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Décision n° 2003-477 DC du 31 juillet 2003 - Saisine par 60 députés

Loi pour l'initiative économique
Conformité

I / Sur l'article 24
L'article 24 de la loi déférée modifie les articles 789 A et 789 B du code général des impôts afin d'étendre l'exonération de droits de mutation à titre gratuit prévue sur la valeur des parts ou actifs dans les cas de décès aux cas de transmission entre vifs.
La possibilité pour les héritiers de parts de société ou d'une entreprise individuelle de bénéficier d'une exonération des droits de mutation à titre gratuit sur la moitié de la valeur des parts ou des actifs constituant l'entreprise a été introduite par la loi de finances pour 2000. Les articles 789 A et 789 B du code général des impôts dans leur rédaction issue de ce texte ainsi que de la loi de finances pour 2001 qui les a modifiés ont toutefois restreint cet avantage aux droits de mutation par décès.
Ce choix était justifié, ainsi que le relevait alors Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, dans les observations qu'il avait consacré à ces dispositions (session 1999-2000, rapport n°89, tome II volume 1, pages 94 et suivantes sur l'article 5 bis) par le fait qu'il était déjà possible, en application de l'article 790 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 1999, pour les transmissions de titres de société ou de biens d'une entreprise, de bénéficier d'une réduction des droits de donation pouvant aller jusqu'à 50 %. Le législateur avait alors souhaité exclure le cumul d'un abattement de 50 % sur la valeur des biens transmis et d'une réduction de même montant sur les droits de donation qui aurait conduit à faire bénéficier les donations d'entreprise d'avantages fiscaux disproportionnés par rapport aux donations de biens d'une autre nature.
Le Conseil constitutionnel a en effet considéré par sa décision n°95-369 DC du 28 décembre 1995 que le législateur ne pouvait pas créer, en instituant un régime favorable aux donations d'entreprises, des différences de situation qui ne soient pas en relation directe avec l'objectif d'encourager la transmissions de ces biens. Ainsi qu'il l'a indiqué dans cette même décision, le Conseil apprécie, pour se prononcer sur l'existence d'une rupture caractérisée de l'égalité entre les contribuables pour l'application du régime fiscal des droits de donations, le rapport entre l'importance de l'avantage consenti et les buts poursuivis par le législateur. S'il n'est pas douteux qu'un dispositif qui limite à 50 % l'avantage fiscal consenti aux bénéficiaires d'une transmission d'entreprise est proportionné au but poursuivi par le législateur, dans la mesure où cet avantage ne bénéficie qu'aux groupes d'actionnaires constitués autour d'un associé exerçant des fonctions dirigeantes dans l'entreprise, en revanche le législateur ne peut aller au delà d'une diminution des droits de mutation de 50 % sans porter atteinte au principe d'égalité entre les donataires.
Or, c'est pourtant exactement ce à quoi aboutit le dispositif adopté à l'article 24, puisqu'il étend le bénéfice des dispositions des articles 789 A et 789 B aux donataires sans exclure pour autant l'application des dispositions de l'article 790 du code général des impôts. Du fait de la combinaison de ces deux dispositifs la personne bénéficiant de la donation d'une entreprise pourra prétendre à une économie d'impôt pouvant aller jusqu'à 75 %. Compte tenu de sa disproportion par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur, l'octroi d'un tel avantage aboutit à une rupture caractérisée du principe d'égalité devant l'impôt.

II / Sur l'article 24 bis
L'article 24 bis, résultant d'un amendement adopté par le Sénat en première lecture, modifie l'article 1840 G nonies du code général des impôts en prévoyant la suppression des droits complémentaires en cas de non respect des conditions d'application d'un engagement collectif de conservation des titres ouvrant droit à l'allègement des droits de mutation à titre gratuit pour la transmission d'une entreprise.
Ce droit complémentaire est dû par l'héritier, le donataire ou le légataire qui ne respecterait pas l'engagement de conservation des titres d'une entreprise qui ont fait l'objet d'une réduction de moitié des droits d'enregistrement, dans le cadre du dispositif prévu par les articles 789 A et 789 B du même code, dont l'article 24 de la loi déférée prévoit l'élargissement en cas de donation.
