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Décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003 - Observations du gouvernement

Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile
Conformité

I/ Sur l'article 1er
A/ L'article 1er de la loi déférée modifie l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Le paragraphe I du nouvel article 2 confie à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le soin d'exercer la protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides ainsi que celle des bénéficiaires de la protection subsidiaire et d'assurer l'application des garanties fondamentales offertes par le droit national, l'exécution des conventions, accords et arrangement internationaux intéressant la protection des réfugiés en France. Le paragraphe II dispose que l'office statue sur les demandes d'asile dont il est saisi après avoir entendu le demandeur mais précise qu'il peut se dispenser de le convoquer à cette audition s'il s'apprête à prendre une décision positive, si le demandeur d'asile a la nationalité d'un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l'article 1er de la convention de Genève, si les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés ou si des raisons médicales interdisent de procéder à l'entretien. Le paragraphe III qualifie les persécutions prises en compte pour l'octroi de la qualité de réfugié et les menaces graves conduisant au bénéfice de la protection subsidiaire, précise que les autorités susceptibles d'offrir une protection peuvent être les autorités de l'Etat ou des organisations internationales, prévoit que l'office peut rejeter la demande d'asile d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine. Le paragraphe IV de l'article 2 de la loi de 1952 modifiée précise, enfin, les cas dans lesquels la protection subsidiaire n'est pas accordée.
Les auteurs des recours reprochent aux dispositions du paragraphe II de l'article 2 de la loi de 1952 modifiée de méconnaître le droit d'asile consacré par la Constitution en privant certains demandeurs du droit à l'examen individuel de leur dossier et d'être contraires au principe d'égalité devant la loi. Ils soutiennent, en outre, que les dispositions du paragraphe III portent atteinte aux garanties essentielles du droit d'asile. Ils considèrent, enfin, que les dispositions du paragraphe IV méconnaissent le droit d'asile et qu'elles sont entachées d'une imprécision qui les rend contraires à la Constitution.
B/ Ces différentes critiques ne pourront être retenues par le Conseil constitutionnel.
1/ S'agissant, en premier lieu, des griefs formulés à l'encontre du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952 modifié par l'article 1er de la loi déférée, il faut d'abord rappeler qu'il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels, les mesures applicables au séjour des étrangers en France. Le droit d'asile fait l'objet d'une protection constitutionnelle particulière, fondée sur le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Comme l'énonce le Conseil constitutionnel dans ses décisions récentes, c'est au législateur qu'il incombe d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle (décision n°97-389 DC du 22 avril 1997 ; décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003).
Au cas présent, la disposition critiquée du b) du II de l'article 2 de la loi de 1952 résultant de la loi déférée ne peut être regardée comme privant d'une garantie légale l'exigence constitutionnelle résultant du Préambule de 1946. Le II prévoit, en effet, que l'office statue en règle générale sur les demandes d'asile dont il est saisi après avoir convoqué le demandeur à une audition. On peut observer que la loi déférée est la première à imposer le principe d'une convocation à une audition des demandeurs d'asile au cours de la procédure devant l'office ; il ne s'agissait auparavant que d'une simple pratique administrative de l'office, dont les conditions n'étaient pas précisément organisées.
Le législateur a certes prévu que l'office pourra se dispenser de l'audition dans certains cas limitativement énumérés, notamment lorsqu'il s'apprête à faire droit à la demande, lorsque les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés ou lorsque le demandeur a la nationalité d'un pays pour lequel joue la clause dite de « cessation » du 5 du C de l'article 1er de la Convention de Genève. Cette clause, qui a été énoncée par la Convention de Genève pour le cas des personnes qui avaient été admises au statut de réfugié, prévoit que la protection de la convention cesse si les circonstances à la suite desquelles la qualité de réfugié a été reconnue ont cessé d'exister, tout en faisant la réserve des cas particuliers pour lesquels des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures peuvent justifier que la protection soit maintenue. Outre le cas des réfugiés, on peut noter que le législateur a déjà fait référence à cette clause à l'égard de demandeurs d'asile mais aux seules fins de permettre la mise en oeuvre de la procédure prioritaire d'examen des demandes d'asile (V. le 2 ° de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952, dans sa rédaction antérieure à la loi déférée et résultant de la loi n°98-349 du 11 mai 1998).
Cette dispense d'entretien, telle qu'elle est envisagée par la disposition critiquée de la loi déférée, ne porte atteinte à aucune garantie légale nécessaire à la protection constitutionnelle du droit d'asile. On peut relever que le Conseil constitutionnel n'a pas estimé à ce jour que l'audition systématique du demandeur d'asile figurerait au nombre des garanties légales du droit d'asile. La convention de Genève n'impose d'ailleurs pas davantage une telle obligation. Surtout, il faut souligner que la disposition critiquée n'a ni pour objet ni pour effet de dispenser l'office de procéder à un examen individuel de la situation du demandeur. Cet examen individuel demeure systématique ; il est de nature à permettre de prendre en compte d'éventuelles raisons impérieuses liées à des persécutions antérieures, alors même que la situation du pays a aujourd'hui changé de telle sorte qu'il entre aujourd'hui dans les prévisions du 5 du C de l'article 1er de la Convention. Au surplus, la disposition de la loi déférée ne se traduit nullement par une dispense systématique de l'audition du demandeur d'asile : elle se borne à permettre à l'office de se dispenser de l'audition, mais l'audition est toujours possible si l'office le décide, ce qu'il fera en particulier à chaque fois que l'audition lui apparaîtra utile après avoir procédé à l'examen particulier du cas du demandeur.
