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Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 - Réplique par 60 députés

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003
Non conformité partielle

I. Sur l'article 13
Pour tenter de sauver cet article, le gouvernement prétend, d'une part, que le principe d'égalité devant les charges publiques n'est pas atteint, et d'autre part, que les produits dont il s'agit présentent un danger particulier au motif qu'ils sont consommés fréquemment par certaines personnes en même temps que des drogues.
L'argumentation est pour le moins stupéfiante.
D'abord, le gouvernement se méprend sur la portée de l'argumentation des saisissants. La rupture d'égalité dont il est question ne se réalise pas entre les consommateurs mais entre les différentes produits dès lors que la consommation immodérée de toute bière, à l'instar de toute boisson alcoolique, a les mêmes effets néfastes sur la santé.
Le gouvernement feint, en réalité, de ne pas voir que la violation du principe d'égalité se double ici d'une méconnaissance du droit à la protection de la santé. En l'absence de critères objectifs et rationnels, l'article critiqué, menaçant l'intérêt général invoqué comme but de la loi, ne pourra échapper à la censure.
Il importe, à cet instant, de rappeler que le but expressément prévu par l'article critiqué est bien de taxer plus lourdement un produit au motif que sa consommation immodérée est dangereuse pour la santé. Or, il est acquis que la consommation sans modération de toute boisson alcoolique est dangereuse pour la santé, soit directement soit par ses effets induits sur le comportement de l'individu. Du point de vue de la santé publique, la politique a consisté, depuis plusieurs années, à lutter contre la consommation excessive de boissons alcooliques sans chercher à établir des distinctions entre elles. Il s'agit, en particulier, d'éviter de donner le signe public que telle ou telle boisson serait plus ou moins dangereuse, au risque sinon de légitimer certaines consommations massives.
Il convient de noter, à cet égard, que dans l'article L. 3321-1 du code de la santé publique les bières appartiennent toutes au 2 ° groupe, sans que des distinction soient établies entre elles.
Plus encore, l'article L. 3323-2 dudit code limite strictement la publicité de l'ensemble des boissons alcooliques et n'opère pas davantage une telle différenciation ; pour la simple et bonne raison, dont le troisième alinéa de l'article L. 3323-4 suivant renvoi l'écho précis, que l'abus de tout alcool est dangereux pour la santé.
Le plus grave est, qu'au cas présent, l'article en cause, au prétendu objectif de santé publique, risque de menacer toute une politique construite depuis de longues années. La distinction critiquée laisse, en effet, entendre que certains produits sont intrinsèquement moins dangereux que d'autres. Le risque est celui d'un glissement vers d'autres bières ou d'autres boissons alcooliques qui seront consommées tout aussi abusivement avec les mêmes effets dangereux pour la santé. On préfère imaginer, à cet instant, que ce glissement n'est pas souhaité par certains. Quand le législateur de 1990 veut lutter contre le fléau de l'alcoolisme, il prend soin d'adopter une démarche globale dans l'espoir que le message sanitaire sera clair : tout consommation immodérée de toute boisson alcoolique est dangereuse pour la santé. Rompre cette logique serait désastreux du point de vue de la santé publique.
Cet article s'inscrit, en réalité, à la suite de la litanie des amendements dits « buvettes », et nul ne peut ignorer que son lien avec les préoccupations de santé publique est artificiel. L'historique de cette disposition, illustré par les travaux parlementaires et certains amendements venus l'enrichir avant de disparaître, en témoigne malheureusement.
Ensuite, il est frappant de constater que le gouvernement a tenté de faire disparaître l'article en cause. Au cours de la lecture devant le Sénat, monsieur le ministre de la Santé a longuement argumenté pour démontrer que l'article méconnaissait le droit communautaire, et constituait une mesure discriminatoire (Sénat, Séance du 19 novembre 2002). Il a d'ailleurs été suivi par la Haute Assemblée qui avait supprimé l'article.
Certes, les arguments tirés du droit communautaire sont ici sans pertinence. Il demeure que si le gouvernement n'a pas souhaité, pour des raisons politiques, utiliser l'argument constitutionnel, sa critique se fonde également sur l'existence d'une distinction de nature discriminatoire.
Le principe d'égalité tel que dégagé par votre jurisprudence sera tout aussi efficace pour invalider un article dont l'effet pervers aboutira, au surplus, à méconnaître le droit à la protection de la santé.
Enfin, on voudra pour dernière preuve de la faiblesse de l'argumentation du gouvernement, l'assertion selon laquelle cette taxation supplémentaire serait justifiée dès lors que la consommation de ces produits s'accompagne de l'usage de produits stupéfiants.
L'allusion est commode. Elle est choquante.
Du point de vue constitutionnel, on peine cependant à en comprendre la portée. Dès lors que le dispositif querellé vise l'usage immodéré des bières de plus de 8,5 % vol., il n'apparaît pas que les stupéfiants soient visés. Le gouvernement n'ayant pas fait connaître, à ce jour, son projet de taxer lesdits produits, même indirectement, on s'étonne du lien ainsi établi.
On s'interroge aussi sur les sources épidémiologiques à l'origine du dire.
Il est certain que l'article critiqué a établi une distinction sans critères objectifs et rationnel au regard du but énoncé : la consommation immodérée d'alcool. Bien au contraire, traiter un tel fléau avec une mesure pleine d'arrières pensées ne peut que conduire à des effets opposés à la protection de la santé.
La censure ne pourra qu'intervenir.

