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Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains
Non conformité partielle

Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de bien vouloir déclarer comme contraires à la Constitution les dispositions du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, mentionnées ci-après :
A. - Remarques générales
1. L'étude d'impact présentée par le Gouvernement sur les principales dispositions de la loi comporte de nombreuses imprécisions et des erreurs matérielles, relevées par le rapporteur du projet devant le Sénat. Les conséquences financières pour les collectivités territoriales n'ont pas été analysées et l'état actuel du parc immobilier a été bâclé. Les plus grossières imprécisions et erreurs matérielles de l'étude d'impact sont annexées à la présente requête.
2. De nombreuses dispositions de la loi portent atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé à l'article 72 de la Constitution et contredisent la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décisions du Conseil no 83-168 et no 92-316 par exemple) en imposant des charges nouvelles aux collectivités territoriales de la part d'un établissement public intercommunal ou en portant atteinte à la liberté contractuelle des autorités locales en leur imposant des contraintes excessives.
B. - Article 3 du projet de loi
3. Les dispositions de l'article 3 du projet de loi qui déterminent le contenu de l'article L. 122-1 du code de l'urbanisme en définissant les schémas de cohérence territoriale sont de nature à favoriser une confusion des compétences territoriales entre celles des EPIC et celles des communes et portent donc atteinte au principe constitutionnel d'autonomie des collectivités territoriales.
4. Il en va de même en ce qui concerne les dispositions de l'article L. 122-3-II du même code de l'urbanisme puisque là encore le principe de libre administration des collectivités territoriales est malmené en remettant en cause les compétences des communes et des EPIC.
5. En conséquence, les dispositions de l'article 3 concernant les articles L. 122-1 et L. 122-3-II du code de l'urbanisme doivent être déclarées contraires à la Constitution.
C. - Article 4 du projet de loi
6. A l'article 4, les dispositions de l'article L. 123-1 (3o) du code de l'urbanisme, qui subordonnent dans les villes de Paris, Lyon et Marseille tout changement de destination d'un local commercial ou artisanal entraînant une modification de la nature de l'activité à l'autorisation du maire de la commune délivrée conformément à l'avis du maire d'arrondissement ou de secteur, constituent tout à la fois une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté d'entreprise, au droit de propriété du vendeur du fonds de commerce et au droit de propriété du bailleur. Elles portent en outre atteinte au principe d'égalité en concédant au maire d'arrondissement des compétences exorbitantes et en attribuant à trois communes des pouvoirs dont ne disposent pas les autres.
7. Les dispositions de l'article 4 concernant L. 123-1 (3o) du code de l'urbanisme doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
D. - Article 36 du projet de loi
8. L'article 36 du projet de loi qui modifie l'article L. 147-5 du code de l'urbanisme autorise en fait l'augmentation des constructions dans les zones d'exposition au bruit. Cet article ne contient pas de dispositions suffisamment précises en ne déterminant pas les limites de l'augmentation significative et en soumettant dès lors au bruit des populations nouvelles. Ces dispositions portent délibérément atteinte au droit à la santé consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décisions no 93-325, no 97-387, no 80-117, no 90-269...) qui se fonde de façon constante sur le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
9. De surcroît, l'augmentation même non significative des populations dans la zone de bruit imposera aux aéroports et aux compagnies aériennes des charges supplémentaires dont elles ne seront aucunement responsables et qui portent atteinte aux principes contenus dans les articles 13 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
E. - Article 55 du projet de loi
10. Les dispositions de l'article 55, qui imposent 20 % de logements locatifs sociaux aux communes de 1 500 habitants en Ile-de-France et 3 500 habitants dans les autres régions qui sont comprises dans une agglomération de plus de 50 000 habitants et qui comprennent au moins une commune de plus de 15 000 habitants, comportent de nombreuses difficultés et soulèvent d'importantes atteintes à la Constitution.
11. C'est pourquoi le Sénat avait proposé de substituer à cette obligation des communes la répartition de ces 20 % de logements sociaux dans le cadre de l'EPIC.
12. Les dispositions de l'article 55 portent gravement atteinte au principe de libre administration des communes protégé par l'article 72 de la Constitution.
13. Ces dispositions portent également atteinte au principe d'égalité en traitant différemment les communes d'Ile-de-France par rapport aux autres communes.
14. Ces dispositions imposent une rétroactivité de la loi en sanctionnant les communes qui, avant la promulgation de la loi et en application de leurs compétences de l'époque, ne disposaient pas de 20 % de logements sociaux. La loi n'aurait dû statuer que sur les constructions futures et non sur les constructions anciennes et actuelles. Dès lors, le principe général du droit de non-rétroactivité en matière fiscale et en matière non pénale n'est pas respecté (décisions du Conseil constitutionnel no 84-184 et no 84-186).
15. Ces dispositions ne respectent pas le principe de proportionnalité en imposant une norme générale de 20 % de logements sociaux sans tenir compte de l'état des constructions existantes et en limitant de façon arbitraire les définitions du logement social. 16. Ainsi, sont exclus de la liste des logements sociaux les résidences universitaires, les chambres et studios d'étudiants conventionnés, les logements locatifs privés répondant aux mêmes critères que les logements locatifs issus du parc HLM, notamment les logements encore soumis à la loi de 1948, les logements donnant lieu à l'attribution de l'aide personnalisée au logement ou de l'aide au logement social.
17. De même, l'exclusion du champ de la loi des logements sociaux qui ont fait l'objet d'une accession à la propriété écarte ainsi toute une série de logements et condamne à terme l'accession à la propriété des logements sociaux portant ainsi atteinte au droit de propriété.
18. Ces dispositions sont inapplicables dans les communes qui ne disposent plus de réserves foncières et les sanctionnent de façon abusive en leur imposant des pénalités financières qu'elles n'ont pu ni prévoir ni programmer et en les obligeant à modifier leur politique foncière au détriment de l'habitat existant.
19. Ces dispositions sont inapplicables également dans les zones touristiques, classées, protégées..., à moins de modifier le caractère de ces zones et de porter ainsi atteinte à l'environnement.
20. Ces dispositions portent aussi gravement atteinte au droit de propriété en obligeant les communes concernées à modifier leur plan d'occupation des sols pour prévoir la construction des logements sociaux et entraînant ici ou là un effondrement de la valeur de certains biens immobiliers.
21. Ces dispositions portent également atteinte au principe d'égalité devant l'impôt en sanctionnant les contribuables des communes qui ne pourront pas (faute de réserves foncières ou en raison du coût exorbitant du foncier) faire face à l'obligation de 20 %.
22. En conséquence, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l'article 55 non conforme à la Constitution ou pour le moins de déclarer que ces dispositions ne seront applicables qu'aux seules constructions nouvelles.
F. - Article 145 du projet de loi
23. Les dispositions de l'article 145 concernant l'article L. 411-5 du code de l'urbanisme imposent aux logements appartenant aux sociétés immobilières à participation majoritaire de la Caisse des dépôts et consignations des contraintes qui portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et au droit de propriété.
24. Ainsi la définition du logement social est ici dénaturée en lui assimilant des logements qui ne correspondent pas aux critères du logement social et en retenant des critères subjectifs comme l'occupation sociale ou la proportion de bénéficiaires de l'aide personnalisée. De plus, accepter la définition du champ d'application de l'article par un simple arrêté ministériel est contraire à la hiérarchie des normes.
25. Pour ces raisons, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l'article 145 comme contraire à la Constitution.