Contenu associé

Décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003 - Observations du gouvernement

Loi portant réforme des retraites
Conformité

I/ Sur l'article 3
A/ L'article 3 de la loi portant réforme des retraites énonce que les assurés doivent pouvoir bénéficier d'un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leurs activités passées et le ou les régimes dont ils relèvent.
Les parlementaires requérants soutiennent qu'en adoptant cet article le législateur serait demeuré en deçà de sa compétence. Ils soutiennent également que cette disposition méconnaîtrait le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et porterait atteinte au principe d'égalité, parce qu'elle ne prendrait pas en considération la pénibilité des tâches accomplies par chacun au cours de sa vie professionnelle. Selon les auteurs des recours, le vice dont serait ainsi entaché l'article 3 devrait emporter la censure de l'ensemble de la loi déférée.
B/ De tels griefs ne pourront qu'être écartés.
1/ En premier lieu, l'article 3 ne peut pas être regardé comme étant entaché d'incompétence négative.
En adoptant l'article 3, le législateur a affirmé un objectif de traitement équitable de tous les assurés, au-delà des différences de régimes de retraite ou d'activités professionnelles. Il convient d'observer qu'un tel objectif procède d'un choix du législateur et doit être distingué du principe constitutionnel d'égalité, lequel ne s'applique qu'aux personnes se trouvant dans des situations identiques.
En effet, le principe constitutionnel d'égalité n'implique de traiter de la même façon que des personnes se trouvant dans la même situation. Or, en matière de retraite, le Conseil constitutionnel a déjà précisé que les salariés liés par un contrat de travail de droit privé et les agents des collectivités publiques relèvent de régimes juridiques différents au regard de la législation sur les retraites, ce qui permet au législateur d'adopter des mesures différentes à l'égard de ces différentes catégories de personnes sans méconnaître le principe d'égalité (décision n°2001-455 DC du 12 janvier 2002, considérant n°35 et suiv.).
La mise en oeuvre de cet objectif législatif de traitement équitable impliquera l'intervention de dispositions législatives ou réglementaires, selon la nature des mesures considérées et conformément à la répartition des compétences résultant des articles 34 et 37 de la Constitution. Ces mesures adapteront ou modifieront certaines des conditions d'obtention ou des modalités de calcul des pensions de retraite, dans le sens d'un traitement plus équitable des assurés. La loi déférée adopte elle-même plusieurs dispositions qui vont dans ce sens : on peut citer, par exemple, les dispositions de l'article 23 relatives à l'âge de départ à la retraite des assurés qui ont commencé de travailler avant l'âge de 17 ans, celles permettant la prise en compte du handicap, celles qui ont trait à la situation du conjoint survivant. D'autres mesures seront prises par voie réglementaire : on peut mentionner, en particulier, celle visant les personnes ayant relevé de plusieurs régimes où la pension est calculée sur un salaire ou un revenu annuel moyen, afin de tenir compte de cette diversité d'affiliation et de déterminer un salaire ou un revenu annuel moyen équivalent à celui des personnes qui ne relèvent que d'un seul régime.
La circonstance qu'il sera nécessaire de prendre diverses mesures pour traduire concrètement l'objectif législatif de traitement équitable ne permet pas de considérer que le législateur, en adoptant l'article 3 de la loi déférée, aurait manqué à ses obligations constitutionnelles et serait demeuré en deçà de sa compétence.
2/ La critique des parlementaires saisissants porte plus directement sur l'absence de différenciation des dispositions applicables selon la pénibilité des tâches.
Mais il faut relever qu'une telle différenciation ne résulte pas d'une obligation juridique impartie au législateur. Aucun principe de valeur constitutionnelle n'impose, en effet, au législateur de prendre en compte la pénibilité des tâches accomplies au cours de la carrière professionnelle pour déterminer les conditions d'obtention d'une pension de retraite.
En particulier, le principe constitutionnel d'égalité, s'il laisse la possibilité de prévoir un traitement spécifique pour les personnes se trouvant dans des situations différentes, n'a pas pour effet de contraindre le législateur à adopter de telles mesures. Le Conseil constitutionnel a, au surplus, déjà relevé qu'aucune règle constitutionnelle ne garantit, en matière de retraite, un principe d'équité entre les générations qu'il incomberait au législateur de préciser et de mettre en oeuvre (décision n°97-388 DC du 20 mars 1997). Il n'existe pas davantage de principe constitutionnel d'équité entre régimes imposant un traitement équitable entre les différents régimes de retraite, lequel ne résulte ni du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni d'aucune autre règle ou disposition constitutionnelle.
Au demeurant, il convient de noter que le législateur, loin d'exclure par principe qu'il puisse être tenu compte de la pénibilité des tâches, a mis en place une procédure destinée à permettre d'examiner précisément la portée d'un tel critère et d'en mesurer l'impact sur les différentes professions. Il a ainsi prévu, à l'article 12 de la loi déférée, l'organisation de négociations interprofessionnelles sur la définition et la prise en compte de la pénibilité. Cette approche faisant une place essentielle à la négociation collective lui est apparue, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, préférable à l'édiction immédiate de règles générales qui risquaient de se révéler inadaptées.

