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Décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003 - Observations du gouvernement

Loi portant réforme de l'élection des sénateurs
Non conformité partielle

En ce qui concerne la loi ordinaire :
I/ Sur l'article 1er
A/ L'article 1er de la loi déférée modifie le tableau n°6 annexé au code électoral fixant le nombre des sénateurs représentant les départements, augmentant d'un siège le nombre des sénateurs des départements de l'Ain, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, de la Drôme, d'Eure-et-Loir, de la Haute-Garonne, de la Gironde, de l'Hérault, de l'Isère, du Maine-et-Loire, de l'Oise, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, du Var, de Vaucluse, de Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion, du Val d'Oise, des Yvelines et augmentant de deux le nombre de sénateurs du département de Seine-et-Marne.
Selon les députés auteurs du premier recours, cette modification laisserait subsister des déséquilibres démographiques contraires aux exigences constitutionnelles résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des articles 3 et 24 de la Constitution. Ils soutiennent, en particulier, que le maintien des sièges de sénateurs attribués aux départements de la Creuse et de Paris ne repose pas sur des critères objectifs et rationnels et est contraire au principe d'égalité. Une critique du même ordre pourrait, selon eux, être adressée à la fixation du nombre de sénateurs dans d'autres départements. Les députés saisissants estiment, enfin, que ces griefs sont de nature à justifier la censure de l'ensemble de la loi.
Les sénateurs, auteurs du second recours, soutiennent que la répartition des sièges de sénateurs ne répond pas aux exigences constitutionnelles, en ce qu'elle ne prend pas en compte l'évolution de la population de certains départements et qu'elle ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels. Ils relèvent, en outre, que la loi aurait dû modifier les règles relatives à la composition du collège électoral pour se conformer aux exigences constitutionnelles.
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra retenir ces griefs pour censurer la loi qui lui est déférée.
1/ Le principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement, mais non exclusivement, démographiques a été affirmé à plusieurs reprises. Il s'applique à l'élection des députés (décision n°86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986 ; décision n°86-218 DC du 18 novembre 1986), à celle des membres du Parlement européen (décision n°2003-468 DC du 3 avril 2003) ainsi que, notamment, aux élections municipales (décision n°87-227 DC du 7 juillet 1987) ou à l'élection du congrès de Nouvelle Calédonie (décision n°85-196 DC du 8 août 1985 ; décision n°85-197 DC du 23 août 1985). Ce principe n'implique pas que la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population ni n'exclut que le législateur puisse tenir compte d'autres impératifs d'intérêt général ; mais de telles considérations ne peuvent intervenir que dans une mesure limitée.
Pour l'élection des sénateurs, le législateur doit aussi tenir compte des termes de l'article 24 de la Constitution, selon lequel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Il en résulte que le Sénat doit être élu par un corps électoral qui est l'émanation des collectivités territoriales : il doit, à ce titre, être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes de ces collectivités, en représenter toutes les catégories et refléter leur diversité. La représentation de chaque catégorie de collectivités doit tenir compte de la population qui y réside (décision n°2000-431 DC du 6 juillet 2000). La répartition des sièges de sénateurs entre les départements doit ainsi tenir compte des évolutions de population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation. Il en résulte que le critère démographique, qui n'est jamais exclusif d'autres considérations d'intérêt général pour les autres élections, doit être particulièrement concilié, s'agissant du Sénat, avec les exigences liées à la représentation des diverses collectivités territoriales de la République.
Le Conseil constitutionnel a rappelé, à deux reprises, que la répartition des sièges de sénateurs entre les départements devait être actualisée pour tenir compte des évolutions de leur population (décision n°2000-431 DC du 6 juillet 2000 ; décision du 20 septembre 2001 statuant sur les requêtes présentées par M. Hauchemaille et M. Marini). C'est précisément à quoi procède la loi déférée qui modifie le tableau n°6 annexé au code électoral en augmentant de deux sièges le nombre de sénateurs élus dans le département de Seine-et-Marne et d'un siège le nombre des sénateurs élus dans 20 départements ainsi qu'en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française et à Mayotte.