Dans ces conditions, il apparaît que le législateur n'a pas privé les exigences constitutionnelles de garanties légales en mettant en place une telle procédure pour le cas de demandeurs ressortissants de pays dont la situation ne justifie plus, à la date de la demande, que l'on accorde aux intéressés la protection de la Convention de Genève.
Il n'apparaît pas davantage que l'institution de cette faculté procédurale laissée à l'office serait contraire au principe d'égalité. Le critère retenu par le législateur, qui prend en considération les pays pour lesquels a été mise en oeuvre la clause de « cessation » du 5 du C de l'article 1er de la Convention de Genève, présente un caractère objectif, rationnel et pertinent au regard de l'examen des demandes d'asile. Les personnes qui sont ressortissants de ces pays ne sont objectivement pas, au regard de l'asile, dans la même situation que les demandeurs ressortissants d'autres pays. Le législateur a, dans ces conditions, pu prévoir sans méconnaître le principe d'égalité que l'office pourrait se dispenser de convoquer à une audition les ressortissants de ces pays.
2/ En deuxième lieu, le paragraphe III de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952 résultant de l'article 1er de la loi déférée définit les persécutions prises en compte dans l'octroi de la qualité de réfugié et les menaces graves pouvant donner lieu au bénéfice de la protection subsidiaire, en précisant que ces persécutions ou menaces peuvent être le fait des autorités de l'Etat, de partis ou d'organisations qui contrôlent l'Etat ou une partie substantielle du territoire de l'Etat mais aussi d'acteurs non étatiques dans les cas où les autorités de l'Etat, voire celles d'organisations internationales ou régionales, refusent ou ne sont pas en mesure d'offrir une protection. La loi renonce ainsi à faire de l'origine étatique des persécutions le critère exclusif de l'octroi du statut de réfugié. En corollaire, elle envisage que l'on puisse refuser le bénéfice de l'asile aux personnes qui auraient accès à une protection sur une partie du territoire de leur pays d'origine si elles n'ont aucune raison de craindre d'y être persécutées ou d'y être exposées à une atteinte grave. Cette possibilité nouvelle est directement liée à l'évolution de la législation sur l'origine des persécutions : dès lors que l'on peut désormais prendre en considération des persécutions qui, n'étant pas d'origine étatique, peuvent de ce fait être localisées sur une partie seulement du territoire d'un Etat, on peut légitimement réserver l'hypothèse où les victimes de ces persécutions disposeraient d'une protection suffisante sur d'autres parties du territoire.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs des recours, ces nouvelles dispositions ne portent pas atteinte aux exigences constitutionnelles sur le droit d'asile, compte tenu des conditions et garanties énoncées par le législateur.
En effet, la possibilité de refuser l'asile à une personne qui a accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine où elle n'a aucune raison de craindre d'être persécutée ne peut, en soi, être regardée comme mettant en cause le droit d'asile. Par hypothèse, un tel refus ne peut être opposé qu'en l'absence de risque de quelque nature que ce soit pour le demandeur, qui peut rejoindre une zone sûre de son pays d'origine et y vivre en bénéficiant d'une protection adéquate. En l'absence de crainte réelle de persécution, on ne peut soutenir que la disposition critiquée porterait atteinte au droit d'asile constitutionnellement protégé.
Il faut ajouter que le législateur a pris soin de préciser soigneusement les conditions mises au rejet des demandes d'asile dans une telle hypothèse. Cette possibilité ne peut être mise en oeuvre que pour autant que le demandeur n'aura « aucune raison » de craindre des persécutions, et à la condition qu'il apparaisse « raisonnable d'estimer » qu'il pourra rester dans la partie du pays considérée. Le législateur impose, en outre, à l'office de tenir compte des conditions générales prévalant dans cette partie du territoire, de la situation personnelle du demandeur ainsi que de l'auteur de la persécution au moment où il est statué sur la demande. Cela conduira notamment l'office à s'assurer que le demandeur ne risquera en aucun cas de se trouver face à ceux qui l'ont persécuté. Le respect de ces conditions précises et rigoureuses est placé sous le contrôle du juge. En outre, même lorsque ces conditions seront réunies, l'office ne sera pas placé en situation de compétence liée pour rejeter les demandes d'asile : le législateur lui a maintenu un complet pouvoir d'appréciation lui permettant de faire droit, en toute hypothèse, aux demandes qui lui seront présentées.
On peut faire valoir, au surplus, que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés admet la compatibilité avec la Convention de Genève du rejet de demandes d'asile dans de telles circonstances. Il considère, dans le cas de persécutions qui ne sont pas d'origine étatique, que la crainte d'être persécuté ne doit pas nécessairement s'étendre à l'ensemble du territoire du pays considéré et admet que l'on puisse refuser le statut de réfugié si on peut « raisonnablement » attendre d'une personne qu'elle puisse chercher refuge dans une autre partie du pays.
