Décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001 - Observations du gouvernement
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de 60 sénateurs et plus de 60 députés, de recours dirigés contre la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, adoptée le 5 novembre 2001. Les requérants invoquent, à l'encontre de plusieurs dispositions de ce texte, des moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. - Sur le moyen tiré de la violation de l'article 48 de la Constitution
A. - Selon les sénateurs, auteurs du premier recours, la présente loi aurait été adoptée en méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l'article 48 de la Constitution qui réservent une séance par mois, par priorité, à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée. Ils estiment que ces dispositions ont fait en l'espèce l'objet d'un « détournement », dans la mesure où le Gouvernement avait auparavant prévu d'insérer, dans un projet de loi, des mesures ayant le même objet que la proposition qui est à l'origine du texte déféré. Ils relèvent, à cet égard, que le texte a été amendé par le Gouvernement pour y introduire des dispositions que l'article 40 de la Constitution ne permettait pas à l'auteur de la proposition d'insérer dans son texte.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation.
Il est en effet constant que le seul fait qu'une proposition de loi contienne des dispositions que le Gouvernement avait auparavant prévu d'introduire dans un projet de loi ne saurait constituer une méconnaissance des dispositions de l'article 39 de la Constitution qui reconnaissent aux membres du Parlement le droit d'initiative des lois (no 95-365 DC du 27 juillet 1995). Or, le troisième alinéa ajouté à l'article 48 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 4 août 1995 n'est pas de nature à modifier cette solution.
En effet, en décidant qu'une séance par mois serait désormais réservée, par priorité, à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée, le Constituant a seulement entendu déroger au caractère absolu de la priorité que notre loi fondamentale accordait, jusque-là, à l'ordre du jour fixé par le Gouvernement. Le troisième alinéa de l'article 48 n'a ni pour objet, ni pour effet, de définir la nature ou le contenu des textes qui peuvent être examinés sur la base de l'ordre du jour ainsi fixé. Il ne saurait donc être interprété comme interdisant aux auteurs des propositions inscrites à ce titre de s'inspirer de textes que le Gouvernement aurait pu déposer sous la forme de projets de loi. Il ne saurait davantage interdire à ce dernier d'user du droit d'amendement dont il dispose à l'égard d'une telle proposition comme à l'égard des projets de loi.
II. - Sur la liberté d'entreprendre et le droit de propriété
A. - Les nouvelles dispositions introduites dans le chapitre II du titre V du livre VII du code rural par l'article 1er de la loi déférée ont pour objet d'améliorer la protection sociale des exploitants agricoles et de leur famille contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui était jusque-là assurée par le secteur concurrentiel de l'assurance. La loi adoptée entend instituer, pour couvrir ces risques, un régime de sécurité sociale fondé sur un barème légal de cotisations et de prestations et offrant une couverture effective à l'ensemble des non-salariés agricoles.
Pour contester, dans son principe même, la réforme adoptée par le Parlement, les sénateurs requérants estiment qu'elle porte une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre. Ils considèrent que la remise en cause du rôle auparavant assuré par le secteur privé de l'assurance ne repose pas sur un intérêt général suffisant, alors que le régime actuel avait fait l'objet de propositions de réforme permettant notamment de revaloriser les prestations, de contrôler le respect de l'obligation d'assurance et de renforcer la prévention. Ils font valoir qu'en raison des carences et des risques qui affecteraient les modalités retenues par le législateur, celles-ci seraient manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi du point de vue tant des agriculteurs concernés que des finances publiques, des règles de concurrence et de la participation des entreprises d'assurance au fonctionnement du système.
De leur côté, les députés, auteurs de la seconde saisine, critiquent plus particulièrement le régime d'autorisation auquel le nouvel article L. 752-14 du code rural subordonne la possibilité, pour les organismes assureurs, de garantir les risques en cause. Ils y voient une dénaturation de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété, en raison notamment de l'absence d'obligation, pour le ministre, de motiver les décisions de refus d'autorisation. B. - Ces moyens ne peuvent être accueillis.