II/ Sur l'article 5
A/ L'article 5 de la loi déférée détermine la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension de retraite au taux plein, ainsi que la durée des services et bonifications nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite applicables, respectivement, aux ressortissants du régime général et des régimes alignés et à ceux des régimes de fonctionnaires. Il prévoit que ces durées évoluent de manière à maintenir constant jusqu'en 2020, le rapport constaté, à la date de publication de la loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite.
Ainsi, le I de l'article 5 énonce la règle selon laquelle la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite évoluent de manière à maintenir constant le rapport, constaté à la date de promulgation de la loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite. Pour le calcul de ce rapport, l'article 5 précise que, pour les années 2003 à 2007, la durée nécessaire pour obtenir une pension à taux plein prise en compte est de 160 trimestres. L'article 5 détermine les modalités de calcul de la durée moyenne de retraite.
Le II de l'article 5 prévoit qu'avant le 1er janvier 2008 le Gouvernement élaborera, sur la base notamment des travaux du Conseil d'orientation des retraites, un rapport rendu public et transmis au Parlement, faisant apparaître l'évolution du taux d'activité des personnes de plus de cinquante ans, l'évolution de la situation financière des régimes de retraite, l'évolution de la situation de l'emploi, un examen d'ensemble des paramètres de financement des régimes de retraite.
Le III de l'article 5 dispose qu'à compter de 2009, la durée nécessaire pour obtenir une pension à taux plein est majorée d'un trimestre par année pour atteindre 41 annuités en 2012, sauf si, au regard des évolutions présentées par le rapport mentionné au II et de la règle fixée au I, un décret pris après avis, rendus publics, de la Commission de garantie des retraites et du Conseil d'orientation des retraites ajuste le calendrier de mise en oeuvre de cette majoration.
Le IV de l'article 5 prévoit qu'un rapport est élaboré dans les mêmes conditions que celles prévues au II avant le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2016. Ces rapports feront apparaître l'évolution prévisible pour les cinq années à venir du rapport entre la durée d'assurance ou la durée de services et bonifications et la durée moyenne de retraite. Au vu de ces rapports, les durées d'assurance ou de services et bonifications sont fixées par décret pris après avis, rendus publics, de la Commission de garantie des retraites et du Conseil d'orientation des retraites avant le 1er juillet 2012 pour les années 2013 à 2016 et avant le 1er juillet 2016 pour les années 2017 à 2020.
Les V et VI de l'article 5 précisent, respectivement pour les assurés relevant des régimes d'assurance vieillesse et pour les fonctionnaires de l'Etat, les militaires, les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers et les ouvriers des établissements industriels de l'Etat, que la durée d'assurance requise ou la durée des services et bonifications exigée est celle qui est en vigueur au moment où ils atteignent l'âge d'ouverture du droit à la retraite ou l'année au cours de laquelle ils remplissent les conditions de liquidation de la pension.
Le VII de l'article 5 insère au code de la sécurité sociale les dispositions législatives relatives à la Commission de garantie des retraites. Le VIII élargit les missions de la Commission nationale de la négociation collective en lui impartissant de suivre annuellement l'évolution du taux d'activité des personnes de plus de cinquante ans. Le IX prévoit, enfin, l'organisation d'une conférence rassemblant l'Etat, les représentants des salariés et les représentants des employeurs préalablement à la rédaction des rapports mentionnés au II et IV, pour examiner les problématiques de l'emploi des personnes de plus de cinquante ans.
Les parlementaires requérants critiquent les dispositions du III de l'article 5 en soutenant qu'elles seraient entachées d'incompétence négative et qu'elles méconnaîtraient les termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Ils invoquent, en outre, le principe de clarté de la loi et les objectifs de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et de lisibilité de la loi. Ils soutiennent, enfin, que les dispositions critiquées portent atteinte au principe d'égalité.
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
1/ Le grief d'incompétence négative ne pourra qu'être écarté, dès lors que la matière traitée par l'article 5 de la loi déférée ne relève pas de la compétence du législateur telle qu'elle est déterminée par l'article 34 de la Constitution, mais de la compétence du pouvoir réglementaire.
L'article 34 de la Constitution prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale et qu'elle fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat. Ces dispositions ne réservent à l'intervention du législateur que les principes des différents régimes de sécurité sociale ou, s'agissant des fonctionnaires, le principe du droit à pension (décision n°85-200 DC du 16 janvier 1986 ; CE 13 juillet 1962, Cohen, Rec. p. 482). Il appartient au pouvoir réglementaire de préciser les modalités d'application de ces principes. Cette ligne de partage opérée par la Constitution accorde ainsi de larges compétences au pouvoir réglementaire (V. par exemple la décision n°85-139 L du 8 août 1985 ; V. aussi la jurisprudence du Conseil d'Etat, par exemple CE Sect 8 juillet 1966, Confédération générale du travail, Union de fédérations syndicales professionnelles et Mario, Rec. p. 456).