On peut encore relever que le projet de directive communautaire relative au statut de réfugié, qui fait actuellement l'objet de négociations, prévoit un mécanisme analogue à celui mis en place par la loi déférée. Ce projet envisage de permettre aux Etats membres de refuser la protection lorsque, dans une partie du pays d'origine, l'intéressé n'a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Par ailleurs, la critique adressée à la disposition du paragraphe III qui prévoit que les autorités susceptibles d'offrir une protection peuvent être des organisations internationales et régionales pourra être écartée, dès lors qu'une telle protection ne sera reconnue que si l'organisation internationale ou régionale considérée exerce effectivement un contrôle suffisant sur le pays ou sur la zone en cause et qu'elle est en mesure d'y faire respecter les droits de la personne. On peut d'ailleurs noter, à cet égard, que le législateur a exclu de prendre en considération les protections qui pourraient résulter de l'action d'autres organisations que les organisations internationales ou régionales.
3/ En troisième lieu, seront également écartés les griefs articulés contre le paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952, résultant de l'article 1er de la loi déférée, déterminant les cas dans lesquels la protection subsidiaire n'est pas accordée. La loi prévoit, notamment, que la protection subsidiaire est refusée aux personnes pour lesquelles il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime grave de droit commun ou dont l'activité constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.
On doit au préalable souligner que ces motifs d'exclusion valent uniquement pour la protection subsidiaire et qu'ils ne s'appliquent ni aux personnes relevant de la convention de Genève, dont l'article 1er F prévoit des cas spécifiques d'exclusion, ni aux personnes relevant du Préambule de la Constitution de 1946. La disposition critiquée du IV ne saurait par suite, en aucune manière, être regardée comme portant atteinte au droit d'asile et comme privant de garanties légales l'exigence constitutionnelle résultant du Préambule. A propos d'une protection qui ne procède ni d'une exigence constitutionnelle ni d'une obligation internationale, le législateur a estimé justifié de ménager un équilibre entre les nécessités de cette protection et la sauvegarde de l'ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. En tout état de cause, on peut noter que la personne qui ne remplirait ni les conditions pour obtenir le statut de réfugié, ni celles de la protection subsidiaire, en particulier parce qu'elle relèverait des clauses d'exclusion, bénéficiera si elle établit être exposée à des risques pour sa vie ou sa liberté ou à des traitements et peines inhumains ou dégradants au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, de la protection à l'égard de toute mesure d'éloignement prévue à l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
S'agissant de la notion de crime grave de droit commun figurant au b) du paragraphe IV, il n'apparaît pas que le législateur serait demeuré en deçà de sa compétence. On peut observer que cette notion est suffisamment précise en elle-même et qu'elle sera mise en oeuvre sous le contrôle de la Commission des recours des réfugiés et celui du Conseil d'Etat. Elle est d'ailleurs reprise de la Convention de Genève dont le b) du F de l'article 1er précise que les termes de la convention ne sont pas applicables aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un « crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiées ». Il est vrai que ces dernières restrictions résultant de la convention (V. CE Sect 25 septembre 1998, Rajkumar, Rec. p.342) n'ont pas été reprises par le législateur pour déterminer les motifs d'exclusion de la protection subsidiaire ; mais il n'était nullement tenu de le faire.
Il résulte, en tout état de cause sans imprécision, des termes de la loi que le législateur a entendu, par opposition à ce que prévoit la Convention de Genève, que la commission en France d'un crime grave de droit commun puisse aussi constituer un motif de refus de la protection subsidiaire. Pour ce qui concerne les crimes commis hors de France, il y aura lieu de retenir la même interprétation de la notion de « crime grave de droit commun » que celle qui est faite pour l'application de la Convention de Genève (V. par exemple CE Ass 25 septembre 1984, Lujambio Galdeano, Rec. p.308 ; 15 mai 1996, Ressaf, Rec. p.185 ; 23 février 2001, Tat, n°205949 à mentionner aux tables). Pour les crimes commis en France, il devra naturellement être fait application des dispositions pénales françaises.
S'agissant du motif tiré de la menace grave pour l'ordre public, il faut relever qu'aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur, lorsqu'il détermine le régime de la protection subsidiaire, décide qu'une activité constituant une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat peut constituer un motif d'exclusion de la protection subsidiaire. En retenant une telle exclusion, le législateur a pris en considération, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, l'objectif constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public. Au surplus, on peut observer que des préoccupations d'ordre public sont d'ores et déjà prises en compte en matière d'asile, que ce soit par la Convention de Genève (V. son article 33) ou au travers des dispositions relatives à l'entrée ou au séjour des étrangers en France, en particulier celles relatives à l'asile territorial remplacé par la protection subsidiaire. S'il est vrai que ces appréciations ne sont pas, en l'état de la législation en vigueur, portées par l'Office de protection des réfugiés et apatrides, il n'apparaît pas que le législateur aurait méconnu une exigence constitutionnelle en lui confiant désormais le soin de la porter s'agissant de motifs d'exclusion de la protection subsidiaire.

