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Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000 - Saisine par 60 députés

Loi d'orientation pour l'outre-mer
Non conformité partielle

Les députés soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi d'orientation pour l'outre-mer, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 15 novembre 2000, afin qu'il plaise au Conseil de décider que cette loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.
Sur l'article 1er L'article 1er de la loi déférée « accorde aux assemblées locales des départements français d'Amérique la capacité de proposer des évolutions statutaires » après leur avoir reconnu « la possibilité de disposer à l'avenir d'une organisation institutionnelle qui leur soit propre ». « Dans ce cadre », la loi « pose le principe de la consultation des populations sur les évolutions qui seraient envisagées ». A - Une méconnaissance de la compétence réservée au législateur Cette disposition donne clairement à penser que les autorités nationales seront tenues pour la consultation de se conformer au contenu des propositions. Ainsi, elle retire au Parlement l'exercice de compétences qui lui appartiennent en vertu de l'article 34 de la Constitution. En effet, il revient aux autorités de la République, et plus précisément au législateur, en vertu du deuxième aliéna du Préambule de la Constitution de 1958 et de l'article 72 de la même Constitution, de consulter les populations d'outre-mer intéressées sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République. A ce sujet, le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision 2000-428 DC du 4 mai 2000, que « les autorités compétentes sont (...) libres de définir l'objet de cette consultation ». Ainsi, l'article 1er de la loi méconnaît la compétence réservée au législateur, quand bien même ce dernier ne saurait être lié par le résultat de la consultation. B - Une injonction inconstitutionnelle au Gouvernement En posant le principe de la consultation des populations sur les évolutions envisagées, l'article 1er impose au Gouvernement de présenter au Parlement un projet de loi organisant la consultation pour chaque proposition d'évolution statutaire présentée par les assemblées locales des départements français d'Amérique. Cette disposition constitue donc une injonction au Gouvernement qui ne trouve de base juridique dans aucune disposition de la Constitution. Elle doit, par conséquent, être déclarée non conforme à la Constitution, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décisions 89-269 DC du 22 janvier 1990, 2000-428 DC du 4 mai 2000).
Sur les articles 42 et 43 L'article L.3441-3 du Code général des collectivités territoriales, tel qu'il résulte de l'article 42 de la loi déférée, prévoit notamment que dans « les domaines de compétence de l'Etat, les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du conseil général des départements d'outre-mer pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs Etats ou territoires (...) ou avec des organismes régionaux... ». L'article L.4433-4-2 du Code général des collectivités locales, issu de l'article 43 de la loi déférée, prévoit les mêmes dispositions au profit du président du conseil régional de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion. Ces dispositions sont contraires à l'article 52 de la Constitution qui confie au seul Président de la République le pouvoir de « négocier et ratifier » les traités, le pouvoir de négociation englobant nécessairement ici la compétence pour signer. Elles méconnaissent également la compétence du Gouvernement pour approuver et signer les accords en forme simplifiée. La compétence pour conclure des engagements internationaux est une compétence étatique. Elle ne peut être exercée par d'autres autorités que les organes du pouvoir exécutif qui ont la charge de la conduite des relations internationales et de la « sauvegarde des intérêts nationaux » (82-137 DC du 25 février 1982, cons. 4). Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne saurait autoriser qu'il soit porté atteinte aux prérogatives constitutionnelles de l'Etat. Par ailleurs, cette disposition entend contourner l'interdiction faite aux collectivités territoriales de passer des conventions avec des Etats étrangers en vertu de l'article L. 133-2 de la loi du 6 février 1992. Elle est ainsi de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (94-358 DC du 26 janvier 1995, cons. n° 52). En outre, l'article L.3441-4 du CGCT, issu de l'article 42 de la loi soumet à autorisation du Conseil général la signature des engagements internationaux intervenus dans le domaine de compétence du département et négociés par le Président du Conseil général. L'article L.4433-4-3 du CGCT, issu de l'article 43 de la loi prévoit un dispositif similaire pour le Conseil régional. Ces deux dispositions méconnaissent également l'article 52 de la Constitution. Les articles 42 et 43 de la loi déférée doivent dès lors être déclaré non conforme à la Constitution.
Sur l'article 62 A - Une violation de l'article 73 de la Constitution Dans le cadre du titre VII de la loi relatif à la démocratie locale et à l'évolution des départements d'outre-mer , l'article 62 prévoit la création d'un congrès des membres du conseil général et du conseil régional ainsi que des députés et des sénateurs élus dans le département. Cette institution, dont la nature juridique est indéterminée, participe au fonctionnement du conseil général et plus précisément à la détermination de son ordre du jour. En effet, l'assemblée départementale doit délibérer sur les propositions émises par le congrès. Ce dispositif d'évolution de certains départements d'outre-mer va au-delà des mesures d'adaptation autorisées par la Constitution pour tenir compte de leur situation particulière (à l'instar de ce qui a été jugé dans la décision 82-147 DC du 2 décembre 1982). L'article 62 s'écarte substantiellement des règles de droit commun applicables au fonctionnement des conseils généraux et méconnaît en conséquence les prescriptions de l'article 73 de la Constitution. B - Une atteinte au principe de libre administration des collectivités locales L'article L.5915-3 du Code général des collectivités territoriales, tel qu'il résulte de l'article 62 de la loi déférée, dispose que « le conseil général et le conseil régional délibèrent sur les propositions du congrès ». Cette disposition est manifestement contraire au principe de libre administration des collectivités locales tel qu'il est consacré par l'article 72 de la Constitution. En effet, en obligeant les conseils du département et de la région concernés à délibérer sur les propositions du congrès, elle conditionne l'ordre du jour des assemblées délibérantes de ces collectivités et porte ainsi une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales d'autant plus grave qu'elle a pour source une instance non élue qui se superpose aux organes délibérants existants. C - Une injonction inconstitutionnelle au Gouvernement L'article 62 (art. L. 5915-3 al. 2 et 3) prévoit que « les délibérations adoptées par le conseil général et le conseil régional sont transmises au Premier ministre par le président de l'assemblée concernée. Le Premier ministre en accuse réception dans les quinze jours et fixe le délai dans lequel il apportera une réponse ». Cette disposition constitue une injonction au Gouvernement et doit, à ce titre, être déclarée contraire à la Constitution, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, il a déjà été jugé que « le législateur ne saurait, sans excéder la limite de ses pouvoirs, enjoindre au Premier ministre de donner une réponse (...) à une proposition de modification de la législation ou de la réglementation, émanant de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale » (décision 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 50). D - Méconnaissance des principes constitutionnels de clarté, de lisibilité et de cohérence interne de la loi. L'article 62 de la loi autorise la consultation pour avis des habitants des quatre départements d'outre-mer, ce qui est en contradiction avec l'article 1er, qui ne l'autorise que pour les départements d'amérique.
Pour l'ensemble de ces motifs, les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de déclarer les articles 1er, 42, 43 et 62 de la loi d'orientation pour l'Outre-mer non conformes à la Constitution.