En soulignant que le niveau élevé du droit complémentaire revêtait un caractère dissuasif, le rapporteur du texte au Sénat souligne que, dans l'esprit du législateur, cet article est indissociable du dispositif prévu à l'article 24. Le Gouvernement, initialement opposé à l'adoption de l'amendement, reprenait cette logique en considérant que le niveau des droits n'avait pas fait obstacle à la signature de centaines d'engagements collectifs de conservation. La suppression proposée par l'article 24 bis s'inscrit dont clairement dans une logique de réforme du dispositif prévu à l'article 24 et vient donc accroître l'avantage fiscal dénoncé et renforcer la rupture d'égalité.
La rapporteure à l'Assemblée nationale soulignait enfin, pour justifier l'adoption en deuxième lecture de cet article, qu'« il convient également de prendre en compte la possibilité que l'héritier de l'entreprise transmise ne puisse assurer le respect de l'engagement de conservation pour des raisons légitimes, qui ne relèvent pas d'un calcul frauduleux ou d'une démarche d'optimisation fiscale ».
Cet article est donc indissociable de l'article 24 et ne pourra qu'être censuré avec celui-ci.

III / Sur l'article 26 bis
L'article 26 bis crée un article 885 I bis dans le code général des impôts excluant sous certaines conditions des bases à l'impôt de solidarité sur la fortune, à concurrence de la moitié de leur valeur, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Ces parts ou actions de sociétés devraient faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de six ans, regroupant 25 % au moins des droits sociaux d'une entreprise cotée ou 34 % des parts ou actions d'une entreprise non cotée, une partie non définie de ces titres devant être détenue par une personne exerçant une fonction dirigeante au sein de la société.
Ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans ses décisions n°81-133 DC du 30 décembre 1981 et n°98-405 DC du 29 décembre 1998, l'objet de l'impôt de solidarité sur la fortune est de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens. Le principe énoncé par l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen selon lequel les impositions doivent être établies selon les facultés contributives des citoyens n'interdit pas au législateur de prévoir, lorsque cette faculté est appréciée comme ici par la détention d'un ensemble de biens, que certaines catégories de biens ne seront pas pris en considération, en totalité ou en partie, pour apprécier cette faculté contributive.
Mais ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel, encore faut-il que les règles ainsi définies par le législateur reposent sur des critères objectifs et rationnels conformes aux buts qu'il poursuit et n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. La décision n°95-369 DC du 28 décembre 1995 précitée portant sur les dispositions relatives aux droits de mutation à titre gratuit développe effectivement un tel principe.
La disposition contestée méconnaît ces principes à un double titre.
En premier lieu, elle institue un avantage fiscal disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de ce texte, issu d'un amendement déposé par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, l'objectif poursuivi par le législateur était d'encourager, dans les entreprises à structure familiale, le maintien d'un actionnariat familial en octroyant un avantage fiscal aux actionnaires qui décident de souscrire un engagement collectif de conservation des titres de la société. D'autres objectifs ont parfois été mentionnés, comme la volonté d'éviter la délocalisation d'entreprises ou de maintenir l'emploi en France, mais ils sont de toute évidence sans rapport avec l'objet de la mesure. Cette dernière n'est subordonnée à aucune exigence de création d'emplois. De plus, elle ne peut en respect du droit communautaire garantir que les titres ouvrant droit au bénéfice de l'avantage soient ceux de sociétés françaises ou exerçant leur activité en France.
Au regard de cet objectif, en instituant un abattement de 50 % sur la valeur de parts de sociétés comprises dans les bases d'imposition de l'impôt de solidarité sur la fortune aux seules conditions que les détenteurs de ces parts conservent ces biens pendant une durée minimale de six années et que l'un des associés exerce une activité dirigeante dans la société, mais sans introduire de conditions permettant de limiter effectivement le bénéfice de la mesure aux seules entreprises familiales, en plafonnant en valeur absolue le montant de l'avantage fiscal ou en en subordonnant le bénéfice à l'existence de liens familiaux entre les associés, le législateur a introduit vis à vis des autres assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune des différences de traitement qui ne sont pas en relation directe avec l'objectif d'intérêt général qu'il s'était assigné.
De plus, la fixation d'une condition imposant que l'engagement collectif de conservation porte sur au moins 20 % des droits financiers et droits de vote attachés aux titres émis par la société s'ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé introduit une nouvelle fois une différence de traitement au regard des dispositions prévues au 2 ° de l'article 885 O bis du code général des impôts qui dispose que les parts et actions des sociétés sont considérées comme biens professionnels si leur propriétaire (unique dans ce cas) possède au moins 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société.