En particulier, s'agissant de régimes de retraite, le Conseil constitutionnel a considéré que si l'existence même d'un régime de retraite particulier ainsi que ses principes fondamentaux, la détermination des prestations et des catégories de bénéficiaires ainsi que la nature des conditions exigées pour l'attribution des prestations relèvent du domaine de la loi, c'est au pouvoir réglementaire qu'il appartient d'en préciser les éléments d'application (décision n°65-34 L du 2 juillet 1965). Le pouvoir réglementaire ne saurait naturellement dénaturer les conditions posées par le législateur, mais il est investi d'une vaste compétence que lui reconnaît la Constitution (par exemple CE 24 février 1967, Caisse nationale d'assurance vieillesse mutuelle agricole et Caisse centrale de secours mutuels agricoles, Rec. p. 90).
Ainsi, si la nature des conditions exigées pour l'attribution de prestations de retraite relève de la compétence du législateur, c'est au pouvoir réglementaire qu'il appartient d'en préciser les éléments tels que l'âge et la durée des services (décision n°65-34 L du 2 juillet 1965). C'est de même au pouvoir réglementaire qu'il incombe de fixer la base du calcul des prestations. La jurisprudence du Conseil d'Etat est fixée dans le même sens (V. par exemple CE 11 juin 1969, Dlle Husson et autres, Rec. p. 298 ; CE 14 mars 1986, Caisse autonome de retraite des médecins français, Rec. T.p. 342).
Il en résulte que la détermination de la durée d'assurance requise pour pouvoir bénéficier d'une pension de retraite à taux plein ou, s'agissant des fonctionnaires, la durée des services et bonifications nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite relève de la compétence du pouvoir réglementaire. Cette durée, pour les régimes d'assurance vieillesse, ne relève pas des « principes fondamentaux de la sécurité sociale » et elle n'affecte pas davantage, pour les fonctionnaires, les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat. Seule la règle selon laquelle l'obtention d'une pension à taux plein est subordonnée à une condition de durée de cotisation relève de la compétence du législateur ; mais la détermination précise de cette durée ressortit à la compétence réglementaire, de même que l'éventualité de l'augmentation de cette durée ou la date à laquelle cette augmentation intervient.
Dans ces conditions, le grief d'incompétence négative articulé par les saisissants ne pourra qu'être écarté comme inopérant.
2/ En tout état de cause, on peut relever qu'au cas présent le législateur est intervenu, comme il en a la faculté, au delà de la stricte compétence que lui garantit la Constitution et qu'il a arrêté lui-même des dispositions très précises sur la durée d'assurance requise. Ces précisions visent, notamment, à assurer la convergence des conditions de durée d'assurance entre le régime général d'assurance vieillesse et les régimes de fonctionnaires. C'est ainsi, notamment, que la durée requise de 160 trimestres qui est déjà exigée depuis 2003 des personnes affiliées au régime général, sera mise en oeuvre progressivement d'ici 2008 pour les fonctionnaires par l'effet de l'article 66 de la loi.
Il faut remarquer que le renvoi au décret auquel procède le III de l'article 5, expressément contesté par les saisines, est particulièrement encadré. L'objet de ce décret n'est que d'ajuster le calendrier de mise en oeuvre de la majoration de la durée requise. Le législateur a déterminé, au I de l'article 5, la règle selon laquelle la durée d'assurance nécessaire évolue de manière à maintenir constant jusqu'en 2020 le rapport entre le nombre de trimestres et la durée moyenne de retraite. Le législateur a, de plus, prévu le mode de détermination de la durée moyenne de retraite, la fixation d'une date - en l'occurrence 2009 - à compter de laquelle l'ajustement de la durée d'assurance peut être opéré, la détermination d'une période de quatre ans à l'issue de laquelle le pouvoir réglementaire s'appuiera sur de nouvelles expertises pour assurer le respect des règles du rapport constant. Il faut noter, en outre, que la loi a prévu l'établissement d'un rapport rendu public sur la base de travaux menés par le Conseil d'orientation des retraites faisant apparaître des éléments de nature statistique à caractère objectif et que le législateur a exigé la consultation du Conseil d'orientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites, dont les avis seront rendus publics, préalablement à l'intervention du décret.
Le Gouvernement estime ainsi que le législateur a, de lui-même, apporté suffisamment de précisions et qu'il a suffisamment encadré l'intervention du pouvoir réglementaire pour que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution soit en tout état de cause écarté, même si l'on estimait que la matière traitée par l'article 5 ne relève pas, en principe, de la compétence du pouvoir réglementaire.
3/ Le grief tiré du défaut d'intelligibilité ou de lisibilité de la loi n'est pas davantage fondé.
De l'avis général, le droit applicable aux régimes d'assurance vieillesse et de pensions comporte des règles complexes qui tiennent aux différents paramètres qui doivent être pris en compte pour l'ouverture des droits à pension et le calcul du montant des pensions. Aucune réforme d'importance intervenant dans cette matière ne peut faire abstraction de cette complexité, sauf à méconnaître la diversité des situations individuelles, des carrières professionnelles et des parcours individuels. Ainsi, s'il est vrai que la loi déférée, dans son ensemble, et son article 5 en particulier, comporte des dispositions techniques et complexes, ces dispositions sont énoncées de façon claire et précise, de telle sorte que l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi apparaît ici pleinement respecté (V. la décision n°2001-453 DC du 18 décembre 2001, considérant n°3).
