 du système de l'assurance chômage. Parmi ces personnes, le ministère estime que 75 % d'entre elles deviendront allocataires du RMI, soit près de 190 000 !
Cette décision, prise parallèlement au transfert du RMI aux départements, constitue un transfert net de charges qui pèsera lourdement sur les budgets départementaux.
C'est d'ailleurs pour tenter d'y répondre partiellement que le Gouvernement a consenti à instaurer une clause de revoyure qui permettra, au titre des années suivantes, d'ajuster la compensation de manière définitive au vu des comptes administratifs des départements pour 2004. Il reste que l'essentiel des effets financiers induits par les décisions de l'Etat se feront sentir non pas en 2004 mais en 2005.
De même que les décisions relatives à l'ASS vont entraîner un transfert de charge au détriment des départements, la création du RMA va entraîner un surcoût pour les départements. Ce surcoût est estimé dans le rapport pour avis rédigé au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le projet de loi portant décentralisation du RMI et créant le RMA à 20 millions d'euros en régime de croisière.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer pour ces motifs la disposition.

V - Sur l'article 60
L'article 60 définit les limites de déduction des cotisations versées au titre de l'épargne retraite et des cotisations de retraite et de prévoyance. Il procède également à la suppression du dispositif particulier d'encouragement fiscal à l'épargne que représentait le « plan d'épargne populaire ».
Cet article, en mettant en place le « Plan d'épargne populaire pour la retraite (PERP) représente ainsi le versant fiscal du dispositif introduit, sous le nom de « Plan d'épargne individuelle pour la retraite » (PEIR) dans la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Cette précision est essentielle pour apprécier l'objectif de la loi dans le cadre du contrôle du respect du principe d'égalité, de même que l'exposé des motifs du présent article, qui indique que la création du PERP vise à « permettre à chaque Français de se constituer une épargne en vue de la retraite grâce à un régime fiscal incitatif ».
A cette fin, l'article 60 propose de définir un régime de déduction globale du revenu net global des cotisations versées au titre de la constitution d'une épargne retraite, ainsi que, parallèlement, un régime de déduction des revenus professionnels des cotisations de retraite et de prévoyance.
En limitant ainsi le régime incitatif à la constitution d'une épargne retraite, cet article introduit une rupture d'égalité entre les citoyens qui ne bénéficieront pas du même traitement selon qu'ils seront imposables ou non. Ce faisant, cet article méconnaît les principes à valeur constitutionnelle énoncé dans le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, selon lequel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
En effet, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le législateur doit, « pour assurer le respect du principe, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose » (Décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997).
La mise en place d'une incitation fiscale à la constitution d'une épargne en vue de la retraite aurait pu être admise, sur un strict plan juridique, dans la mesure où elle s'adresserait à l'ensemble des français, la différence de traitement fiscal des sommes ainsi épargnées au sein d'un PERP, au regard d'autre produits d'épargne, pouvant se justifier en fonction de l'objectif général de la loi de « permettre à chaque français de se constituer une épargne en vue de la retraite grâce à un régime fiscal incitatif ».
Comme le rappelait le ministre des Affaires sociales François Fillon, lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, le but du dispositif proposé - dont l'article 60 vient fixer les plafonds et modalités, est de « permettre à tous de se constituer une épargne en vue de la retraite, dans des conditions de sécurité satisfaisantes et dans le respect du principe d'égalité devant l'impôt » (2ème séance du mercredi 2 juillet 2003). Il indiquait ensuite que « la discussion nous conduira à traiter du crédit d'impôt, dont le montant a vocation à être fixé non pas dans ce projet, mais dans celui de la loi de finances ».
Le rapporteur pour avis au nom de la commission des finances sur le projet de loi de réforme des retraites indiquait pour sa part, avec l'assentiment marqué de la majorité et notamment du président du principal groupe de celle-ci, que « S'agissant de l'aspect fiscal du dispositif, l'article 81 prévoit une certaine déductibilité dans la limite d'un plafond qui sera fixé dans la loi de finances. Il est prévu un crédit d'impôt. Il faut encourager les non-imposables à épargner. Ce que nous avons fait en prévoyant une retraite garantie ne doit pas être oublié, mais il faut aussi encourager l'épargne-retraite dans cette catégorie (...) Une prime pourrait être injectée dans leur plan d'épargne-retraite. Il n'y a pas lieu d'en fixer aujourd'hui le montant ».