II/ Sur les articles 2 et 5
A/ L'article 2 de la loi déférée modifie l'article 3 de la loi du 25 juillet 1952. Il prévoit notamment que le conseil d'administration de l'office fixe, pour la période comprise entre la date d'entrée en vigueur de la loi et l'adoption de dispositions communautaires en la matière, la liste des pays considérés comme des pays d'origine sûrs. Il détermine également les conditions dans lesquelles le directeur général de l'office, à la demande du ministre de l'intérieur, communique à des agents habilités des documents d'état civil ou de voyage, ou copie de ces documents, permettant d'établir la nationalité de personnes dont la demande d'asile a été rejetée, afin de mettre en oeuvre une mesure d'éloignement.
L'article 5 de la loi déférée, modifiant l'article 10 devenu 8 de la loi de 1952, prévoit notamment que l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut être refusée s'il a la nationalité d'un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l'article 1er de la Convention de Genève ou d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr. Il fixe en outre les critères permettant de qualifier un pays d'origine sûr.
Les parlementaires requérants critiquent ces dispositions en soutenant qu'elles portent atteinte aux garanties essentielles du droit d'asile, qu'elles résultent de la Constitution ou de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Ils soutiennent, en outre, qu'elles seraient entachées d'incompétence négative, qu'elles méconnaissent l'article 21 de la Constitution, qu'elles seraient contraires au principe d'égalité, au principe des droits de la défense ainsi qu'au droit de voir son dossier examiné individuellement. Ils estiment, enfin, que la communication de documents aux agents du ministère de l'intérieur serait contraire au quatrième alinéa du Préambule de 1946, priverait de garantie légale cette exigence constitutionnelle et serait entachée d'incompétence négative.
B/ Ces différents griefs ne sont pas fondés.
1/ En premier lieu, les dispositions des articles 2 et 5 mettant en oeuvre la notion de pays d'origine sûrs ne privent pas de garanties légales des exigences constitutionnelles.
Il faut souligner, d'abord, que la circonstance que des demandeurs d'asile soient des ressortissants de pays d'origine considérés comme sûrs ne constitue pas une cause d'irrecevabilité de la demande d'asile. Le législateur n'a pas décidé de priver ces ressortissants du droit de demander la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire. Les dispositions critiquées n'ont ni pour objet ni pour effet de rendre irrecevables les demandes d'asile ; elles ne touchent pas à la substance du droit d'asile. La seule conséquence attachée par le législateur à la notion de pays sûrs est d'ordre procédural : il s'agit de l'application, dans les conditions prévues aux nouveaux articles 8 et 9 de la loi du 25 juillet 1952 résultant de la loi déférée, d'une procédure d'examen prioritaire par l'office et la non délivrance des documents de séjour normalement délivrés aux demandeurs d'asile. Mais, que le demandeur d'asile relève ou non d'un pays d'origine considéré comme sûr, l'office procèdera à un examen individuel de chaque demande avec les mêmes garanties, comme le précise explicitement le 2 ° de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952 tel qu'il résulte de l'article 5 de la loi déférée.
Ce dispositif procédural répond à un objectif d'intérêt général, qui est de dissuader les nombreux demandeurs qui ne sollicitent l'asile que de manière abusive, dans le seul but d'obtenir un droit au séjour provisoire, alors qu'ils ne justifient d'aucune crainte de persécutions ou de mauvais traitements. Le Conseil constitutionnel a déjà admis que l'autorité administrative puisse s'opposer à l'admission au séjour des intéressés dès lors que ces derniers ont le droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce que l'office leur notifie sa décision lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet (décision n°93-325 DC du 13 août 1993). La loi déférée ne remet nullement en cause ces garanties, qui demeurent à l'article 12 devenu 10 de la loi du 25 juillet 1952 modifié par l'article 7 de la loi déférée.
On peut observer, en outre, que le dispositif institué par la loi déférée pour les pays d'origine sûrs ne fait que compléter le mécanisme introduit par la loi du 11 mai 1998 pour les pays pour lesquels a été mise en oeuvre la clause de « cessation » du 5 du C de l'article 1er de la Convention de Genève (V. les articles 10 et 12 de la loi du 25 juillet 1952 dans la rédaction résultant de la loi du 11 mai 1998), dont la conformité à la Constitution n'a pas alors été mise en cause. On peut noter que, dans le cas de la clause de « cessation » comme dans le cas du pays d'origine considéré comme sûr, sont visés des Etats qui présentent aujourd'hui toute garantie, la différence étant que les pays auxquels s'applique la clause de « cessation » ont connu dans un passé récent des périodes troublées qui ont pris fin, alors que les pays considérés comme sûrs n'ont pas nécessairement connu pareille situation.
On doit mentionner, enfin, que la notion de pays d'origine sûr utilisée par le législateur s'apparente aux dispositions qui figurent dans les législations de plusieurs autres pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Suisse) et qu'elle s'inscrit dans le cadre de la négociation communautaire des directives sur l'asile. Au niveau européen, un accord politique a été trouvé sur la définition des pays d'origine sûrs. Les critères en sont stricts : un pays ne peut être considéré comme sûr que si, sur une base légale, en application de la loi dans un système démocratique et en raison des circonstances politiques générales qui y prévalent, aucune des persécutions envisagées par le projet de directive n'est tolérée. La première liste des pays considérés comme sûrs n'a pas encore été arrêtée dans le cadre de la négociation communautaire, mais on peut penser qu'elle comprendra les pays de l'AELE, les pays avec lesquels des négociations d'adhésion sont actuellement engagées et certains pays de l'OCDE.