- On relèvera d'abord que le caractère d'intérêt général de l'objectif poursuivi en l'espèce par l'intervention du législateur est d'autant moins contestable que cet objectif est de rang constitutionnel : la loi vise en effet à mieux mettre en oeuvre le droit de chacun à la protection de la santé et à la sécurité matérielle, énoncé par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Dans la profession agricole, où sont recensés chaque année 40 000 accidents du travail, la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles des chefs d'exploitation agricole et des membres de leur famille s'avèrent particulièrement nécessaires. L'intervention du législateur permettra ainsi de rendre plus effectif le droit à la santé en favorisant la prévention des risques professionnels et en garantissant le bénéfice de prestations en nature et en espèces, lors de la survenance de ces risques.
Or, les mécanismes d'assurance contre les accidents du travail des exploitants agricoles (AAEXA) qui prévalaient jusqu'ici ne garantissaient pas une véritable couverture des exploitants et des membres de leur famille. Ces lacunes ont été mises en évidence par un rapport des inspections générales de l'agriculture et des affaires sociales, ainsi que par le rapport de Mme Marre et M. Cahuzac, députés, remis au Gouvernement en 2000.
Il est apparu, en particulier, que l'obligation d'adhésion à l'assurance contre les accidents du travail pesant sur les agriculteurs n'était pas respectée. Cette carence était liée à la nature même d'un régime confiant à des entreprises d'assurance le soin de conclure des contrats pour couvrir ce risque, sans aucune coordination, ni entre elles, ni entre ces entreprises et les caisses de mutualité sociale agricole (MSA) en charge de la protection sociale des agriculteurs pour ce qui concerne les autres risques, dont notamment l'assurance maladie (AMEXA).
De même les prestations servies par l'ancienne assurance contre les accidents du travail étaient-elles notoirement insuffisantes : il n'y existait aucune indemnité journalière et le montant maximum de la rente pour incapacité permanente, au demeurant non ouverte aux conjoints et aides familiaux, était de 24 300 F par an, soit 2 000 F par mois. Un tel revenu de remplacement, inférieur au seuil de pauvreté, ne permet pas le maintien de la pérennité économique d'une exploitation.
En outre, le montant des primes était disproportionné au regard du montant des prestations versées.
Seuls les exploitants disposant des moyens de contracter une assurance complémentaire facultative pouvaient obtenir une couverture contre les accidents du travail à la hauteur de ce qui est nécessaire pour permettre aux personnes concernées de maintenir la viabilité de leur exploitation. - Au regard de ces constats, le Parlement a estimé que, pour garantir l'application effective du droit à la protection de la santé et à la sécurité matérielle énoncé par le Préambule, la création d'un régime de sécurité sociale était préférable à l'assurance privée, s'agissant de la protection contre le risque social encouru par les agriculteurs à raison de leurs accidents du travail et de leurs maladies professionnelles. A cette fin, la loi retient des modalités qui, contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, ne sauraient être considérées comme manifestement inappropriées.
En premier lieu, elle crée de nouvelles prestations, sous la forme d'indemnités journalières pour les chefs d'exploitation, tandis que les conjoints et aides familiaux se voient ouvrir la possibilité d'obtenir des rentes pour une incapacité totale.
En deuxième lieu, la loi substitue un dispositif de cotisations fixées par l'Etat au précédent système de primes négociées par les assurances avec les exploitants agricoles, afin de garantir la parfaite adéquation entre le montant global des prestations versées et le montant des recettes des organismes appelés à gérer la branche et d'éviter qu'un bénéfice de nature commerciale soit réalisé sur la couverture de base d'un risque social.
En troisième lieu, le nouvel article L. 752-12 du code rural confie à la MSA, qui dispose déjà des moyens et du savoir-faire en matière de prévention, de contrôle médical et de gestion des catégories de risques, grâce à l'expérience qu'elle a acquise dans la prévention des accidents du travail des salariés agricoles, un rôle de « caisse pivot » (centralisation des informations et des ressources du régime, gestion du contrôle médical et de la prévention, certification des immatriculations). Ce dispositif permettra notamment d'assurer un meilleur contrôle du respect de l'obligation d'assurance contre les accidents du travail, grâce à la possibilité, ouverte à la MSA, de croiser les fichiers d'assurés sociaux relevant de l'AMEXA avec de ceux de l'AAEXA.