Au demeurant, on peut relever que le législateur a veillé, en adoptant l'article 10 de la loi déférée, à garantir à toute personne le droit d'obtenir des informations sur ses droits à pension. Il a institué spécialement à cette fin un groupement d'intérêt public composé de l'ensemble des organismes assurant la gestion des régimes de retraite obligatoires et des services de l'Etat chargés de la liquidation des pensions.
Les parlementaires requérants invoquent, au delà de l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi, la « prévisibilité » de la loi. On peut observer qu'une telle exigence ne résulte pas d'impératifs de valeur constitutionnelle. En outre, il faut indiquer que le législateur s'est précisément attaché à déterminer des règles applicables sur le long terme. L'objet même de l'article 5 est de stabiliser à l'horizon 2020 le rapport entre le temps de travail et le temps de retraite, pour assurer la pérennité des régimes par répartition et l'équité entre les générations. La volonté de maintenir ce rapport constant impose d'ajuster la durée d'assurance en fonction des gains d'espérance de vie. L'espérance de vie à 60 ans résulte des données constatées et publiées par l'INSEE. La publicité de cet indicateur permet donc de lui donner une visibilité certaine et son caractère scientifique confère un fondement objectif et non aléatoire aux évolutions de la durée d'assurance sur le long terme, qui sont corrélées aux gains d'espérance de vie.
4/ Le grief tiré de la violation du principe d'égalité sera pareillement écarté.
L'intervention de la loi déférée, de même que l'intervention d'un décret susceptible d'allonger la durée d'activité, n'est pas de nature à introduire une rupture d'égalité entre les personnes placées dans une situation semblable.
D'une part, on doit observer que la loi précise, au V et VI du même article 5, que la durée d'assurance requise pour le bénéfice de la pension au taux plein est celle en vigueur lorsque les assurés atteignent l'âge de 60 ans pour le régime général ou, s'agissant des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat, l'âge auquel ils remplissent les conditions de liquidation d'une pension. Ainsi, les assurés d'une même génération pourront-ils bénéficier de leur pension de retraite au taux plein pour la même durée d'assurance. Aucune violation du principe d'égalité ne résulte de la disposition critiquée. On peut relever que les règles fixées par le législateur sont cohérentes avec celle fixée au I de l'article 5 qui consiste à maintenir constant le rapport entre durée d'activité et durée de retraite, dès lors que les gains d'espérance de vie auxquels est proportionnée la majoration de durée d'assurance sont attachés à la génération à laquelle appartient l'assuré. On peut noter, au surplus, que la réforme opérée en 1993 avait également été mise en oeuvre au vu d'un critère d'appartenance à une génération et non de la date effective de départ à la retraite (V. les articles R 351-45 et R 351-29-1 du code de la sécurité sociale) ; au demeurant, retenir un autre critère que celui de l'appartenance à une génération emporterait des effets pervers et inéquitables : il conduirait à ce qu'une personne de plus de soixante ans qui déciderait de continuer à travailler soit soumise à des règles plus sévères pour le calcul du montant de sa retraite.
D'autre part, il faut souligner que les droits à pension sont appréciés en fonction des éléments qui caractérisent chaque parcours professionnel. Mais les mêmes règles seront appliquées aux personnes affiliées au même régime, c'est à dire celles en vigueur à la date déterminée comme il a été dit précédemment, qui est une date certaine et dépourvue d'arbitraire. La loi n'a donc nullement pour effet de régler différemment la situation d'affiliés placés dans des situations identiques, et le décret auquel renvoie le III de l'article 5 n'aura pas davantage cet effet.

III/ Sur l'article 32
A/ L'article 32 de la loi déférée, modifiant l'article L 351-4 du code de la sécurité sociale, précise les conditions et limites dans lesquelles les femmes assurées sociales bénéficient d'une majoration de leur durée d'assurance pour toute année durant laquelle elles ont élevé un enfant. Il modifie également l'article L 351-5 du code de la sécurité sociale relatif à la majoration de la durée d'assurance pour les périodes de congé parental d'éducation, pour permettre d'accorder cette majoration aux personnes visées à l'article L 351-4 lorsque son application est plus favorable.
Les députés et sénateurs saisissants soutiennent que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité.
B/ Cette argumentation appelle les observations suivantes.
1/ L'argumentation des parlementaires requérants pourrait être écartée comme inopérante, eu égard à l'objet et à la portée réelle du I, seul contesté, de l'article 32 de la loi déférée. L'argumentation conteste, en effet, le principe même d'une majoration de durée d'assurance dont le bénéfice est réservé aux femmes qui ont élevé un enfant, alors que ce principe ne résulte pas du I de l'article 32 de la loi déférée mais a été établi par des dispositions législatives qui sont en vigueur depuis longtemps.