II. Sur l'article 43
Cet article qui se trouve au coeur du dispositif de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 fait l'objet d'une défense paradoxale de la part du gouvernement. Dans ses observations, il ne prétend pas que le mécanisme ainsi institué va fonctionner de manière objective et rationnelle, mais qu'il « repose sur des hypothèses vraisemblables de comportement des professionnels de santé » (page 8 des observations du gouvernement).
Il s'ensuit que le gouvernement admet, implicitement mais nécessairement, le caractère aléatoire de la mise en oeuvre du dispositif critiqué. Au regard des exigences du principe d'égalité, surtout lorsqu'il se rattache au droit à la protection sociale, une telle incertitude ne peut être admise.
Afin d'éviter tout malentendu sur la portée du grief, les auteurs de la saisine rappellent qu'ils sont favorables, pour d'évidentes raisons, au développement des médicaments génériques, sujet auquel ils ont fortement contribué, et à une authentique responsabilisation de tous les acteurs du système de santé. Il faut, cependant, que le dispositif choisi soit suffisamment précis et encadré pour garantir l'égalité devant la protection sociale.
La décision citée par le gouvernement mérite, à cet égard, tout l'intérêt. Saisi de la loi créant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées, vous avez considéré que « pour assurer le respect de ces principes, il incombe au législateur de prévenir par des dispositions appropriées la survenance de ruptures caractérisées d'égalité dans l'attribution de la prestation spécifique dépendance, allocation d'aide sociale qui répond à l'exigence de solidarité nationale » (Décision n° 96-387 DC du 21 janvier 1997, considérant 11).
En l'espèce, il ressort des propres observations du gouvernement que le dispositif critiqué n'est entouré d'aucune des garanties nécessaires pour éviter la survenance de ruptures caractérisées du principe d'égalité. Car, on croit comprendre à la lecture de la décision précitée que les dispositions appropriées doivent relever d'un encadrement législatif ou réglementaire permettant de pallier, par avance et au titre de mécanismes objectifs et rationnels, les risques de traitements divergents des assurés sociaux.
Or, dans le cas présent, les seules garanties que le gouvernement veut bien concéder appartiennent à la catégorie des « hypothèses vraisemblables ».
Dans la fable du prescripteur, du pharmacien et du patient, il est donc supposé que le médecin n'aura pas de raisons particulières pour délivrer un médicament princeps plutôt qu'un générique, que le pharmacien ne verra pas d'intérêt commercial à délivrer à son client fidèle une spécialité, et que tout patient aura une connaissance acquise suffisante de l'économie du système de santé.
Dans la réalité, ces hypothèses semblent ignorer que le colloque singulier se nouant entre le médecin et son patient échappe parfois à la rationalité pure. Face, par exemple, à une personne âgée habituée depuis plusieurs années à prendre les mêmes médicaments dont la présentation leur est familière et dont la couleur est aisément repérable parmi plusieurs pilules, le médecin, au titre d'un souci compréhensible, préfèrera maintenir la prescription selon les modes habituels.
Dans la réalité, le pharmacien, outre l'hypothèse précédente qu'il peut aussi rencontrer, pourra, par exemple, se trouver en situation de rupture de stock du médicament générique substituable à la spécialité princeps prescrite. Le cas n'est pas rare et d'autant plus gênant lorsqu'il s'agit d'une officine située en zone rurale. Dans cette dernière hypothèse, l'éloignement géographique de l'officine du domicile de certains patients et la rotation des stocks rendent la situation plus que possible.
Dans la réalité, le travail d'éducation à la santé n'est pas encore achevé, et il n'est pas certain que tout le monde soit à égalité face à la connaissance de l'univers des génériques. Quand le gouvernement annonce dans ses observations en réponse que des campagnes seront organisées, sans en préciser leur date, il reconnaît, à juste titre, que la connaissance du sujet par les citoyens n'est pas encore suffisamment acquise.
On le voit, les hypothèses vraisemblables évoquées par le gouvernement montrent que le mécanisme critiqué ne prévoit pas les règles objectives et rationnelles qui assureront une égalité de tous devant le droit à la protection sociale. L'encadrement effectif du dispositif pour empêcher les ruptures caractérisées d'égalité n'existant pas, ou, à tout le moins, se révélant insuffisant, il s'ensuit que les exigences constitutionnelles sont méconnues.