Pour autant, la MSA ne détiendra aucun monopole de gestion du régime : aux termes de l'article L. 752-13, les exploitants agricoles pourront continuer à exercer leur libre choix entre les caisses de MSA et les entreprises d'assurance ou les mutuelles qui devront, comme c'est déjà le cas pour l'assurance maladie des exploitants agricoles, adhérer à un groupement doté de la personnalité morale, auquel elles délégueront l'ensemble de leurs compétences de gestion de la branche.
Par ailleurs, et s'il est vrai que la loi prévoit le transfert des accidents de la vie privée de l'AAEXA sur l'AMEXA, une telle disposition ne fait que régulariser ce qui était, de fait, constaté depuis longtemps par la MSA, comme par les auteurs des différents rapports. En effet, en raison tant du caractère restrictif de l'accès au précédent système d'AAEXA que de sa méconnaissance par les personnels des établissements hospitaliers, qui sont plus familiers des autres régimes dans lesquels les accidents de la vie privée relèvent de l'assurance maladie, les accidents de la vie privée étaient, la plupart du temps, imputés à la charge de l'AMEXA. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la loi n'entraîne donc pas de dépense supplémentaire pour l'assurance maladie.
En outre, bien que les prestations offertes par l'AMEXA soient plus faibles que celles, nettement revalorisées, du nouveau régime d'AAEXA, le transfert des accidents de la vie privée sur l'assurance maladie n'entraînera aucune dégradation de la couverture de ces accidents par rapport à la situation existante. En effet, avant le passage au nouveau régime d'AAEXA, les prestations qui y étaient offertes étaient du même niveau que celles offertes en AMEXA : le transfert des accidents de la vie privée d'une branche sur l'autre n'entraîne donc que le statu quo pour les victimes de ces accidents, qui ne bénéficient pas de la revalorisation des prestations couvrant les accidents du travail proprement dits. 3. Le dispositif ainsi retenu ne porte aucune atteinte à la liberté d'entreprendre ni au droit de propriété.
Ainsi tout organisme relevant du code des assurances ou du code de la mutualité disposera-t-il de la possibilité de proposer ses services dans le nouveau régime. Ces organismes pourront continuer à proposer, à cette occasion, toute la gamme de leurs produits d'assurance qui dépasse largement la seule garantie contre les accidents du travail.
De même est-ce à tort que les requérants voient dans le nouvel article L. 752-14, qui fait obligation à ces organismes de déléguer l'ensemble des opérations de gestion de la branche, à l'exception de l'affiliation, à un groupement doté de la personnalité morale, une atteinte excessive à leur liberté. Il convient en effet de souligner que les personnes morales chargées de la gestion du régime (MSA et groupement) sont dotées par la loi déférée de prérogatives de puissance publique. Ainsi pourront-elles poursuivre le recouvrement forcé des cotisations, conformément au droit commun de la sécurité sociale. Par ailleurs, elles assureront la gestion de fichiers nominatifs. Dès lors qu'il était décidé de ne pas réserver l'exercice de ces compétences à un organisme public, il convenait de les confier à un organisme spécialisé, exclusivement chargé de cette activité et faisant l'objet d'un contrôle approprié.
Quant au rôle de « caisse pivot » défini à l'article L. 751-12, il devait naturellement revenir à la MSA, prise en sa qualité de gestionnaire du service public de la sécurité sociale de base des agriculteurs. En outre, la gestion du régime de base sera, en vertu des règles comptables qui s'appliquent à tout organisme de sécurité sociale, parfaitement distincte de la gestion des autres branches.
Enfin, c'est en vain que les députés requérants voient également une limitation de la liberté d'entreprendre dans l'autorisation que devront recevoir, en vertu de l'article L. 752-14, les organismes assureurs autres que les caisses de MSA pour pouvoir participer à la gestion de la branche. Il ne s'agit pas, à proprement parler, de la création d'un nouveau régime d'autorisation. On soulignera, à cet égard, qu'un régime semblable existe pour l'assurance maladie des exploitants agricoles créé par la loi no 61-89 du 25 janvier 1961, et dont les dispositions figurent aux articles L. 731-30 et L. 731-33 du code rural, et qu'il est normal d'exiger une telle autorisation pour la participation d'entreprises privées au service public de la sécurité sociale. Un tel mécanisme, qui permet de vérifier que le service public est assuré dans des conditions conformes à la volonté du législateur, répond à des motifs d'intérêt général et ne dénature la portée, ni de la liberté d'entreprendre, ni du droit de propriété.