La discordance entre les seuils retenus n'a pas reçue de justification en rapport avec l'objet de la loi. La référence avancée notamment par le rapporteur au Sénat, à une « réalité économique » plus grande du seuil de 20 % en référence à la présomption de contrôle de la société implique notamment que le critère retenu ici n'est plus celui du bien professionnel, seul légitime au regard de l'objectif de la loi.
En second lieu, le dispositif critiqué introduit une rupture caractérisée de l'égalité entre des redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune pourtant, placés dans une situation identique au regard de l'objectif même que s'était assigné le législateur.
En effet, l'article 26 bis ne s'applique qu'au patrimoine professionnel constitué de parts et d'actions de société, et non aux entreprises individuelles. Il est pourtant fréquent que les situations auxquelles le législateur a voulu remédier en instituant la disposition critiquée se retrouvent à l'identique s'agissant des entreprises individuelles. Certes les biens constituant une entreprise individuelle qui sont nécessaires à l'exercice à titre principal par leur propriétaire d'une profession sont considérés comme des biens professionnels par l'article 885 N du code général des impôts et exonérés à ce titre de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Mais il peut arriver, notamment à la suite d'une transmission à titre gratuit de l'entreprise, que les biens constituant l'actif de cette dernière soient détenus par d'autres personnes que celle qui exerce son activité professionnelle dans le cadre de cette entreprise. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, lorsque avaient été introduites par la loi de finances pour 2000 les dispositions codifiées à l'article 789 A du code général des impôts, qui prévoient, selon un mécanisme dont s'est ici inspiré le législateur, l'exonération à hauteur de 50 % des droits de mutation à titre gratuit sur les parts de société grevées d'un engagement de conservation des titres, avait été institué un dispositif permettant l'exonération dans les mêmes conditions des biens affectés à l'exploitation d'une entreprise individuelle (article 789 B du code général des impôts).
En traitant différemment les détenteurs d'une entreprise selon que cette dernière est constituée sous forme de société ou sous forme d'une entreprise individuelle, l'article 26 bis porte atteinte au principe d'égalité puisque rien ne justifie d'introduire une telle discrimination entre les détenteurs d'une entreprise placés dans une situation identique au regard de l'objet de la loi qui est d'encourager la poursuite d'une entreprise sous forme familiale.

IV / Sur l'article 26 ter
L'article 26 ter crée un article 885 ter dans le code général des impôts prévoyant l'exonération sous certaines conditions des titres reçus en contrepartie d'une souscription au capital d'une petite ou moyenne entreprise ayant son siège dans la Communauté européenne.
Ainsi que le rappelle à échéance régulière le Conseil constitutionnel, le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur institue pour des motifs d'intérêt général des incitations fiscales, mais une fois encore c'est à la condition que l'appréciation du législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en relation avec l'objet qu'il poursuit. Or l'article 26 ter méconnaît le principe d'égalité dans la mesure où il institue un avantage disproportionné par rapport au but qu'il poursuit et une distinction entre entreprise individuelle et entreprise constituée sous forme de société.
D'après les indications données par le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, auteur de l'amendement dont est issu cette disposition, l'objet de ce texte est d'accroître les investissements dans les PME pour favoriser l'emploi (débats AN, 3ème séance du jeudi 6 février 2003, journal officiel du 7 février 2003 page 1053 et suivantes). Or, la disposition critiquée prévoit une exonération non partielle mais totale de l'impôt de solidarité sur la fortune sur les titres reçus par un redevable en contrepartie de sa souscription au capital d'une société répondant à la définition communautaire des PME. Là aussi, en accordant aux souscripteurs des titres de ces sociétés un avantage d'une telle importance, alors qu'une exonération partielle d'impôt de solidarité sur la fortune aurait été suffisante pour encourager l'investissement dans les PME, le législateur a introduit une rupture caractérisée de l'égalité devant l'impôt entre les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Le dispositif adopté conduit en outre à traiter différemment des redevables de l'impôt se solidarité sur la fortune placés dans une situation identique au regard de l'objet de la loi. C'est ainsi que, d'une part, à la suite d'un amendement présenté lors de la discussion au Sénat, l'avantage institué a été étendu à la souscription de titres de sociétés exerçant leur activité dans les activités bancaires, financières et d'assurances, alors même qu'il est généralement d'usage d'exclure ce type d'activité des avantages institués en matière fiscale (ainsi que le font les articles 789 A et 789 B du code général des impôts ainsi que l'article 885 I bis du même code introduit par l'article 26 bis de la loi), mais en excluant en revanche les activités de gestion du patrimoine mobilier ou immobilier. On ne voit pas sur quel critère objectif et rationnel repose cette exclusion, dès l'instant que les activités bancaires et financières, qui ont également une dimension patrimoniale relèvent du champ d'application du dispositif.
