Contenu associé

Décision n° 2001-449 DC du 4 juillet 2001 - Observations du gouvernement

Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
Rejet

Observations du Gouvernement sur le SECOND recours dirigé contre la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception
La loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, adoptée le 30 mai 2001, a, dans un premier temps, été déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 sénateurs. Les requérants contestaient les articles 2, 4, 5, 8 ainsi que le V de l'article 19 de la loi. Ecartant l'ensemble des moyens invoqués à l'encontre de ces dispositions, la décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 les a déclarées conformes à la Constitution.
Alors que le délai de promulgation avait repris son cours, mais que la loi n'était pas encore promulguée, le Conseil constitutionnel a été à nouveau saisi du même texte par plus de soixante députés, qui en contestent les articles 7 et 27, insérant, respectivement, les articles L. 2212-7 et L. 2123-2 dans le code de la santé publique.
Il appartiendra au Conseil d'apprécier dans quelle mesure ce nouveau recours est susceptible de se heurter aux dispositions du second alinéa de l'article 62 de notre loi fondamentale. A cet égard, on observera que si le recours est, en apparence, dirigé contre d'autres dispositions que celles qui étaient directement en cause dans la précédente espèce, il n'en reste pas moins que l'article L 2212-7 du code de la santé publique est au nombre de celles dont l'application est étendue en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française par le V de l'article 19 de la loi. Or, cet article a été déclaré conforme à la Constitution par la décision du 27 juin dernier, et l'on peut se demander, notamment par analogie avec la jurisprudence sur les ordonnances implicitement ratifiées (n° 86-224 DC du 23 janvier 1987), si cette déclaration de conformité ne s'étend pas, implicitement mais nécessairement, aux articles dont ce même article 19 étend l'application.
De façon plus générale, il y a sans doute lieu de s'interroger sur le point de savoir si les dispositions combinées des deux derniers alinéas de l'article 61 de la Constitution et de l'article 21 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 permettent que le délai de promulgation, qui a recommencé à courir à la suite de l'intervention de la décision du 27 juin 2001, soit à nouveau suspendu. On rappellera, à cet égard, que l'une des préoccupations du Constituant est de concilier les exigences du contrôle de constitutionnalité avec le souci que ne soit pas exagérément différée l'entrée en vigueur de dispositions adoptées par la représentation nationale. Ainsi a-t-il été prévu qu'au délai de promulgation de quinze jours, dont dispose le Président de la République, ne pouvait s'ajouter que le délai maximum d'un mois imparti au Conseil constitutionnel pour statuer. Admettre la possibilité de suspensions multiples du délai de promulgation revient à porter la période de temps maximale susceptible de s'écouler entre le vote définitif de la loi et sa promulgation de 45 jours à 75 jours, voire davantage.
Ce n'est donc qu'en se situant dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel s'estimerait régulièrement saisi de ce second recours que le Gouvernement entend présenter les observations suivantes.

I - Sur l'article 7
A) L'article L. 2212-7 du code de la santé publique, issu de l'article 7, est relatif au cas où l'interruption de grossesse est demandée par une femme mineure non émancipée. La loi dispose que, en principe, le consentement de l'un des titulaires de l'autorité parentale ou, le cas échéant, du représentant légal doit être recueilli. Toutefois, lorsque l'intéressée désire garder le secret, le texte précise que le médecin doit d'abord s'efforcer d'obtenir son consentement pour que le titulaire de l'autorité parentale ou le représentant légal soient consultés. A défaut, l'interruption volontaire de grossesse ainsi que les actes médicaux et les soins qui lui sont liés peuvent être pratiqués, la mineure devant cependant se faire accompagner dans sa démarche par une personne majeure qu'elle choisit.
Selon les députés requérants, le législateur aurait, ce faisant, porté atteinte au principe de l'autorité parentale qui se déduirait de la protection constitutionnelle de la famille affirmée par le dixième alinéa du préambule de 1946.
B) Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation.
La loi s'efforce de trouver un équilibre entre un ensemble de préoccupations. Tout en prenant en compte la situation découlant des règles de capacité applicables aux personnes mineures, la loi concilie ces exigences avec la situation particulière de détresse dans laquelle est susceptible de se trouver placée une jeune femme qui se verrait imposer une grossesse non désirée du fait des convictions de ses parents, ou même qui se trouverait dans une situation telle, notamment en cas d'inceste, que l'autorisation parentale ne pourrait être recherchée.
Or, il résulte de la jurisprudence, et notamment de la décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 dont se prévalent les requérants, que le législateur dispose d'une grande latitude d'appréciation pour mettre en oeuvre l'alinéa du préambule aux termes duquel « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Comme le montre en particulier la décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, ce principe ne fait nullement obstacle à ce que le législateur adopte des dispositions s'écartant des règles traditionnelles du droit de la famille.
En l'espèce, la loi concilie de manière équilibrée les exigences qui découlent normalement des règles de capacité applicables aux personnes mineures avec celles tenant à la situation particulière de la femme que son état place en situation de détresse.