Compte tenu de son objet, tel qu'il résulte des débats parlementaires, cette autorisation sera automatiquement délivrée dès lors qu'il sera constaté que l'organisme en question a reçu l'autorisation du ministère des finances d'exercer une activité d'assurance ou de mutuelle, et a bien adhéré au groupement visé à l'article L. 752-14.
Enfin, c'est à tort que les requérants font grief à la loi de ne pas préciser que d'éventuels refus devront être motivés. D'une part, en effet, une telle obligation de forme, pour opportune qu'elle soit, ne résulte d'aucun principe constitutionnel, s'agissant de décisions de cette nature. D'autre part, et en tout état de cause, le moyen manque en fait : de tels refus d'autorisation entrent de plein droit dans le champ d'application de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 en vertu du dernier alinéa de son article 1er.
III. - Sur le respect de l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la loi et sur la répartition des compétences législative et réglementaire
A. - Les sénateurs, auteurs de la première saisine, observent que la simple lecture de la loi ne permet pas aux intéressés de prendre la mesure de l'ensemble des modifications que le nouveau système apportera à leur protection sociale. Ils considèrent que le texte adopté laisse dans l'ombre des points qui leur paraissent essentiels, s'agissant notamment du contenu des prestations, de la nature et des modalités de fonctionnement du fonds de réserve des rentes prévue à l'article L. 752-18. Il en va de même, selon les requérants, des modalités de gestion du régime, des rapports entre assureurs et assurés à partir de la date d'entrée en vigueur du nouveau système et du rôle que les assureurs y joueront. A leurs yeux, le caractère incomplet de la loi contrevient à l'objectif constitutionnel d'accessibilité, d'intelligibilité, de clarté et de précision de la loi.
Les sénateurs saisissants estiment que le législateur a, en même temps, méconnu l'obligation d'exercer pleinement la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution. Ils ajoutent que la loi n'encadre suffisamment ni la convention prévue au nouvel article L. 752-14, ni le pouvoir d'autorisation conféré au ministre de l'agriculture par le même article. Ils estiment en outre que la compétence attribuée à ce ministre pour fixer le montant des cotisations l'a été en violation des dispositions de l'article 21 de la Constitution qui réservent en principe au Premier ministre le pouvoir réglementaire d'exécution des lois. Ils critiquent de même le pouvoir reconnu par l'article L. 752-12 aux organismes de mutualité sociale agricole en matière notamment de classement des exploitations.
B. - Ces critiques ne sont pas fondées. - S'agissant de l'objectif d'accessibilité, d'intelligibilité, de clarté et de précision de la loi, on soulignera, à titre liminaire, que la jurisprudence dont se prévalent les sénateurs saisissants ne saurait être interprétée comme pouvant conduire à ce qu'un régime juridique déterminé doive nécessairement être appréhendé, dans son ensemble, à la seule lecture d'un texte législatif : une telle interprétation reviendrait en effet à exiger, en méconnaissance de la répartition des compétences normatives opérée par les articles 34 et 37 de la Constitution, que ce régime soit décrit en détail dans la loi.
C'est donc en vain que les sénateurs font valoir, dans leur recours, que la nature des prestations n'est pas suffisamment précisée : conformément à l'article 34 de la Constitution, la loi indique la nature des prestations offertes par la branche des accidents du travail des exploitants agricoles (indemnités journalières, rentes), leur montant, qui ne relève pas des principes fondamentaux de la sécurité sociale, étant fixé par voie réglementaire.
De même est-il normal que, s'agissant des modalités de gestion du fonds de réserve des rentes et, plus largement, du régime, seuls les principes soient posés dans la loi, la définition de ces modalités étant renvoyée au règlement. Quant aux autorisations données aux organismes assureurs autres que les caisses de MSA, l'article L. 752-13 en fixe le principe et indique qu'elles seront délivrées par le ministre chargé de l'agriculture, lequel n'aura donc pour mission, comme il a été souligné plus haut, que de vérifier que l'organisme en question a reçu l'autorisation d'exercer une activité d'assurance ou de mutuelle et qu'il a bien adhéré au groupement prévu par le même article.