Ainsi, en ayant recours à cette notion de pays d'origine sûrs, avec les conséquences et sous les réserves indiquées, le législateur n'a porté atteinte à aucune exigence constitutionnelle.
2/ En deuxième lieu, l'invocation par les recours des stipulations de la Convention de Genève ne pourra qu'être écartée comme inopérante.
Selon l'article 61 de la Constitution, les lois ordinaires peuvent, avant leur promulgation, être déférées au Conseil constitutionnel aux fins qu'il se prononce sur leur conformité à la Constitution. Il en résulte qu'il n'appartient pas au Conseil, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un engagement international, lesquelles ne font pas partie du bloc de constitutionnalité (décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975). Les recours ne peuvent, par suite, utilement se prévaloir, à l'encontre de la présente loi, déférée en vertu de l'article 61 de la Constitution, des termes de la Convention relative au statut des réfugiés adoptée à Genève le 28 juillet 1951, dont la ratification a été autorisée par la loi n°54-290 du 17 mars 1954 et qui a été publiée par le décret n°54-1065 du 14 octobre 1954.
Les auteurs des recours se prévalent certes des termes de l'article 88-2 de la Constitution combinés à ceux de l'article 63 du Traité instituant la Communauté européenne dans sa rédaction résultant du traité d'Amsterdam. L'article 88-2 de la Constitution, tel qu'il résulte de la loi constitutionnelle n°99-49 du 25 janvier 1999, dispose que sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité instituant la Communauté européenne dans sa rédaction issue du traité d'Amsterdam, peuvent être consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés. L'article 63 du Traité instituant la Communauté européenne stipule, pour sa part, que le Conseil arrête, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, des mesures relatives à l'asile conformes à la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Les parlementaires requérants se fondent sur la combinaison des dispositions de la Constitution et de l'article 63 du Traité pour estimer que le Conseil constitutionnel pourrait contrôler la conformité de la loi déférée à la Convention de Genève.
Le Gouvernement ne partage pas cette analyse. Il est vrai que le Conseil constitutionnel, en une occasion, a été conduit à estimer que le pouvoir constituant l'avait spécialement habilité, par exception à la règle générale selon laquelle il ne lui appartient pas de se prononcer sur la conformité d'une loi à un engagement international souscrit par la France, à s'assurer que la loi organique prévue par l'article 88-3 de la Constitution respectait l'article 8 B du Traité et la directive communautaire prise pour sa mise en oeuvre (V. la décision n°98-400 DC du 20 mai 1998, tirant les conséquences de la décision n°92-312 DC du 2 septembre 1992). Mais ce raisonnement n'apparaît pas transposable au cas présent, pour les trois raisons suivantes.
En premier lieu, si les dispositions des articles 88-2 et 88-3 de la Constitution utilisent la même formule faisant référence aux « modalités prévues » par un traité européen, il faut souligner qu'elles n'ont pas la même portée. Dans le cas de l'article 88-3, la Constitution a posé une règle de fond en permettant d'accorder aux citoyens de l'Union résidant en France le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales ; il a prévu l'intervention d'une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées pour en déterminer les conditions d'application. Cette règle de fond était subordonnée, par le pouvoir constituant, au respect des modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne. En revanche, dans le cas de l'article 88-2, le pouvoir constituant n'a pas déterminé de règles de fond ; il s'est borné à permettre de consentir à des transferts de compétence dans les domaines touchant à la libre circulation des personnes. La portée des deux articles constitutionnels est ainsi sensiblement différente.
En deuxième lieu, on doit relever que le Conseil constitutionnel était saisi, en 1998, d'une loi organique prise pour déterminer les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution. Dans cette configuration, le lien entre la loi organique, la Constitution et le Traité auquel la Constitution fait explicitement référence peut être regardé comme suffisamment direct pour justifier un examen par le Conseil constitutionnel de la conformité de la loi organique au Traité. Mais il faut souligner qu'au cas présent un tel lien n'existe pas : la loi déférée n'est pas prise « pour l'application » de l'article 88-2 de la Constitution ; elle n'est pas davantage prise sur le fondement de l'article 63 du Traité qui régit des décisions prises par le Conseil de l'Union européenne.
En troisième lieu, il convient de remarquer que le pouvoir constituant, s'il fait référence à l'article 88-2 de la Constitution aux modalités prévues par le Traité instituant la Communauté européenne, ne mentionne pas la Convention de Genève dont la méconnaissance est invoquée par les parlementaires requérants. A supposer que dans le cas de l'article 88-2 il y ait aussi matière à considérer, comme pour l'article 88-3 et en dépit de la différence de portée des dispositions constitutionnelles, qu'il revient au Conseil constitutionnel, sur habilitation spéciale du pouvoir constituant, de s'assurer de la conformité de la loi à un engagement international, cette habilitation ne pourrait être comprise comme visant un autre Traité que celui qui est expressément mentionné par la Constitution. La circonstance que ce Traité, en son article 63 qui régit des décisions prises par les autorités européennes, ait lui-même fait référence à la Convention de Genève ne suffit pas pour admettre que le pouvoir constituant ait entendu habiliter le Conseil constitutionnel à contrôler la conformité à la Convention de Genève d'une loi votée par le Parlement. Il n'y a pas au cas d'espèce de renvoi direct, mais des renvois à deux degrés qui associent des dispositions et des stipulations intervenant dans des ordres juridiques différents. L'article 88-2 de la Constitution, dans l'ordre interne, autorise des transferts de compétence en faisant référence au Traité ; l'article 63 du Traité régit pour sa part des mesures susceptibles d'être prises, dans l'ordre communautaire, par le Conseil de l'Union européenne, sous le contrôle de la Cour de justice. La juxtaposition de ces renvois, qui n'ont ni le même objet ni la même portée, n'a pas pour effet d'habiliter le Conseil constitutionnel à contrôler la conformité de la loi déférée à la Convention de Genève.