Or le Conseil constitutionnel considère que les termes d'une loi promulguée ne peuvent être utilement contestés à l'occasion de l'examen de dispositions législatives nouvelles, sauf à ce que ces dispositions modifient le sens ou la portée de la loi promulguée, la complètent ou affectent son domaine (décision n°85-187 DC du 25 janvier 1985 ; décision n°86-211 DC du 26 août 1986 ; décision n°89-256 DC du 25 juillet 1989 ; décision n°91-299 DC du 2 août 1991 ; décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision n°99-414 DC du 8 juillet 1999). Au cas présent, comme il l'a fait dans d'autres hypothèses, le Conseil constitutionnel pourrait admettre que l'argumentation dont il est saisi n'affecte pas en propre la disposition déférée et que les conditions dans lesquelles la conformité à la Constitution du principe de la majoration de durée d'assurance pour les femmes pourrait être utilement discutée ne sont pas, en l'espèce, réunies (décision n°2002-464 DC du 27 décembre 2002, considérant n°42).
Le principe de cette majoration de durée d'assurance est, en effet, très ancien. Elle a été instaurée, pour le régime général, par la loi n°71-1132 du 31 décembre 1971 portant amélioration des pensions de vieillesse du régime général de sécurité sociale et du régime des travailleurs salariés agricoles : c'est l'article 9 de cette loi qui institue au bénéfice des femmes affiliées au régime général une majoration de durée d'assurance, qui est alors d'une année et qui est réservée aux femmes ayant élevé au moins deux enfants pendant 9 ans avant leur seizième anniversaire.
Codifié à l'article L 342-1 du code de la sécurité sociale, puis à l'article L 351-4 de ce code, ce dispositif connaîtra par la suite trois modifications. La première interviendra par l'effet de la loi n°75-3 du 3 janvier 1975 portant diverses améliorations et simplifications en matière de pensions ou allocations des conjoints survivants, des mères de familles et des personnes âgées et conduira à accorder la majoration dès le premier enfant et à la porter de une à deux années. La deuxième modification sera apportée par l'article 3 de l'ordonnance n°82-270 du 26 mars 1982 relative à l'abaissement de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles et conduira à accorder une majoration de durée d'assurance correspondant aux périodes de congés parental ; cette majoration est accordée aux pères ainsi qu'aux mères affiliées au régime général, lorsqu'elles ne peuvent se prévaloir de l'article L 351-4.
La troisième modification a été apportée par l'article 64 de la loi n°2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002. Il faut souligner que l'objectif de cette intervention était identique à celui poursuivi par le I de l'article 32 de la loi portant réforme des retraites, à savoir l'octroi de trimestres supplémentaires au fur et à mesure de l'éducation des enfants et non plus seulement à l'issue de 9 années. On peut noter, à cet égard, que la référence à l'article L 351-4 aux règles en vigueur pour la pension d'invalidité de veufs et veuves avait été supprimée par la loi du 21 décembre 2001, à charge pour le pouvoir réglementaire de préciser les nouvelles conditions d'octroi de la majoration de durée d'assurance ; or ce décret n'est pas intervenu, ce qui a conduit le législateur à réitérer, par le I de l'article 32 de la loi déférée, la mesure qu'il avait entendu adopter par l'article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002. Le I de l'article 32 de la loi déférée a ainsi, au delà des termes adoptés par le législateur, exactement la même portée que celle de l'article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, lequel article a été promulgué sans que le Conseil constitutionnel ne le déclare contraire à la Constitution.
2/ S'il est vrai que le bénéfice de la majoration de durée d'assurance résultant de l'article L 351-4 du code de la sécurité sociale est réservé aux femmes qui ont élevé un ou plusieurs enfants, on peut faire valoir des considérations d'intérêt général d'ordre social, économique et démographique, qui justifient l'intervention d'une telle mesure.
Depuis 1971, le législateur s'est fondé sur deux séries d'observations pour instituer, puis maintenir, ce qu'il considère comme un avantage compensateur. Le premier motif est tiré de la constatation que les femmes élevant des enfants voient, le plus souvent, leur carrière professionnelle en être affectée davantage que celle des hommes ; le second est tiré du constat que la pénibilité de l'exercice d'un métier concomitamment à l'éducation d'enfants pèse majoritairement davantage sur les femmes que sur les hommes. C'est afin de remédier en partie à cette situation objectivement constatée que le législateur a décidé de faire bénéficier les seules femmes d'une majoration de durée d'assurance destinée à compenser certaines des conséquences qui en résultent sur la retraite des femmes.
Ces conséquences se manifestent aujourd'hui encore, ainsi que l'a montré le rapport d'information sur le projet de loi présenté au nom de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale par Mme Claude Greff et que l'ont établi de nombreux travaux, en particulier le rapport du Conseil d'orientation des retraites remis en 2001.