Enfin les compétences du groupement auquel les organismes autres que les caisses de MSA doivent adhérer sont clairement définies par l'article L. 752-14 : il est chargé de représenter les organismes adhérents auprès des assurés et des pouvoirs publics, ainsi que de gérer, par délégation de ces organismes, les opérations afférentes au régime. - La loi déférée n'est entachée d'aucune imprécision quant au régime transitoire. En effet, les articles 12 et 13 de la loi déférée énoncent, de manière détaillée, des dispositions transitoires destinées à faciliter la mise en oeuvre du nouveau régime, de telle sorte que celui-ci soit effectivement entré en vigueur au 1er avril 2002, tant en ce qui concerne la conclusion des nouveaux contrats avec les assureurs qu'en ce qui concerne les modalités de gestion du régime. A ce dernier titre, l'article 13 prévoit qu'au cas où la convention organisant les relations entre le groupement d'assureurs et les caisses de MSA ne serait pas approuvée au 15 mars 2002, un arrêté du ministre se substituerait à cette convention. Il va de soi que cette disposition n'a qu'une portée supplétive et au surplus largement théorique, dans la mesure où, en pratique, cette convention est en cours de mise au point entre la MSA et les assureurs.
- Les critiques mettant en cause la conformité à la Constitution de la délégation accordée au pouvoir réglementaire pour fixer les modalités d'application de la loi ne peuvent davantage être accueillies.
Conformément à ce qu'impliquent les dispositions de l'article 34, la loi énonce les principes d'organisation et de fonctionnement du régime de couverture des exploitants agricoles contre les accidents du travail, les modalités d'application étant renvoyées au règlement. Ce dernier fixera le montant des prestations et des cotisations et précisera les modalités de gestion du régime. Celles-ci seront complétées par une convention, de caractère purement technique, entre la Caisse centrale de mutualité sociale agricole et le groupement des organismes assureurs autres que lesdites caisses (article L. 752-14).
En outre, et contrairement à ce qui est soutenu, la loi ne confie aucun pouvoir réglementaire à la MSA. C'est simplement du fait de sa qualité de gestionnaire du service public de la sécurité sociale de base des agriculteurs que la MSA se voit confier un rôle limité à la centralisation des informations et des ressources du régime, à la gestion du contrôle médical et de la prévention, et à la certification des immatriculations. S'agissant enfin des cotisations, la loi ne méconnaît pas plus l'article 21 que l'article 34 de la Constitution. L'article L. 752-16 définit clairement les principes suivant lesquels elles seront fixées (prise en compte du taux de risque applicable à la catégorie d'exploitation considérée) et précise qu'elles ont un caractère forfaitaire. La fixation de leur montant en valeur absolue est renvoyée au pouvoir réglementaire, à l'exemple des cotisations forfaitaires d'accident du travail prévues pour certains salariés par l'article L. 241-5 du code de la sécurité sociale, qui sont fixées par arrêté ministériel. En l'occurrence, l'article L. 752-17 pouvait confier ce soin au ministre de l'agriculture sans méconnaître la jurisprudence dont se prévalent les requérants, dès lors que cette délégation a un champ d'application et un contenu limités (no 89-269 DC du 22 janvier 1990). La compétence ainsi accordée au ministre est d'autant plus encadrée qu'en raison du principe d'équilibre posé par le même article L. 752-17, il ne pourra que retenir les montants permettant de couvrir les charges du régime, compte tenu du classement des exploitations dans les différentes catégories de risques.
IV. - Sur la liberté contractuelle
A. - L'article 13 de la loi déférée prévoit que les contrats d'assurance souscrits en application des dispositions antérieurement en vigueur seront résiliés de plein droit à compter du 1er avril 2002 et cesseront, en conséquence, de produire effet pour les accidents survenus ou les maladies professionnelles constatées après cette date.
En imposant cette contrainte et en ne prévoyant pas de délai suffisant d'adaptation, le législateur aurait, selon les parlementaires requérants, porté une atteinte excessive à la liberté contractuelle. Cette atteinte concernerait tant les relations entre les assurés et les entreprises d'assurance qu'entre ces dernières et les personnels affectés à la gestion de ce risque.