III. Sur le paragraphe II de l'article 23
Le paragraphe II de l'article 23 qui modifie l'article 1er de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 entrerait dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale au motif, selon le gouvernement, que la non communicabilité des rapports d'audit des établissements de santé, comme c'est déjà le cas pour les documents préalables aux rapports d'accréditation, assurerait la confiance et la coopération desdits établissements. Cette confiance des établissements de santé contribuerait, croit-on comprendre, directement à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base.
Un tel raisonnement ne pourra prospérer tant le paragraphe II de l'article 23 est dépourvu de lien avec les lois de financement de la sécurité sociale.
D'une part, si l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978 exclu déjà certains documents du droit d'accès aux documents administratifs, c'est parce qu'il s'agit de documents préalables, et que cette exclusion est classique pour les documents préparatoires. En l'occurrence, il s'agit des rapports d'audit et leur portée n'est pas la même. Le rapport d'accréditation est d'ailleurs communicable.
D'autre part, et surtout, il est difficile de voir en quoi l'impossibilité d'accès des citoyens à ces documents affecterait la confiance des établissements de santé, et en quoi cela pourrait avoir un effet direct sur l'équilibre financier des régimes de bases obligatoires. L'audit dont s'agit est une obligation pour les établissements de santé. La confiance et la coopération ne pourront qu'être mieux servis par la transparence.
Ce paragraphe II de l'article 23 est donc totalement indifférent à l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
Enfin, et pour toutes ces raisons, il est certain que le paragraphe II de l'article 23 est séparable du paragraphe I de l'article, dès lors qu'il n'en fixe pas les principes et que la mise en oeuvre du dispositif de contrôle des établissements de santé ne dépend en rien de cet ajout.
La séparabilité du paragraphe II par rapport à l'ensemble de l'article est donc incontestable et sa censure acquise.

IV. Sur l'article 56 et particulièrement son paragraphe II
Le gouvernement explique longuement que cette disposition a pour objet de doter la branche accidents du travail et maladies professionnelles d'une convention d'objectifs et de gestion et d'en confier le suivi à un conseil de surveillance, contribuant ainsi directement à l'équilibre financier des régimes de base obligatoires et facilitant le contrôle du Parlement. Mais le gouvernement n'aborde qu'indirectement la question de la composition de ce conseil de surveillance. Mesurant cependant la fragilité constitutionnelle du mécanisme, il tente, implicitement, de le sauver de la censure en insistant sur le caractère inséparable des dispositions de l'article critiqué (cf. page 16 des observations en réponse).
Or, on ne peut sérieusement soutenir que ce nouveau mode de désignation des membres du conseil de surveillance, soit donc directement par les organisations syndicales et patronales représentatives et non plus en lien avec le Conseil d'administration de la CNAMTS, affecte directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou le contrôle du Parlement à cet égard.
Le fond de ce paragraphe II de l'article 56 a été clairement, et sans fausse pudeur, explicité par MM. les rapporteurs des Commissions parlementaires compétentes. Cette partie là de l'article 56 est donc singulièrement indifférente au regard d'une politique de convention d'objectifs et de gestion pluriannuelle.
C'est pourquoi, ensuite, il est certain que ce paragraphe II est séparable du reste de l'article. Ainsi que le permet l'article L. 227-2 actuel du code de la sécurité sociale, le Conseil d'administration pourrait jouer un rôle utile à l'égard des conventions d'objectif et de gestion et l'institution de ce conseil de surveillance n'est en rien indispensable à la mise en oeuvre du mécanisme.
L'invalidation est certaine.

Par ces motifs, et tous autres à déduire, suppléer ou ajouter même d'office, les auteurs de la saisine persiste de plus fort dans leurs demandes.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre considération la plus haute.