II - Sur l'article 27
A) L'article 27 de la loi insère, dans le nouveau chapitre III intitulé « stérilisation à visée contraceptive » du titre II du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, un article L. 2123-2, suivant lequel la ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne majeure dont l'altération des facultés mentales constitue un handicap et a justifié son placement sous tutelle ou sous curatelle « que lorsqu'il existe une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement » et suivant des conditions que la loi définit.
Pour contester cette disposition, les auteurs de la saisine font valoir qu'elle méconnaît le principe de la sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme de dégradation ainsi que le principe de liberté posé par l'article 2 de la Déclaration de 1789. Ils estiment que face à ce principe, l'intervention d'un juge et les garanties de procédure prévues par le texte ne peuvent être considérées comme suffisantes.
B) Cette argumentation n'est pas fondée.
On relèvera d'abord qu'en adoptant cet article, le législateur n'a pas entendu ouvrir de nouvelles possibilités, mais au contraire encadrer strictement des pratiques existantes. C'est ce que mettent nettement en évidence les débats parlementaires auxquels ce texte a donné lieu, notamment l'intervention de M. Kouchner et celle du rapporteur de la loi au Sénat, M. Giraud, lors de la séance du 28 mars 2001 (au JO des débats, p. 852).
C'est pourquoi le nouvel article L 2123-2 subordonne ce type d'intervention à une décision du juge des tutelles. La loi précise que le juge se prononce après avoir entendu la personne concernée et souligne que, si elle est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement recherché et pris en compte après que lui a été donnée une information adaptée à son degré de compréhension. Le texte spécifie qu'il ne peut être passé outre à son refus ou à la révocation de son consentement. De surcroît, la loi fait obligation au juge de recueillir l'avis d'un comité d'experts composé de personnes qualifiées sur le plan médical et de représentants d'associations de personnes handicapées. Ce comité a pour mission d'apprécier la justification médicale de l'intervention, ses risques ainsi que ses conséquences normalement prévisibles sur les plans physique et psychologique.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de cette seconde saisine, le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ne fait nullement obstacle à ce que le législateur adopte des dispositions comme celle qu'ils contestent. On soulignera, à cet égard, que les personnes ainsi visées sont dans une situation telle qu'elles ne peuvent choisir de manière entièrement libre ni leur sexualité ni un projet parental et qu'il s'agit en outre de personnes que leur faiblesse expose aux agressions sexuelles.
Par ailleurs, les débats auxquels cet article a donné lieu montrent que c'est au contraire la situation actuelle, dans laquelle aucun encadrement légal ne permet de faire échec à des pratiques contraires à la dignité des personnes handicapées mentales, qui est critiquable au regard de cette exigence constitutionnelle.
De même est-ce à tort que les requérants se prévalent de la jurisprudence sur la liberté d'association pour soutenir que l'intervention d'un juge et l'existence de garanties de procédure ne sauraient suffire : la question de la prise en compte de la situation particulière d'une personne dont le handicap altère les facultés mentales est sans rapport avec celle de l'intervention préalable d'une autorité publique dans la constitution d'une association.
En l'espèce, dès lors que l'intervention du législateur n'est pas contestable dans son principe, il lui appartient de retenir les garanties qui lui paraissent les plus appropriées. Le dispositif retenu ne méconnaissant, par lui-même, aucune règle non plus qu'aucun principe constitutionnel, l'appréciation que le Parlement a portée sur le caractère adéquat des mesures qu'il a prises ne saurait être remise en cause.
En définitive, le Gouvernement estime que le Conseil constitutionnel ne pourra que rejeter le recours dont il est saisi.