B. - Ces critiques ne peuvent être accueillies.
En effet, si la jurisprudence issue de la décision no 98-401 DC du 10 juin 1998, fondée sur les dispositions de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, veille à ce que l'intervention du législateur ne puisse aboutir à dénaturer la liberté contractuelle, elle admet que la loi puisse remettre en cause les contrats en cours de validité pour un motif d'intérêt général suffisant. - Or il convient en premier lieu de souligner que l'objet de la réforme introduite par la loi déférée - qui est, ainsi qu'il l'a été exposé ci-dessus, d'assurer aux exploitants une couverture suffisante en matière d'accidents du travail et de maladie professionnelle - se traduit par une modification profonde du régime et du montant des cotisations assumées par et des prestations versées aux exploitants et à leurs collaborateurs familiaux. Cette réforme conduit nécessairement à résilier les contrats couvrant les mêmes risques, en cours de validité : d'une part, le législateur ne saurait maintenir deux régimes très différents, induisant des inégalités de situation graves entre exploitants ; d'autre part, l'équilibre financier du nouveau régime repose pour partie sur la solidarité introduite entre assurés.
En effet, le souci d'assurer le niveau de protection le meilleur possible, pour un montant de cotisation le plus faible possible, impose le regroupement de toutes les personnes assujetties et la mutualisation de leur cotisation. Ce souci fonde toute la structure du nouveau régime : constitution des assureurs en groupement, prélèvement collectif des cotisations, versement des prestations par l'intermédiaire du groupement, constitution collective d'un fond de réserve. 2. En second lieu, si la loi déférée prévoit la résiliation, au 1er avril 2002, des contrats en cours, elle permet le maintien des liens entre les mêmes personnes, respectant les règles du nouveau régime. Les entreprises qui assuraient les risques couverts par la loi ont donc toute possibilité de mettre à profit ce délai pour informer leurs assurés des changements apportés, de leur proposer une couverture conforme à cette loi et de poursuivre ainsi, dans le nouveau cadre légal, les relations nouées dans le cadre des anciens contrats d'assurance. Il y a lieu d'observer que, s'agissant des assurés, cette mutation se traduit par une amélioration de leur situation conforme à l'intérêt général.
Enfin, on soulignera que la résiliation de plein droit des contrats souscrits sur le fondement du régime antérieur a pour objet de garantir l'égalité de traitement des bénéficiaires devant la loi. A défaut d'une telle résiliation d'office, les contrats conclus sous l'empire de la loi de 1966, dont le caractère hétérogène et inéquitable a été souligné, auraient été maintenus à côté d'une couverture au titre du nouveau régime, alors que celui-ci vise précisément à rétablir l'égalité entre les exploitants agricoles qui, dès lors qu'ils appartiennent à une même catégorie de risques professionnels, seront désormais soumis à des cotisations égales pour tous.
V. - Sur l'absence d'un dispositif d'indemnisation
A. - Compte tenu de l'ensemble des dispositions de la loi substituant un régime de sécurité sociale au mécanisme d'assurance privée qui existait auparavant, et spécialement de celles de l'article 13 prévoyant que les contrats souscrits en application des dispositions antérieurement en vigueur seront résiliés de plein droit à compter du 1er avril 2002, les parlementaires requérants estiment que le législateur aurait dû prévoir un dispositif d'indemnisation. Faute de l'avoir fait, la loi méconnaîtrait, tant les dispositions de l'article 17 de la Déclaration de 1789 protégeant le droit de propriété que celles de l'article 13 relatives à l'égalité devant les charges publiques.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que le législateur n'était nullement tenu de prévoir un dispositif d'indemnisation.
Un tel dispositif ne doit figurer dans la loi, en vertu des principes issus de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme, que lorsque le législateur procède à une privation du droit de propriété, ou rend possible une telle privation. Tel est le cas en matière de nationalisation, d'expropriation et de réquisition.
Il en va tout autrement lorsque le Parlement entend seulement utiliser la compétence que lui reconnaît l'article 34 de la Constitution, pour encadrer la liberté contractuelle ou même l'exercice du droit de propriété : comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision no 83-162 DC des 19 et 20 juillet 1983, l'article 17 « n'implique nullement que les lois ne puissent restreindre l'exercice du droit de propriété sans une indemnisation corrélative ».