Au demeurant, et en tout état de cause, la conformité à la Convention de Genève du mécanisme institué pour le cas des pays d'origine sûrs par la loi déférée n'apparaît pas sérieusement douteuse. Comme il a été dit précédemment, la loi déférée n'a pas pour effet d'instituer une irrecevabilité des demandes d'asile ; elle se borne à mettre en place un mécanisme procédural particulier, sans déroger à la règle de l'examen individuel de chaque demande. On peut aussi relever que la Convention, en prévoyant la clause de « cessation » du 5 du C de l'article 1er, comporte des stipulations dont la portée s'apparente à celle de la notion de pays d'origine sûrs. Pour sa part, le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime que la notion ne saurait conduire à l'irrecevabilité de demandes d'asile, mais il admet qu'elle puisse servir à mettre en place des procédures d'examen accélérées. Il reconnaît en particulier qu'un traitement différencié des demandes, en termes de procédure, peut être admis lorsque l'on peut valablement présumer que les craintes de persécution sont infondées compte tenu de la situation générale du pays considéré.
3/ Les griefs adressés à la disposition de l'article 2 de la loi déférée qui habilite le conseil d'administration de l'office à fixer la liste des pays considérés comme sûrs ne sont pas davantage fondés.
On doit relever, d'une part, que le législateur, qui a confié ce pouvoir au conseil d'administration pour la période comprise entre la date d'entrée en vigueur de la loi déférée et l'adoption de dispositions communautaires en la matière, a défini avec précision les critères permettant de considérer un pays comme étant sûr : le 2 ° de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952, tel qu'il résulte de l'article 5 de la loi déférée, précise explicitement qu'un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En fixant lui-même ces critères et en renvoyant au conseil d'administration de l'office le soin d'arrêter la liste précise des pays sûrs au vu de leur situation, le législateur n'est pas demeuré en deçà de sa compétence. Il faut relever, en outre, que la délibération du conseil d'administration de l'office fixant cette liste présente le caractère d'un acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ; sa légalité pourra être contestée par voie d'action devant le juge administratif dans des conditions qui satisfont aux exigences constitutionnelles.
Il faut indiquer, d'autre part, que l'argumentation des recours fondée sur l'article 21 de la Constitution apparaît inopérante. En confiant au conseil d'administration de l'office le soin d'arrêter une liste de pays, le législateur ne lui a pas attribué un pouvoir réglementaire. En effet, les actes qui se bornent à permettre l'application d'une norme préexistante, en arrêtant une liste ou en définissant un périmètre, sans comporter par eux-mêmes l'édiction d'aucune règle, ne sont pas jugés présenter un caractère réglementaire (V. CE Sect 19 novembre 1965, Epoux Delattre-Floury, Rec. p.623 ; CE 4 janvier 1967, Union des chambres syndicales d'affichage et de publicité extérieure, Rec. tables p.671 ; CE Sect 22 février 1974, Association des propriétaires des communes de Saclas, Saint Cyr, Boissy la Rivière et sieur Payen, Rec. p.134, concl. Gentot ; CE 17 février 1992, Société Sogreta et chambre de commerce et d'industrie de Libourne, Rec. tables p.662 ; CE 16 juin 1995, Association de défense de la corniche basque, Rec. tables p.612). Au cas d'espèce, le conseil d'administration se bornera à arrêter une liste sans être habilité à édicter quelque règle juridique nouvelle que ce soit.
En tout état de cause, on doit souligner que le choix effectué par le législateur de confier au conseil d'administration de l'office - auquel participent le représentant du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et des personnalités qualifiées au nombre desquelles figure au moins un représentant des organismes participant à l'accueil et à la prise en charge des demandeurs d'asile et des réfugiés - ne peut être sérieusement contesté : cette délibération collégiale, qui fait appel aux compétences et à l'expérience des membres du conseil, offre toute garantie. Elle peut être légitimement préférée à une intervention directe du législateur ou à l'intervention d'une autorité gouvernementale. On peut d'ailleurs noter que c'est aujourd'hui le directeur de l'office qui arrête la liste des pays auxquels on applique la clause de « cessation » du 5 du C de l'article 1er de la Convention de Genève.
4/ En dernier lieu, le Conseil constitutionnel ne pourra retenir les griefs dirigés contre la disposition de l'article 2 de la loi déférée qui prévoit la possibilité, pour le directeur général de l'office, de communiquer à des agents spécialement habilités du ministère de l'intérieur certains documents relatifs aux demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée.