Ainsi, la durée moyenne d'assurance des femmes est nettement inférieure à celle des hommes : elle était en 2001 de 122 trimestres contre 168 trimestres pour les hommes. Il en résulte que seules 39 % des femmes peuvent obtenir une retraite à taux plein avant 65 ans, contre 85 % des hommes, et qu'elles doivent de ce fait retarder la liquidation de leurs droits. L'âge moyen de liquidation est, en effet, de 62,5 ans pour les femmes contre 60,5 ans pour les hommes. En outre, le montant moyen de la retraite reste nettement plus élevé pour les hommes que pour les femmes, ce qui est le reflet de la situation des femmes sur le marché du travail, en termes de taux d'activité et de niveau de rémunération. Même si les carrières féminines sont en voie d'amélioration, les prévisions de l'INSEE montrent qu'en 2020 la pension moyenne des femmes ne devrait pas dépasser 78 % de celle des hommes. Dans cette différence, les périodes d'interruption ou de réduction d'activité, ou tout simplement de moindre disponibilité professionnelle, liées à l'éducation des enfants, jouent un rôle majeur. Il faut d'ailleurs souligner que ces indications intègrent l'effet de la majoration de durée d'assurance qui représente en moyenne environ 20 % de la durée d'assurance des femmes dans le régime général.
Il est certain que la situation des femmes serait fortement dégradée si cet avantage compensateur devait disparaître : toutes choses égales par ailleurs, on peut estimer qu'en l'absence de cette majoration les femmes relevant du régime général devraient travailler environ quatre années supplémentaires pour pouvoir prétendre à un niveau de pension identique à celui qu'elles peuvent espérer aujourd'hui. La suppression de cet avantage compensateur, ou la mise en place d'un régime alternatif ouvert aux femmes comme aux hommes, se traduirait par un accroissement des inégalités concrètes entre les hommes et les femmes au regard de la retraite. Une censure de l'article 32 de la loi déférée au nom du principe d'égalité aurait ainsi pour conséquence paradoxale d'accroître directement et nécessairement les inégalités, prises globalement, qui sont aujourd'hui constatées objectivement en termes de retraite.
Il paraît ainsi possible d'admettre, au vu de cette réalité socio-économique, que le législateur pouvait, sans méconnaître la Constitution, maintenir un avantage compensatoire au bénéfice des femmes. Celui-ci, en permettant d'assurer une meilleure conciliation entre le travail des femmes et la maternité, répond à un motif d'intérêt général.
Il faut, enfin, observer que le droit communautaire ne s'oppose pas au maintien de cet avantage pour les femmes. Dans le cadre des régimes d'assurance vieillesse relevant de la sécurité sociale, le principe d'égalité des rémunérations garanti par le Traité, qui a pu être reconnu s'appliquer aux pensions des fonctionnaires - qui sont regardées comme le prolongement d'un traitement d'activité -, n'est pas susceptible d'être opposé à des pensions qui ne présentent pas le caractère de rémunérations au sens de l'article 141 du Traité. Et l'article 7 de la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, qui est applicable au régime général, permet aux Etats de maintenir des avantages spécifiques pour les femmes.

IV Sur l'article 48
A/ L'article 48 de la loi déférée modifie l'article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraites relatif aux bonifications qui s'ajoutent aux services effectifs. Il prévoit notamment que les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification d'un an qui s'ajoute aux services effectifs, pour chacun de leurs enfants nés avant le 1er janvier 2004, à condition qu'ils aient interrompu leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Cette disposition est rendue applicable aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003. En outre, l'article 48 dispose que cette bonification est acquise aux femmes fonctionnaires ou militaires ayant accouché au cours de leurs années d'études antérieurement à leur recrutement dans la fonction publique, si ce recrutement est intervenu dans un délai de deux ans après l'obtention du diplôme nécessaire pour se présenter au concours.
Selon les auteurs des recours, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative en ce qu'elles renvoient à un décret le soin de déterminer les conditions d'interruption de l'activité. Ils soutiennent, en outre, qu'elles seraient contraires au principe d'égalité entre les sexes et à l'égalité entre les fonctionnaires selon la date à laquelle leur pension est liquidée. Ils relèvent, enfin, que les dispositions critiquées sont entachées d'une rétroactivité contraire à la Constitution.
B/ Ces griefs seront écartés.
Il faut rappeler que les bonifications prévues par le code des pensions civiles et militaires de retraite ne constituent qu'un élément particulier entrant dans le calcul des droits à pension. Il est loisible au législateur d'instituer des bonifications, de les supprimer ou d'en modifier les conditions d'octroi, sans porter atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle. Au cas présent, le législateur a modifié l'article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite en ce qu'il déterminait les conditions d'octroi de bonifications pour les enfants nés ou adoptés avant le 1er janvier 2004. On peut observer que pour les enfants nés ou adoptés à compter du 1er janvier 2004, le législateur a institué un nouveau système de validation de services, et non plus de bonification, à l'article L 9 du code des pensions civiles et militaires de retraite résultant de l'article 44 de la loi déférée, qui n'est pas critiqué par les saisines.
L'argumentation exposée par les recours à l'encontre de l'article 48 de la loi déférée n'emporte pas la conviction.