Le législateur s'est référé, pour répartir les sièges de sénateurs entre les départements, à un mode de répartition par strates démographiques qui a été d'application constante sous les IVème et Vème Républiques. Ce mode de répartition avait été explicité par la loi n°48-1471 du 23 septembre 1948 relative à l'élection des conseillers de la République et a été ensuite utilisé pour déterminer le nombre de sénateurs par département (V. l'ordonnance n°58-1098 du 15 novembre 1958 ; la loi n°76-645 du 16 juillet 1976). L'article 5 de la loi du 23 septembre 1948 disposait ainsi qu'il est attribué un siège de conseiller de la République à chaque département jusqu'à 154.000 habitants et ensuite un siège par tranche de 250.000 habitants ou fraction de ce nombre. Le seuil initial de 154.000 habitants a été abaissé à 150.000 en 1976. Sans doute ce mode de répartition par tranches démographiques n'aboutit-il pas à une répartition des sièges entre départements strictement proportionnelle à leur population. Mais il assure une représentation de l'ensemble des collectivités territoriales de la République en tenant compte suffisamment de leur population, de telle sorte qu'il peut être regardé comme satisfaisant aux exigences constitutionnelles.
Il est vrai, au delà de la mise en oeuvre de ce mode de répartition, que le nombre de sénateurs attribués aux départements de Paris et de la Creuse, dont il faut observer qu'ils ne sont pas visés par la loi déférée qui ne comporte aucune disposition les concernant directement, ne peut être uniquement justifié par des considérations démographiques. On peut, au demeurant, relever que la situation particulière du département de la Creuse avait déjà été prise en considération par le législateur de 1976, qui s'était opposé à la suppression d'un siège de sénateur dans ce département au nom des spécificités des départements ruraux (V. notamment l'intervention de M. Champeix au cours de la séance du Sénat du 26 juin 1974).
Mais force est de constater que ces particularités de représentation, qui procèdent du choix du législateur de ne pas réduire le nombre de sénateurs dans aucun département, conservent une portée limitée et qu'elles peuvent être justifiées par l'exigence de représentation de l'ensemble des collectivités territoriales de la République. A cet égard, on peut remarquer que les ajustements successifs de la répartition des sièges de sénateurs se sont, par le passé, accompagnés d'un accroissement du nombre de sièges et ne se sont jamais traduits, s'agissant du Sénat, par la suppression d'un siège de sénateur dans un département. La loi déférée s'inscrit dans cette tradition et les aménagements qu'elle apporte à la prise en compte de la représentation des différentes catégories de collectivités territoriales et de leur population n'excèdent pas, du fait de leur portée réduite, les limites imparties par les exigences constitutionnelles.
Au surplus, il faut observer que faire droit à l'argumentation des saisissants aurait pour résultat paradoxal de provoquer la censure de dispositions législatives qui ont pour objet et pour effet de corriger la répartition des sièges de sénateurs entre départements dans un sens conforme aux exigences constitutionnelles. Or le Conseil constitutionnel s'attache à prévenir de tels paradoxes, ainsi qu'en témoignent les décisions n°2001-453 DC du 18 décembre 2001 et n°2003-468 DC du 3 avril 2003.
Le Gouvernement considère ainsi que les critiques dirigées contre l'article 1er devront être écartées. Au demeurant, il entend souligner que ces dispositions, contrairement à ce qu'affirment les saisines, sont séparables des autres dispositions du texte : il n'existe en effet pas, entre la modification apportée par l'article 1er au tableau n°6 annexé au code électoral relatif aux sénateurs représentant les départements et les autres dispositions de la loi déférée, de lien juridique tel qu'il implique qu'une éventuelle censure de la modification du tableau doive emporter la censure des autres dispositions de la loi.
2/ S'agissant de la composition du collège électoral qui procède, dans les départements, à l'élection des sénateurs, le grief articulé par la seconde saisine apparaît inopérant.
En effet, le législateur n'a nullement modifié, par la loi déférée, les règles relatives à la composition du collège électoral sénatorial qui figurent aux articles L 280 et suivants du code électoral. Les dispositions en vigueur résultent ainsi d'une loi promulguée qui n'a été, sur ce point, ni modifiée ni complétée par la loi déférée, et qui n'est pas davantage affectée par elle.