Il indiquait également que « Les fonds d'épargne-retraite doivent être une liberté d'épargne offerte à tous les contribuables. L'incitation fiscale doit donc toucher le plus grand nombre de concitoyens. C'est pourquoi, nous substituerons un crédit d'impôt au régime d'exonération d'impôt sur le revenu des versements au fonds d'épargne-retraite. Cela répond à l'objection de ceux qui nous accusent de ne nous intéresser qu'à la moitié de la population » (3ème séance du 2 juillet 2003).
L'intention du législateur était donc particulièrement claire à cette occasion, et démontrait sa volonté, pour assurer le respect du principe d'égalité, de mettre en place un dispositif de crédit d'impôt afin qu'il s'adresse effectivement à l'ensemble des citoyens, qu'ils soient imposables ou non au titre de l'impôt sur le revenu, et non pas uniquement, comme le prévoit l'article 60, un système de déduction du revenu qui par définition ne saurait être incitatif pour des personnes initialement non imposables.
Il n'est pas indifférent à ce titre de rappeler que selon les statistiques fournies par le rapporteur général seuls 17,48 millions de foyers sont considérés comme imposables pour l'imposition des revenus de l'année 2002 (Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2004 première lecture, n°110 tome 2), sur un total supérieur à 32 millions de foyers. Il faut également noter que le législateur a, a contrario, pris soin d'éviter l'exclusion des personnes ne disposant pas de revenus professionnels propres - notamment, comme il le signale dans les documents de présentation du projet de loi, les personnes n'ayant pas d'activité professionnelle - mais qui resteraient néanmoins imposables, en prévoyant une possibilité de déduction sous un plafond de 10 % du montant annuel du plafond dit « de sécurité sociale » mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale.
L'exclusion de près de la moitié des ménages des bénéfices de la mesure constitue une rupture flagrante du principe d'égalité, d'autant qu'elle est évidemment contraire à l'objet même de la loi du 21 août 2001 qui est de permettre à tous les Français de se constituer une épargne en vue de compenser la dégradation du taux de remplacement procuré par les régimes de retraite par répartition.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer cette disposition.

VI - Sur l'article 71
L'article 71 a pour objet de contraindre les collectivités locales à une information préalable de l'Etat lorsque des mouvements de fonds importants sont susceptibles d'affecter le compte dit « compte du Trésor ». C'est sur ce compte unique, géré par l'Agence France Trésor, service à compétence nationale de la direction du Trésor au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, que leurs fonds libres doivent être déposés par les collectivités locales, et un grand nombre d'établissements publics.
Le dispositif de l'article 71 est particulièrement succinct. Il est seulement prévu que les collectivités locales et leurs établissements publics informent l'Etat avant toute opération affectant ce compte. Il est précisé qu'il s'agit là d'une obligation d'information préalable, dont les seuils et conditions de mise en oeuvre sont renvoyés à un décret en Conseil d'Etat.
Pourtant, la lecture de l'exposé des motifs indique clairement que l'intention du gouvernement est la mise en place d'un dispositif qui portera directement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, au principe de libre disposition de leurs ressources tels que définis à l'article 72-2 de la Constitution introduit par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
L'article 72-2 de la Constitution dispose dans son premier alinéa que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans des conditions fixées par la loi ». La restriction apportée par cet article soumis à l'appréciation du Conseil constitutionnel est particulièrement large si l'on en juge par l'exposé des motifs qui l'accompagne et qui permet d'éclairer l'intention du gouvernement. Celui-ci indique en effet que « Dans ce cadre et compte tenu de ses impératifs, l'Agence France Trésor pourra ne pas exécuter une opération qui n'aurait pas été annoncée. L'exécution de l'opération serait reportée d'une journée ouvrée dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat ».