1/ En premier lieu, le grief d'incompétence négative est dépourvu de la moindre consistance. L'article 48 établit le principe de la bonification et détermine les caractéristiques essentielles de son régime. Il subordonne, en particulier, le bénéfice de la bonification d'un an par enfant à une condition d'interruption d'activité. Le législateur n'était pas tenu d'apporter lui-même d'autres précisions qui relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire. Le législateur pouvait ainsi valablement, sans méconnaître aucunement l'article 34 de la Constitution, laisser à un décret le soin de déterminer les modalités selon lesquelles une interruption d'activité est prise en considération pour ouvrir droit à la bonification. Au demeurant, on peut relever que tel est déjà le parti qui a été retenu par le code des pensions civiles et militaires de retraite (V. par exemple les articles R 10 à R 25-1).
2/ En deuxième lieu, le grief tiré du principe d'égalité n'est pas fondé. Force est de constater, d'abord, que la disposition critiquée ne fait pas de distinction selon le sexe des fonctionnaires susceptibles de bénéficier de la bonification. Le b de l'article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction résultant de la loi déférée accorde une bonification d'un an à tous les fonctionnaires, qu'ils soient de sexe masculin ou de sexe féminin, qui ont interrompu leur activité pour chacun de leurs enfants nés ou adoptés avant le 1er janvier 2004. Il faut, en outre, relever que, contrairement à ce qui est soutenu, la disposition adoptée par le législateur n'a pas pour effet de priver les hommes, dans tous les cas et de manière certaine, du bénéfice de la bonification : les hommes comme les femmes peuvent être placés en position de congé parental ou en disponibilité pour élever un enfant, sans qu'aucune règle juridique ne vienne restreindre ces possibilités.
Au surplus, le législateur pouvait valablement décider, pour les enfants nés ou adoptés à compter du 1er janvier 2004, de modifier plus substantiellement le régime applicable aux fonctionnaires relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite en substituant au système de la bonification le système de la validation, dans la limite de trois ans par enfant, des périodes de temps partiel de droit pour élever un enfant, de congé parental, de congé de présence parentale ou de disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans. En retenant la date du 1er janvier 2004, le législateur a fixé l'échéance à laquelle le système de la validation succédera au système de la bonification. On peut noter que cette date est cohérente avec celle retenue pour l'entrée en vigueur de plusieurs autres dispositions de la loi. Aucune atteinte au principe d'égalité ne résulte de ce que, à compter d'une date déterminée, le législateur décide de modifier l'économie d'un dispositif existant.
3/ En troisième lieu, s'il est vrai que le législateur a décidé de faire rétroagir les nouvelles dispositions du b de l'article L 12 au 28 mai 2003, date de l'adoption du projet de loi par le Conseil des ministres et de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, ce choix ne peut être jugé contraire à la Constitution.
Hormis en matière répressive, le principe de non-rétroactivité est investi d'une simple valeur législative. Le législateur peut, sans méconnaître aucune règle ni aucun principe à valeur constitutionnelle, décider d'y déroger en considération d'un motif d'intérêt général suffisant, dès lors qu'il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles (décision n°2001-453 DC du 18 décembre 2001).
Au cas présent, la rétroactivité décidée par le législateur est de faible portée, puisqu'elle ne conduit à anticiper l'application des nouvelles dispositions du b de l'article L 12 que de trois mois au maximum. Elle est comparable à celle qu'avait déjà décidée le législateur à l'occasion de décristallisation des pensions à laquelle a procédé l'article 68 de la loi n°2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002.
Cette légère rétroactivité vise à prévenir le risque que l'annonce du dépôt au Parlement du projet de loi portant réforme des retraites, et le fait qu'il soit rendu public, ne se traduise par un afflux de recours devant les juridictions administratives, uniquement destinés à conserver aux requérants de sexe masculin le bénéfice de la bonification initialement conçue pour les fonctionnaires de sexe féminin mais ouverte, de fait, à tous les fonctionnaires à la suite de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 29 novembre 2001 et de la décision du Conseil d'Etat tirant les conséquences de cet arrêt (CE 30 décembre 2002, Griesmar, n°198529). Le législateur a, en effet, renoncé à procéder à une validation législative et rétroactive en cette matière et à interférer dans le cours des procédures juridictionnelles engagées. Mais il a décidé cette légère rétroactivité pour faire échec à d'éventuels contentieux, non encore engagés à la date du dépôt du projet de loi, et qui n'auraient été présentés, à cette date, que dans le but de contourner la modification du régime législatif à laquelle le Parlement entendait procéder. En tout état de cause, cette rétroactivité ne se traduira pas par une remise en cause des pensions liquidées depuis le 28 mai 2003.

V/ Sur les articles 51, 54 et 66
A/ L'article 51 modifie les articles L 13 à L 17 du code des pensions civiles et militaires de retraite relatifs au décompte et à la valeur des annuités liquidables, aux émoluments de base et au montant garanti de la pension.
L'article 54 modifie les articles L 25 à L 26 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite relatifs à l'âge auquel la liquidation de la pension peut intervenir et à la date de mise en paiement de la pension de retraite.