Or, dans un tel cas, le Conseil constitutionnel considère qu'il ne peut examiner la conformité à la Constitution de telles dispositions promulguées (décision n°85-187 DC du 25 janvier 1985 ; décision n°86-211 DC du 26 août 1986 ; décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 ; décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision n°99-414 DC du 8 juillet 1999 ; décision n°2002-464 DC du 27 décembre 2002). La critique formulée sur ce point par les sénateurs requérants ne pourra, par suite, être retenue.
II/ Sur les articles 5 et 6
A/ Les articles 5 et 6 de la loi déférée, modifiant les articles L 294 et L 295 du code électoral, ont pour effet de relever de trois à quatre sénateurs élus dans le département le seuil à partir duquel l'élection a lieu au scrutin proportionnel. En vertu de l'article L 294 modifié, l'élection se déroule au scrutin majoritaire à deux tours dans les départements où sont élus trois sénateurs ou moins ; en vertu de l'article L 295, l'élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne dans les départements où sont élus quatre sénateurs ou plus.
Les députés et sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions seraient contraires au dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution, en ce qu'elles auraient par elles-mêmes pour effet de réduire la proportion de femmes élues au Sénat.
B/ Cette critique, qui se méprend sur la portée de l'article 3 de la Constitution, ne pourra être suivie.
Le pouvoir constituant, en ajoutant un dernier alinéa à l'article 3 de la Constitution par la loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999, a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif de son choix tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2000-429 DC du 30 mai 2000 (considérant n°6), la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a eu pour objet et pour effet de lever les obstacles d'ordre constitutionnel, tenant au respect du principe d'égalité, qui avaient été antérieurement relevés par les décisions n°82-146 DC du 18 novembre 1982 et n°98-407 DC du 14 janvier 1999. C'est dire que le pouvoir constituant, ainsi qu'en témoignent les travaux parlementaires préalables à la révision constitutionnelle, n'a pas entendu imposer au législateur de prendre des mesures dans un sens déterminé mais, au contraire, lui laisser le choix de mettre en oeuvre - ou non - des dispositifs permettant de rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives et mandats électoraux. La décision n°2000-429 DC du 30 mai 2000 énonce ainsi qu'il est « loisible au législateur d'adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant » (considérant n°7), mesures dont il est dit non qu'il « doit » mais qu'il « peut » les adopter (considérant n°8).
Ainsi, c'est au législateur qu'il appartient de déterminer, pour chaque scrutin, les dispositions qui lui paraissent appropriées, sans que la Constitution, depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, n'y mette d'obstacle mais sans que la Constitution ne lui impose non plus d'adopter des mesures déterminées. Il est, par suite, loisible au législateur de modifier pour l'avenir les règles antérieurement édictées. On ne saurait, dès lors, déduire des dispositions de l'article 3 de la Constitution qu'elle s'opposeraient à ce que le législateur modifie pour l'avenir les règles applicables à un mode de scrutin déterminé au motif que cette modification serait susceptible d'avoir pour conséquence une moindre représentation des femmes. En d'autres termes, il ne peut être sérieusement soutenu que la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 aurait pour effet d'instaurer une sorte d'effet « cliquet » interdisant désormais au législateur de revenir sur le choix, qu'il est normalement libre d'opérer selon ce qui lui paraît le plus approprié, entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel.
Au surplus, on peut relever que la modification du mode de scrutin sénatorial, décidée par les articles 5 et 6 de la loi déférée, n'a pas pour objet ni, par elle-même, pour effet de réduire la proportion de femmes élues au Sénat. Les dispositions critiquées n'ont pas un tel effet direct et nécessaire, pas davantage que n'en avait la modification du mode scrutin applicable aux élections des membres du Parlement européen, que le Conseil constitutionnel a jugée conforme à la Constitution (décision n°2003-468 DC du 3 avril 2003, considérant n°46).
III/ Sur l'article 7
A/ L'article 7 de la loi déférée, issu d'un amendement parlementaire, a modifié l'article 52-3 du code électoral pour préciser que le libellé et la dimension des caractères des bulletins de vote doivent être conformes aux prescriptions édictées pour chaque catégorie d'élections, les bulletins de vote pour les élections au scrutin majoritaire ne pouvant comporter aucun autre nom propre que celui du ou des candidats, ceux pour les élections au scrutin de liste pouvant prendre une même dénomination qui peut être le nom d'un parti politique ou celui de son représentant.