En l'espèce, la loi n'implique aucun transfert d'assurés - et donc de la clientèle constituée par ces assurés pour les compagnies d'assurances opérant dans ce secteur - à un nouveau régime. Dès la mise en oeuvre des dispositions nouvelles, les entreprises opérant déjà sur ce type de risques pourront, dès lors qu'elles en auront reçu l'autorisation, proposer une couverture à leurs assurés et éventuellement d'autres contrats couvrant d'autres risques. La loi ne conduit ainsi pas, par elle-même, à la perte de cette clientèle. Elle n'implique donc nullement que les entreprises concernées soient privées de l'élément de fonds de commerce que cette clientèle représente.
Par ailleurs, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision no 90-287 DC du 16 janvier 1991, l'institution d'une autorisation pour l'exercice de cette activité n'emporte, par elle-même, aucun transfert de propriété. Dès lors que l'on se situe ainsi en dehors du champ de l'article 17, il suffit que le législateur n'ait pas entendu exclure toute indemnisation (no 99-416 DC du 23 juillet 1999).
Au cas particulier, et ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la loi n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire l'activité d'assurance dans les domaines relevant de son champ d'application. Les entreprises aujourd'hui actives dans ce champ peuvent, d'ores et déjà, se préparer à proposer une couverture au titre de la nouvelle loi et à participer au groupement d'assureurs. Aujourd'hui, aucune ne peut a priori établir la réalité et l'étendue des préjudices invoqués dans la saisine et moins encore leur caractère anormal et spécial.
Au cas où, néanmoins, l'application de la loi causerait aux organismes d'assurance un préjudice anormal et spécial, la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat du fait des lois, conformément à la jurisprudence « société La Fleurette » (CE, Ass. 14 janvier 1938, Leb. p. 25), permettrait la réparation de toute rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il appartiendra à ces entreprises, si elles s'y croient fondées, de demander à ce titre une indemnisation sur laquelle il reviendra, le cas échéant, aux juridictions administratives de statuer.
VI. - Sur le respect du principe d'égalité
A. - Reprenant, sous un autre angle, l'argumentation déjà évoquée à propos de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété, les sénateurs saisissants critiquent le rôle des caisses de MSA, à la fois comme acteurs et comme régulateurs de ce régime de protection sociale, qui sera, selon eux, de nature à fausser le jeu de la concurrence avec les autres acteurs, relevant du secteur privé.
B. - Ces critiques ne sont pas fondées.
On soulignera d'abord que, comme le montre la décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998, de semblables critiques ne peuvent mettre en cause la conformité d'une loi à la Constitution que dans la mesure où le principe d'égalité se trouverait réellement méconnu.
Or, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le dispositif contesté ne place nullement les caisses de MSA en situation de méconnaître nécessairement ce principe.
Il résulte en effet des termes mêmes du nouvel article L. 752-13 que les exploitants agricoles pourront continuer à exercer leur libre choix entre ces caisses et les entreprises d'assurance ou les mutuelles. Contrairement à ce que prévoyait la loi sur la couverture maladie universelle qui a donné lieu à la décision, déjà citée, du 23 juillet 1999, la loi déférée n'instaure aucun « guichet unique » conduisant à faire traiter toutes les demandes d'affiliation par la caisse. Les compagnies d'assurance et les mutuelles qui couvraient le risque en cause pourront directement proposer aux intéressés d'être affiliés auprès d'elles.
Des précautions ont d'ailleurs été prises afin que les assureurs conservent cette affiliation. Il a ainsi été décidé, en concertation avec eux, de sensibiliser les bénéficiaires de la réforme par une vaste campagne d'information en fin d'année 2001 : ce sont les assureurs qui adresseront, dès le début du mois de janvier 2002, les bulletins d'adhésion au nouveau régime, qui doivent leur être retournés le 15 février 2002 au plus tard. Les bulletins remplis sont transmis par l'assureur au groupement gestionnaire pour certification de l'affiliation par la MSA. Ce n'est que si aucune certification n'a été demandée au 16 février 2002 que la MSA adressera elle-même au chef d'exploitation concerné un bulletin d'adhésion à l'AAEXA. Ces dispositions, qui permettent à l'assureur d'intervenir dès avant la mise en place effective du nouveau régime, n'avaient toutefois manifestement pas vocation à figurer dans la loi. On notera enfin que la MSA dispose déjà du fichier de l'AMEXA : la réforme de l'AAEXA ne lui apporte en conséquence aucun avantage de ce fait.