Plus largement, le renvoi de l'ensemble des conditions d'application de cet article, y compris - selon l'exposé des motifs - la définition d'une possibilité pour un service du ministère de l'économie et des finances de refuser l'exécution d'une opération décidée par une collectivité locale, est directement contraire à l'article 34 de la Constitution qui attribue au législateur le soin de déterminer les principes fondamentaux relatifs « à la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ».
Dans sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, le Conseil constitutionnel avait ainsi rappelé que le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, imposer des sujétions aux collectivités locales mais à condition « qu'elles ne méconnaissent pas (leur) compétence propre (...) qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée ».
Tel n'est évidemment pas le cas dans l'article 71 soumis à l'appréciation du Conseil constitutionnel puisque le dispositif procède à un renvoi quasi intégral à un décret en Conseil d'Etat et ne fait notamment aucune mention d'une possibilité de refus d'exécution d'une opération non annoncée, pourtant clairement envisagée par le Gouvernement.
A tout le moins, le Conseil constitutionnel censurera donc la disposition dans la mesure où le législateur n'a pas épuisé toute sa compétence.

VII - Sur l'article 82
L'article 82 met en place un forfait unifié de prise en charge des dépenses de couverture maladie universelle complémentaire relevant d'un caisse d'assurance maladie complémentaire ou d'un organisme complémentaire.
Il s'agit plus précisément d'instituer par le I de cet article un forfait restant directement à la charge des caisses primaires d'assurance maladie, comme c'est le cas actuellement pour les organismes complémentaires, dans le cadre du financement de la couverture maladie universelle complémentaire instituée par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 créant la couverture maladie universelle, qui prévoit pour tous les résidents sur le territoire français la prise ne charge des soins par un régime d'assurance maladie et pour ceux dont les ressources sont les plus faibles le droit à une protection complémentaire et à la dispense d'avances des frais.
Le I de cet article constitue une modification importante de l'équilibre mis en oeuvre par la loi n°99-641 du 27 juillet 1999 en revenant sur la différence de traitement financier des différents organismes qui contribuent au financement de la couverture maladie universelle complémentaire.
Dans la décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999, le Conseil constitutionnel a justifié clairement cette différence de traitement, dans la mesure où les caisses d'assurance maladie agissant au nom de l'Etat, il était normal de considérer qu'elles étaient remboursées intégralement par l'Etat des frais engagés pour le financement de la couverture maladie universelle complémentaire. En revanche, les organismes complémentaires agissaient en leur qualité d'assureur.
Les différences ainsi établies par la loi sont donc justifiées du point de vue de leur participation à l'organisation et au financement de la couverture maladie universelle complémentaire au regard des buts fixés par la loi.
En unifiant une participation financière des organismes complémentaires et des caisses primaires d'assurance maladie, l'article 82 revient non seulement sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais bouleverse un équilibre financier justifié au regard de l'objet de la loi.
Sous couvert d'égalité, le forfait unifié mis en place oublie la différence de situations des caisses de sécurité sociale et des organismes complémentaires. Les caisses de sécurité sociale ne sont pas des organismes d'assurance. Pour s'en convaincre, il est utile de faire référence au rapport pour avis du Sénat sur les crédits du budget de la santé. M. Gilbert Barbier, rapporteur pour avis, a clairement affirmé que « cela permet de mettre les organismes complémentaires et les régimes obligatoires sur un pied d'égalité pour la gestion de cette prestation ».
Le fait d'assimiler ainsi les caisses primaires d'assurance maladie à un assureur complémentaire fait courir un risque juridique important à la couverture maladie universelle complémentaire. En étant assimilée à un risque d'assurance, elle pourrait perdre son statut de prestation d'Etat, et être ainsi considérée comme une activité économique.
Cet article entraîne ainsi un bouleversement de l'architecture de l'assurance maladie qui semble peu maîtrisée, et qui à tout le moins, ne peut être évoqué par le seul prisme de cette disposition dans le cadre de la loi de finances.
Elle entraîne par ailleurs une charge nouvelle pour les caisses primaires d'assurance maladie au mépris par ailleurs de l'équilibre financier de la sécurité sociale, qui constitue, selon les termes de la décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002, un « objectif de valeur constitutionnelle ».