Et on comprend encore moins la raison pour laquelle là encore le législateur a limité le champ d'application du dispositif au souscription en numéraire de parts de société, sans prendre en considération les apports de capitaux réalisés dans une entreprise individuelle. Alors que les 2 millions de PME gérés sous forme d'entreprises individuelles constituent les principaux vecteurs de création d'emplois, et ont tout autant besoin que celles qui sont gérées sous forme de sociétés d'un apport de capitaux, l'avantage institué par le législateur les exclut de son champ d'application. Le Conseil constitutionnel ne pourra là aussi que censurer l'atteinte portée de ce fait au principe d'égalité. Rien ne justifie une telle discrimination entre les entreprises individuelles et les entreprises constituées sous forme de société et ce d'autant plus que le but du législateur est de favoriser l'emploi dans les PME. L'avantage est inadapté par rapport à l'objectif poursuivi.
Enfin, le Conseil constitutionnel ne pourra que constater la rupture d'égalité introduite par l'exonération des apports non seulement en capital mais également en nature. Cette disposition introduite par un amendement au Sénat a conduit le Gouvernement comme les rapporteurs à l'Assemblée à souligner que cette extension conduisait à s'écarter du dispositif initial qui tendait à cibler la mesure sur l'investissement en faveur du développement économique de l'entreprise. Les rapporteurs à l'Assemblée nationale ont souligné que cette disposition allait même « à l'encontre du but poursuivi initialement qui était, rappelons-le, de remédier à l'insuffisance de l'offre de financements aux PME. Il est donc essentiel de recentrer la mesure sur l'apport « d'argent frais » qui permettrait réellement d'insuffler un nouvel élan à la création ou au développement des PME, sans courir le risque d'un détournement de la mesure par des apports de valeurs mobilières, dans le but de les exonérer d'ISF ».
L'exonération spécifique est donc clairement sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur et ne saurait donc qu'être annulée par le Conseil Constitutionnel qui constatera une rupture du principe d'égalité.

V / Sur l'article 26 quater
L'article 26 quater modifie l'article 885 O bis du code général des impôts afin d'introduire un assouplissement des critères permettant la qualification de biens professionnels au sens de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Le but poursuivi par le dispositif prévu à l'article 885 O bis du Code général des impôts dans sa rédaction actuelle est d'assurer l'exclusion - prévue au dernier alinéa de l'article 885 A qui dispose que « les biens professionnels définis aux articles 885 N à 885 R ne sont pas pris en compte pour l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune » - des biens professionnels, et eux seuls, du champ de l'impôt de solidarité sur la fortune.
La modification prévue par l'article 26 quater doit être analysée au regard de ce principe général.
L'article prévoit que les dirigeants d'entreprises, qui ne détiennent pas les 25 % du capital de leur entreprise ouvrant droit à exonération automatique au titre de l'ISF, bénéficient de l'exonération dès lors que leurs parts représentent plus de 50 % de la valeur brute de leur patrimoine imposable, contre 75 % actuellement. Ainsi, des parts de société seront considérées comme bien professionnel, et donc soumis à l'ISF, si elles constituent 50 % au moins du patrimoine imposable d'un dirigeant de société.
L'abaissement du seuil de 75 % à 50 % conduira à accorder un avantage fiscal disproportionné au regard de l'objectif poursuivi par la loi. En effet, un dirigeant d'entreprise qui ne possède plus un pourcentage largement majoritaire au sein de son patrimoine des parts de la société ne peut prétendre que ces parts sont constitutives d'un bien professionnel au sens propre.
Ainsi, les mêmes parts pourraient, en totale méconnaissance du principe d'égalité, donner droit à une exonération totale de l'ISF pour certains contribuables compte tenu uniquement de leur fonction, et non pour d'autres, sans que cette différence de traitement soit justifiée par le fait que ces parts constitueraient dans un cas un bien professionnel et dans l'autre non.
L'avantage créé par l'article 26 quater est donc disproportionné au regard de l'objectif poursuivi par la loi et le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer l'atteinte portée de ce fait au principe d'égalité.