En outre, la MSA risque d'autant moins d'être tentée de concurrencer ces entreprises sur le marché des produits d'assurance complémentaire d'accident de travail qu'il n'entre pas dans ses attributions d'assurer de tels services. En effet, cette possibilité, qui était antérieurement prévue par l'article L. 752-28 du code rural, ne lui est désormais plus ouverte.
En tout état de cause, s'il arrivait que la loi donne lieu à des abus, et, en particulier, qu'une caisse de MSA agisse en méconnaissance de dispositions de l'ordonnance de 1986 figurant aujourd'hui au titre II du livre IV du code de commerce, il appartiendrait au Conseil de la concurrence et, le cas échéant, aux juridictions compétentes, de prononcer les sanctions prévues par ce même livre.
VII. - Sur le respect des droits de la défense
A. - La transformation de l'ancienne AAEXA en un véritable régime de sécurité sociale rend nécessaire l'intervention de décisions destinées à en permettre la mise en oeuvre. C'est ainsi que l'article L. 752-12 prévoit que les exploitations feront l'objet d'un classement dans les différentes catégories de risques en fonction d'une liste établie par arrêté ministériel. Par ailleurs, l'article L. 752-13 charge le chef du service départemental compétent de procéder à l'affiliation d'office des exploitants qui n'auraient exprimé aucun choix entre les organismes chargés de couvrir ce risque.
Pour contester ce dispositif, les sénateurs signataires du premier recours soutiennent que les droits de la défense ne seraient pas respectés, dans la mesure où seuls les chefs d'exploitation seraient habilités à contester la décision de classement de leur exploitation dans une catégorie de risques et où la loi ne prévoit ni que l'intéressé pourra présenter des observations préalables, ni que la décision sera motivée.
Ils adressent en outre de semblables critiques aux dispositions relatives à l'affiliation d'office et aux autorisations prévues à l'article L. 752-14.
B. - Cette argumentation est inopérante.
Si les droits de la défense constituent un principe fondamental reconnu par les lois de la République (no 76-70 DC du 2 décembre 1976, no 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, no 88-248 DC du 17 janvier 1989), ce principe n'a pas la portée que lui prêtent les requérants : il ne s'applique en effet qu'aux sanctions et à certaines mesures défavorables qui peuvent leur être assimilées et ne concerne, au sens strict, que la possibilité donnée à l'intéressé de s'expliquer avant de faire l'objet de telles mesures.
Or les actes prévus par les dispositions que contestent les requérants n'ont nullement un tel caractère. Ce n'est donc qu'à titre subsidiaire que les observations suivantes seront présentées. - S'agissant des décisions de classement des exploitations dans une catégorie de risques, elles résultent automatiquement de la nature de la production réalisée sur l'exploitation. Ce classement détermine le montant des cotisations à la charge du chef d'exploitation, le montant des cotisations étant modulé en fonction de la catégorie de risque dans laquelle l'exploitation est classée. Les cotisations afférentes aux conjoints et aides familiaux étant à la charge du chef d'exploitation, il n'y avait pas lieu d'ouvrir aux conjoints et aides familiaux une faculté propre de contester le classement.
- En ce qui concerne la décision d'affiliation d'office, elle relève a priori de la compétence des juridictions du contentieux général de la sécurité sociale en vertu de la jurisprudence issue de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale (Tribunal des conflits, 5 juillet 1999, Crouau, Leb. p. 457), sans que la présente loi ait à le spécifier. En outre, et dès lors qu'il s'agit d'une décision impliquant le versement de cotisations, elle doit être regardée comme imposant des sujétions, au sens de l'article 1er de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979, auquel renvoie l'article 24 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000. Il résulte donc du premier de ces textes que cette décision devra être motivée et du second que l'intéressé sera mis à même de présenter des observations préalables. 3. S'agissant enfin des autorisations délivrées aux entreprises d'assurance, on ne peut que renvoyer à ce qui a été dit plus haut à propos de leur motivation. Quant à leur retrait, il résulte des lois de 1979 et 2000 qu'il devra être motivé, après avoir donné lieu à une procédure contradictoire.
Il apparaît ainsi que l'argumentation des requérants manque en fait. En définitive, le Gouvernement considère que le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter l'ensemble des moyens soulevés par les auteurs des recours.