Les sénateurs, auteurs du second recours, soutiennent que cet article est dépourvu de tout lien avec les autres dispositions de la loi déférée et qu'il ne pouvait, par suite, être adopté sans méconnaître les limites imparties au droit d'amendement. Ils soutiennent, en outre, que la disposition critiquée porte atteinte au principe d'égalité, en ce qu'elle instaure deux règles différentes selon que l'élection a lieu au scrutin majoritaire ou au scrutin de liste sans qu'existent de différences objectives de situation entre ces deux modes de scrutin, ni de motif d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi.
B/ Une telle argumentation pourra être écartée.
1/ Le grief mettant en cause les conditions d'adoption de cet article 7 n'est pas fondé.
On sait qu'en vertu des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution le droit d'amendement peut s'exercer, réserve faite des dispositions particulières applicables après la réunion de la commission mixte paritaire à chaque stade de la procédure législative, à la condition que les adjonctions et modifications apportées au texte en cours de discussion ne soient pas dépourvues de tout lien avec l'objet du texte soumis au Parlement (voir notamment la décision n°2001-455 DC du 12 janvier 2002 ; la décision n°2002-459 DC du 22 août 2002 ; la décision n°2003-472 DC du 26 juin 2003).
En l'espèce, les dispositions critiquées de l'article 7 ne sont pas dépourvues de tout lien avec d'autres dispositions de la loi déférée. Modifiant le code électoral, l'article 7 détermine des règles applicables aux bulletins de vote utilisés dans les élections au scrutin majoritaire ou au scrutin de liste. Il se rapporte ainsi à la matière électorale qui est l'objet même de la loi déférée. L'article 7 ne peut, dès lors, pas être regardé comme dépourvu de lien avec d'autres dispositions adoptées par la loi portant réforme de l'élection des sénateurs, lesquelles modifient des articles du code électoral et traitent, à l'occasion du mode de scrutin applicable à l'élection des sénateurs, du scrutin majoritaire et du scrutin proportionnel.
2/ L'article 7 énonce, en modifiant l'article L 52-3 du code électoral, que le libellé et la dimension des caractères des bulletins de vote doivent être conformes aux prescriptions légales et réglementaires édictées pour chaque catégorie d'élection. Il précise que pour les élections au scrutin majoritaire, les bulletins ne peuvent comporter aucun nom propre autre que celui du ou des candidats, mais admet que, pour les élections au scrutin de liste, les listes puissent prendre une même dénomination pour être identifiées au niveau national, cette dénomination pouvant être le nom d'un groupement ou d'un parti politique, voire celui du représentant de ce groupement ou parti.
Il faut relever que les modes de scrutin envisagés par la disposition diffèrent de façon objective : un scrutin uninominal majoritaire conduit les électeurs à élire directement un candidat ; dans un scrutin de liste en revanche, le choix des électeurs vise à ce que la liste qui reçoit leur suffrage obtienne des élus, mais sans impliquer directement l'élection de tel ou tel candidat figurant sur la liste. Le scrutin majoritaire induit ainsi une personnalisation de la campagne et de l'élection plus forte que les scrutins de listes.
Eu égard à cette différence objective, il était loisible au législateur de poser des règles différentes s'agissant du libellé des bulletins de votes utilisés dans ces deux types de scrutin. L'exclusion pour le scrutin majoritaire de la mention de tout autre nom que celui du candidat peut notamment se recommander du souci d'éviter une éventuelle confusion dans l'esprit des électeurs. On peut d'ailleurs relever que c'est pour cette raison qu'une règle analogue a déjà été fixée, par voie réglementaire, pour les élections cantonales (V. l'article R 111 du code électoral qui dispose que « les bulletins de vote ne peuvent comporter aucun nom propre autre que celui du ou des candidats », ce qui doit se comprendre comme excluant la mention des seuls noms patronymiques - CE 27 septembre 1989, Elections cantonales de Pertuis et Pellenc, Rec. table p.696). En revanche, pour les élections au scrutin de liste, les caractéristiques propres à ces élections ne justifient pas d'imposer des contraintes comparables. Par suite, on peut admettre que le législateur ait pu adopter des dispositions différentes pour ces deux types d'élection sans méconnaître le principe d'égalité entre les différents candidats aux élections

En définitive, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs des recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.