D'une part, il faut souligner que la disposition critiquée de la loi déférée n'a pas pour effet de priver de garanties légales l'exigence de valeur constitutionnelle résultant du Préambule de 1946. A la différence de la disposition législative que le Conseil constitutionnel a censurée en 1997 (V. la décision n°97-389 DC du 22 avril 1997), la disposition de la loi déférée ne porte que sur certains documents limitativement énumérés qui ne peuvent se rapporter qu'à des personnes dont la demande d'asile a été rejetée, soit par une décision définitive de l'office soit par une décision de la Commission des recours des réfugiés. Pour cette raison, ces personnes n'ont plus vocation à relever de la protection de l'office ; ils relèvent, à compter de l'intervention de la décision définitive de rejet de leur demande d'asile, des dispositions de droit commun applicables à tous les étrangers. La disposition législative répond à des considérations d'ordre public, qui tiennent à la nécessité d'assurer l'éloignement d'étrangers qui se trouvent en situation irrégulière sur le territoire.
On doit aussi relever que la communication n'a été permise par le législateur que sous de strictes limites et conditions. La communication ne peut concerner que des documents d'identité et de voyage, à la condition qu'ils soient nécessaires à la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement ; elle est exclue pour tout autre document se rapportant à la demande d'asile, notamment les pièces produites à l'appui de la demande, qui ne relèvent que de l'office et sont conservées par lui ou versées aux archives conformément aux dispositions spécialement fixées par la loi. Le législateur a, en outre, pris soin de préciser que la communication ne pouvait être faite qu'à la condition qu'elle ne porte pas atteinte à la sécurité de l'intéressé ou à celle de ses proches.
D'autre part, le grief d'incompétence négative concernant l'habilitation des agents du ministère de l'intérieur n'apparaît pas fondé. Le législateur a posé le principe d'une telle habilitation spéciale pour les agents du ministère de l'intérieur appelés à recevoir les documents en cause. Les précisions qu'il a apportées ne permettront d'habiliter que des agents dont les fonctions, relatives à l'application de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers, impliquent qu'ils puissent avoir accès aux documents considérés. Le législateur n'était pas tenu, au vu de l'article 34 de la Constitution, d'apporter des précisions supplémentaires et pouvait renvoyer au pouvoir réglementaire, compétent pour ce qui a trait à l'organisation des administrations de l'Etat, le soin de déterminer les modalités de désignation et d'habilitation de ces agents.

III/ Sur l'article 4
A/ L'article 4 de la loi déférée modifie l'article 5 de la loi de 1952 relatif à la Commission des recours des réfugiés. Il prévoit, notamment, que le président et les présidents de section de la Commission peuvent, par ordonnance, régler les affaires dont la nature ne justifie pas l'intervention d'une formation collégiale.
Les députés et sénateurs saisissants estiment que ces dispositions priveraient d'une garantie essentielle l'exercice du droit d'asile et seraient entachées d'incompétence négative.
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
De manière générale, on doit rappeler que les règles relatives à la procédure administrative contentieuse relèvent en principe de la compétence du pouvoir réglementaire. S'agissant de pouvoirs susceptibles d'être exercés par ordonnance, l'article 34 de la Constitution implique sans doute, au titre des règles constitutives de chaque ordre de juridiction, que leur principe même soit fixé par la loi. Mais leur contenu précis relève de la compétence du pouvoir réglementaire (V. notamment le partage entre le domaine de la loi et le domaine du règlement que traduisent, s'agissant du Conseil d'Etat, des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les articles L 122-1, L 222-1, R 122-12 et R 222-1 du code de justice administrative). La disposition critiquée de l'article 4 de la loi déférée ne peut, par suite, être regardée comme étant entachée d'incompétence négative ; elle manifeste, au contraire, une intervention du législateur dans une matière qui relève de la compétence réglementaire.
Il apparaît, au surplus, que la disposition adoptée par le législateur ne peut être regardée comme privant d'une garantie légale l'exigence constitutionnelle de protection du droit d'asile. Les seules affaires pour lesquelles le législateur a prévu qu'elles pourraient être réglées par ordonnances du président de la Commission des recours des réfugiés ou des présidents de section de cette juridiction sont les cas de désistement, de non-lieu, d'irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance et les demandes qui ne présentent « aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur général de l'office ». Cette dernière hypothèse, compte tenu des strictes conditions auxquelles est subordonnée sa mise en oeuvre, sous le contrôle de cassation du Conseil d'Etat, ne peut être regardée comme contraire à la Constitution. Au demeurant, on peut signaler qu'il est envisagé de préciser par voie réglementaire qu'une ordonnance ne pourra être prise, dans l'hypothèse de la demande dépourvue de tout élément sérieux, qu'après étude du dossier par un rapporteur.

IV/ Sur l'article 6
A/ L'article 6 de la loi déférée modifie l'article 11 devenu 9 de la loi de 1952 relatif au document provisoire de séjour remis à l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile. Il prévoit, en particulier, que le document provisoire de séjour peut être retiré ou son renouvellement refusé lorsqu'il apparaît, postérieurement à sa délivrance, que l'étranger se trouve dans un des cas de non-admission prévus aux 1 ° à 4 ° de l'article 8 de la loi de 1952 modifiée.