L'article 66 détermine les conditions d'entrée en application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite modifiées par la loi déférée.
Les députés et sénateurs requérants critiquent ces dispositions en invoquant le principe d'égalité. Ils soutiennent que le législateur ne pouvait prévoir des montants de pension différents selon les fonctionnaires pour des mêmes périodes de service, que le critère de la date de liquidation de la pension n'est ni objectif ni rationnel, et que les dispositions en cause méconnaissent les principes de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la règle de droit. Ils soutiennent, en outre, que l'article 54 aurait pour effet d'appliquer les règles de liquidation de la pension en vigueur au moment de la mise en paiement et qu'il serait contraire au principe d'égalité, parce qu'il conduit à appliquer des règles différentes à des situations objectivement identiques.
B/ Ces griefs ne pourront être retenus.
1/ En premier lieu, il faut rappeler qu'il est loisible au législateur, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur ce qu'exige l'intérêt général, de modifier les dispositions législatives relatives aux pensions de retraite. Il lui appartient, notamment d'organiser la solidarité entre les personnes en activité, les personnes sans emploi et les retraités et de maintenir l'équilibre financier permettant à l'ensemble des institutions de sécurité sociale de remplir leur rôle (décision n°85-200 DC du 16 janvier 1986). Le Conseil constitutionnel a déjà précisé qu'aucune règle ni aucun principe constitutionnel ne garantit l'intangibilité des droits à retraite liquidés (décision n°94-348 DC du 3 août 1994). A fortiori, le législateur peut-il modifier les conditions nécessaires à l'obtention de pensions de retraite non encore liquidées.
Dès lors que le législateur décide, comme il en a le pouvoir, de modifier les règles applicables à compter d'une date qu'il détermine, le principe d'égalité ne peut être utilement invoqué pour soutenir que les personnes dont la retraite sera liquidée après la date déterminée par le législateur devraient être traitées de la même manière que celles dont la pension a été liquidée avant cette date. Ces personnes ne sont pas dans la même situation au regard des dispositions législatives qui leur sont respectivement applicables. De ce point de vue, il faut rappeler que les droits à pension sont appréciés en fonction de la législation en vigueur à la date de liquidation de la pension. Toutes les personnes qui atteignent l'âge d'ouverture des droits à pension à la même date seront traitées de la même façon. Il ne peut, dès lors, être considéré que le principe d'égalité serait méconnu.
En outre, la règle simple selon laquelle le droit applicable à la détermination de la pension est celui en vigueur à la date où l'on atteint l'âge de la retraite ne peut, en aucune façon, être regardée comme portant atteinte au principe de clarté de la loi ou à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la règle de droit.
2/ En second lieu, on doit souligner que l'argumentation des parlementaires requérants, tirée de ce que les règles applicables pourraient dépendre de la plus ou moins grande célérité des services chargés de procéder à la liquidation des pensions, manque en fait.
La date prise en considération, y compris par le nouvel article L 17, est toujours celle de l'ouverture des droits à pension. Il s'agit d'une date certaine déterminée en vertu des articles L 24 et L 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Lorsque la pension est liquidée en application de l'article L 24, la date prise en considération - la date de liquidation - est la date de la radiation des cadres et équivaut à la date d'admission à la retraite. Le droit applicable est celui en vigueur à cette date, quand bien même l'administration tarderait à liquider la pension. Lorsque la pension est liquidée en vertu de l'article L 25 - c'est à dire dans des cas où la radiation des cadres ne correspond pas à l'admission à la retraite (par exemple dans l'hypothèse d'une démission en cours de carrière qui emporte radiation des cadres avant l'âge de la retraite) -, la date prise en considération est celle à laquelle la pension sera mise en paiement au sens où l'entend l'article L 25, c'est-à-dire la date à laquelle l'intéressé fait valoir ses droits à pension. Dans ce dernier cas, la radiation des cadres ne peut en effet constituer une date pertinente, à la différence de la date de mise en paiement qui correspond à la date d'admission à la retraite. Il faut souligner que là encore, la date à laquelle renvoie l'article L 25 est une date certaine qui ne dépend nullement de la plus ou moins grande diligence de l'administration.
On peut indiquer, d'ailleurs, que la procédure de liquidation se déroule plusieurs mois avant l'échéance de la mise à la retraite, en vertu des dispositions réglementaires applicables, en particulier l'article 3 du décret n°80-792 du 2 octobre 1980 tendant à accélérer le règlement des droits à pension de retraite de l'Etat ou l'article 61 du décret n°65-773 du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la CNRACL. La procédure est amorcée au moins six mois avant cette échéance, ce qui permet aux services gestionnaires de pension d'instruire les demandes de mise à la retraite dans des délais compatibles avec la mise en paiement, de telle sorte que ne se produise pas de rupture entre le dernier traitement d'activité et la mise en paiement de la pension qui prend effet le premier jour du mois civil qui suit celui au cours duquel se produit la cessation d'activité (V. l'article R 96 du code des pensions civiles et militaires de retraite).
En définitive, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les parlementaires saisissants ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.