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Décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003 - Observations du gouvernement

Révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République
Incompétence pour statuer

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, votée en termes identiques par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2002 et par le Sénat le 11 décembre 2002, et adoptée par le Congrès le 17 mars 2003, conformément à l'article 89 de la Constitution.
Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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1. La compétence du Conseil constitutionnel est déterminée par la Constitution. Elle ne peut être précisée et complétée par voie de loi organique que dans le respect des principes posés par la Constitution (décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 ; décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992). Il en résulte que le Conseil constitutionnel ne saurait être appelé à se prononcer en dehors des cas expressément prévus par la Constitution ou l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Or aucune disposition constitutionnelle, et d'ailleurs aucune disposition organique, ne donne compétence au Conseil constitutionnelle pour connaître d'une loi constitutionnelle adoptée par le pouvoir constituant. L'article 61 de la Constitution vise, à son premier alinéa, les lois organiques régies par l'article 46 de la Constitution et, à son deuxième alinéa, les seules lois ordinaires (selon les termes mêmes des décisions n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 et n° 92-313 DC du 23 septembre 1992), c'est à dire les lois adoptées par le Parlement selon la procédure législative exclusivement déterminée par les articles 39 à 45, 49 et 10 de la Constitution. Le deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution ne peut être interprété comme habilitant le Conseil constitutionnel à connaître des lois référendaires adoptées par le peuple français en vertu de l'article 11 de la Constitution, ainsi qu'il a déjà été expressément jugé (décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 ; décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992). Il ne saurait davantage habiliter le Conseil constitutionnel à connaître de lois constitutionnelles adoptées par le pouvoir constituant en vertu de l'article 89 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel ne pourra, dès lors, que décliner sa compétence pour connaître du recours qui lui a été adressé, comme il l'a fait lorsqu'il a été saisi de lois référendaires (décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 ; décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992).
2. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a été amené à préciser que le pouvoir constituant est souverain « sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles »la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision" » (décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 ; décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000).
Mais il faut souligner qu'il en a été jugé ainsi alors que le Conseil constitutionnel était saisi dans le cadre des compétences que lui attribue la Constitution. La décision du 2 septembre 1992 a été rendue à propos d'un traité, en application de l'article 54 de la Constitution dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 ; celle du 15 mars 1999 a statué sur une loi organique examinée en application de l'article 46 et du premier alinéa de l'article 61 de la Constitution ; celle du 30 mai 2000 a examiné, sur saisine de parlementaires faite en vertu du deuxième alinéa de l'article 61, la conformité à la Constitution d'une loi ordinaire adoptée par le Parlement. Ces décisions n'impliquent nullement, contrairement à ce que soutient la saisine, que le Conseil constitutionnel puisse connaître directement d'une loi constitutionnelle adoptée en vertu de l'article 89 de la Constitution, alors que la Constitution ne l'a pas prévu.
3. A titre infiniment subsidiaire, le Gouvernement relève, en tout état de cause, que la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République a été adoptée par le Congrès le 17 mars 2003 sans méconnaître les articles 7, 16 et 89 de la Constitution. La révision constitutionnelle n'a, en effet, pas été engagée ou poursuivie au cours des périodes visées aux articles 7, 16 et au quatrième alinéa de l'article 89 de la Constitution. La loi constitutionnelle a, en outre, été adoptée conformément aux prescriptions des trois premiers alinéas de l'article 89 de la Constitution. Elle ne peut, enfin, être regardée comme méconnaissant le dernier alinéa de l'article 89 de la Constitution.
Sur ce dernier point, le Gouvernement estime que la portée des dispositions du dernier alinéa de l'article 89 est étroitement circonscrite. Il est fermement d'avis que ces dispositions ne sauraient être interprétées de manière extensive pour limiter l'appréciation du pouvoir constituant. Comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, et comme l'affirme d'ailleurs la très grande majorité de la doctrine (V. notamment G. Vedel, Souveraineté et surpraconstitutionnalité, Pouvoirs n° 67, 1993 ; B. Genevois, Les limites d'ordre juridique à l'intervention du pouvoir constituant, RFD adm 1998 p.909), le pouvoir constituant est souverain et il ne peut lui être opposé, dans notre système juridique, de règles de droit qui auraient une valeur supérieure à la Constitution.
Au demeurant, le dernier alinéa de l'article 89, qui dispose que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » se borne à réitérer, avec une formulation légèrement différente, les prescriptions figurant à l'article 95 de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lesquelles « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision », elles mêmes reprises, en des termes identiques, des dispositions de la loi constitutionnelle du 14 août 1884. C'est, en effet, l'article 2 de cette loi constitutionnelle qui a inséré à l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 la formule sur la forme républicaine du gouvernement, laquelle a, depuis lors, toujours figuré dans les Constitutions républicaines (et d'ailleurs aussi dans les projets de Constitution - voir sur ce point l'article 125 du projet de Constitution du 19 avril 1946).
Aucun élément des travaux préparatoires à l'adoption de la Constitution du 4 octobre 1958 ne permet de soutenir que le pouvoir constituant de 1958 aurait entendu donner à la formule reprise au dernier alinéa de l'article 89 une autre signification ou une autre portée que celle qui résultait de la tradition constitutionnelle antérieure, c'est à dire - en fait - de la loi constitutionnelle de 1884. Or il ressort très clairement des dispositions mêmes de la loi constitutionnelle du 14 août 1884 comme des débats parlementaires préalables à son adoption que la seule portée de la disposition était de s'opposer au rétablissement de la monarchie. Cela résulte d'abord du rapprochement de la disposition sur la forme républicaine du gouvernement avec la phrase qui la suivait immédiatement (et qui a ultérieurement figuré à l'article 44 de la Constitution du 27 octobre 1946), selon laquelle « les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République ». Les débats des deux chambres réunies en Assemblée nationale à Versailles soulignent ensuite que la portée de la disposition était de faire obstacle à la restauration de la monarchie (Intervention de M. Bocher et réponse de J. Ferry, président du conseil ; V. Duvergier 1884 p.249).
Pour le Gouvernement, les dispositions du dernier alinéa de l'article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne sauraient se voir reconnaître une autre portée que celle qui vient d'être exposée. Telle lui apparaît être l'interprétation qu'appellent à la fois la lettre de la Constitution, l'intention du pouvoir constituant et la tradition constitutionnelle républicaine.
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Ces motifs conduisent le Gouvernement à estimer que le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir le recours dont il est saisi.