Les auteurs des recours soutiennent que ces dispositions priveraient de garanties essentielles l'exercice du droit d'asile et qu'elles seraient entachées d'incompétence négative.
B/ Ces critiques ne pourront qu'être écartées.
On doit d'abord observer que les modifications apportées par l'article 6 de la loi déférée n'affectent pas l'économie générale du dispositif en vigueur, qui résulte de la loi du 24 août 1993 et de la loi du 11 mai 1998. Ce dispositif n'a pas été jugé contraire à la Constitution et la loi déférée ne remet aucunement en cause les garanties instituées par la législation en vigueur (V. les dispositions combinées de l'article 10 devenu 8 de la loi du 25 juillet 1952, tel qu'il a été modifié par l'article 5 de la loi déférée, et de l'article 11 devenu 9 de la loi du 25 juillet 1952 résultant de l'article 6 de la loi déférée).
Il faut souligner, notamment, que sont garantis à tout demandeur d'asile, qu'il ait été admis au séjour ou non, le droit de voir sa demande faire l'objet d'un examen individuel par l'office et celui de se maintenir en France jusqu'à ce que l'office ait statué sur sa demande sans pouvoir faire l'objet d'une mesure d'éloignement. De plus, qu'il entre ou non dans les catégories visées par la procédure prioritaire, le droit de former un recours devant la Commission des recours lui est garanti. Le fait que le législateur ait prévu que l'office statuerait par priorité lorsque le document provisoire de séjour est refusé, retiré ou n'est pas renouvelé ne constitue qu'une modalité procédurale d'examen par l'office ; elle implique seulement que dans les situations précisément définies par la loi, l'office examinera sans attendre la demande et sans respecter nécessairement l'ordre d'arrivée des affaires à l'instruction. Cette procédure particulière apparaît adaptée aux situations auxquelles elle s'applique, notamment celle des étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement et placés en rétention ou celle des étrangers sans titre de séjour dont la demande d'asile peut être présumée abusive au vu de critères objectifs ; dans ces cas, il est nécessaire qu'il soit statué rapidement pour assurer la sauvegarde de l'ordre public.
On doit ajouter que, contrairement à ce qui est soutenu, les procédures prévues aux articles 2 et 6 de la loi déférée - respectivement la faculté pour l'office de se dispenser de l'audition d'un demandeur d'asile et la mise en oeuvre de la procédure d'examen prioritaire - ne se recoupent pas. Ces deux mécanismes sont indépendants l'un de l'autre, poursuivent des finalités différentes et sont mis en oeuvre au vu de critères différents. Ainsi, il peut advenir qu'une personne dont la demande fait l'objet d'un examen prioritaire soit auditionnée par l'office ; inversement, certains demandeurs pourront n'être pas auditionnés par l'office sans relever pour autant d'un examen prioritaire. Il est vrai que dans certains cas, notamment celui des ressortissants d'Etats auxquels s'applique la clause de « cessation », la procédure prioritaire pourra s'accompagner d'une dispense d'audition ; mais il faut rappeler que la mise en oeuvre de ces mécanismes ne remet nullement en cause l'examen individuel du cas de chaque demandeur, de telle sorte que les exigences constitutionnelles demeurent garanties.
Enfin, la disposition critiquée n'est pas entachée d'incompétence négative en ce qu'elle a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les délais dans lequel statue l'office selon la procédure prioritaire. Ces précisions de procédure administrative non contentieuse ne relèvent en effet pas du domaine de la loi défini par l'article 34 de la Constitution.

V/ Sur l'article 10
A/ L'article 10 de la loi déférée, créant l'article 19 de la loi de 1952, prévoit que les modalités d'application de la loi sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
Les parlementaires requérants soutiennent que le législateur, en procédant à un tel renvoi s'agissant des alinéas 5 °, 6 °, 7 °, 8 ° et 12 °, serait demeuré en deçà de sa compétence.
B/ Cette argumentation ne pourra qu'être écartée.
Comme il a déjà été dit en réponse aux critiques adressées aux articles précédents, le législateur, en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer - selon la liste énumérée à l'article 10 - les modalités d'application de la loi déférée, n'est pas demeuré en deçà de sa compétence. Les griefs dirigés par voie de conséquence contre l'article 10 de la loi ne pourront par suite qu'être écartés.
En particulier, les modalités de désignation et d'habilitation des agents dépendant du ministère de l'intérieur, mentionnées au 5 ° de l'article 19 de la loi du 25 juillet 1952 résultant de l'article 10 de la loi déférée, relèvent de l'organisation des administrations de l'Etat. La durée du mandat des membres de la Commission des recours des réfugiés, visée par le 6 ° de cet article, se rapporte à l'organisation de cet ordre de juridiction sans toucher à ses règles constitutives. Les conditions d'exercice des recours devant la Commission, mentionnées au 7 °, se rattachent à la procédure administrative contentieuse qui ressortit à la compétence réglementaire. Le délai de délivrance du document provisoire de séjour ainsi que les délais impartis à l'office pour statuer dans le cadre de la procédure prioritaire, visés aux 8 ° et 12 °, sont enfin susceptibles d'être fixés par décret au titre des règles de procédure administrative.

Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs des recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.