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Décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 - Réplique par 60 sénateurs

Loi relative à l'élection des sénateurs
Non conformité partielle

Les observations du gouvernement sur le recours dirigé contre la loi relative à l'élection des sénateurs appellent de la part de ces derniers les remarques suivantes :
Sur le I B 1 des observations du gouvernement

  1. Le gouvernement ne tient pas compte des observations selon lesquelles les départements et les régions n'étaient pas des collectivités territoriales de plein exercice sous le régime électoral antérieur de 1958 et de 1976.
  2. Le dernier mot donné à l'Assemblée nationale a méconnu l'autonomie du Sénat qui découle de l'article 26 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et qui impose la séparation des pouvoirs. Le dernier mot donné à l'Assemblée nationale met ainsi fin à une coutume constitutionnelle constamment appliquée depuis 1875 (V. CC. 15 janvier 1960, 59-5 DC, rec. p. 15) qui repose sur la dignité mutuelle des deux assemblées. Le Sénat conscient de la nécessité de tenir compte de l'évolution avait modifié dans sa proposition de loi la représentation des délégués des communes pour tenir compte de l'urbanisation intervenue depuis 1958 mais avait maintenu les grands équilibres qui animaient la loi antérieure. L'Assemblée nationale a bouleversé ces équilibres en privilégiant les communes les plus peuplées, c'est-à-dire les communes de plus de 30 000 habitants qui obtiennent ainsi, soit la majorité absolue, soit une écrasante représentation au sein du collège des grands électeurs (V. le cas de Marseille dans les Bouches-du-Rhône).
  3. La jurisprudence du Conseil constitutionnel du 1-2 juillet 1986 a reconnu la spécificité de la représentation sénatoriale qui n'a pas à tenir compte du seul critère démographique. Or, la loi contestée ne tient compte que de ce seul critère.
    Sur le I B 2 des observations du gouvernement
  4. Le choix d'un délégué supplémentaire par tranche de 300 habitants ne respecte pas le principe de proportionnalité qui depuis la loi du 9 décembre 1884, en passant par celle du 23 septembre 1948 et par l'ordonnance du 15 novembre 1958, s'est toujours imposé au législateur. Il y a là sans nul doute un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
  5. La différence de traitement entre petites et grandes communes aboutit à une dénaturation du principe de représentation propre aux élections sénatoriales. Il y a là une erreur manifeste d'appréciation commise par le législateur et consécutive à une rupture caractérisée.
  6. Certes, le code électoral n'a jamais précisé que les délégués sénatoriaux des communes devaient être conseillers municipaux. Mais cette disposition découle des difficultés de transport en 1884 et de la nécessité pour les communes de trouver un grand électeur disponible pour consacrer près de trois jours aux opérations de vote (cas des communes éloignées de la préfecture ou d'accès difficile). Dans la pratique, les représentants des communes ont toujours été des conseillers municipaux et ces mêmes conseillers municipaux dans les communes de plus de 9 000 habitants sont membres de droit du collège électoral sénatorial.
  7. Dans la pratique, le nombre des élus du suffrage universel direct ont donc toujours été majoritaires au sein du collège électoral sénatorial.
  8. Le Sénat n'a jamais exigé que seuls des élus du suffrage universel direct soient représentants des communes, mais il a toujours souhaité qu'il y ait un équilibre raisonnable entre élus du suffrage universel direct et élus de ces derniers. Car le statut de ces délégués supplémentaires reste constitutionnellement fragile du fait de la non-permanence de leur désignation et du mandat quasi-impératif dont ils sont investis.
    Sur le II, B des observations du gouvernement
  9. Le raisonnement gouvernemental ne tient pas compte de la réalité en se réfugiant derrière la loi organique. Le Sénat a refusé en effet l'augmentation du nombre des sénateurs mais n'a pas refusé une nouvelle répartition des sièges de sénateurs entre les départements et à effectif constant, ce qui relève de la loi ordinaire.
  10. Dès lors, on ne pouvait pas modifier les règles du scrutin, conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, surtout en apportant une attention particulière aux données démographiques dans l'augmentation du nombre des délégués des communes sans modifier la répartition des sièges.
  11. Prendre en considération le seul critère du nombre des sénateurs pour modifier le mode de scrutin relève donc de l'arbitraire. Il en aurait été différemment si le critère retenu avait été la démographie et non le nombre de sièges. Le Sénat avait bien vu l'obstacle en proposant le scrutin proportionnel pour les départements qui élisent au moins quatre sénateurs. Dans ce cas, il y aurait eu autant de sénateurs élus dans les deux modes de scrutin. Le critère du nombre était donc complété par un autre critère objectif.
  12. Dès lors, le nouveau mode de scrutin porte atteinte au principe d'égalité. Des départements éliront leurs sénateurs au scrutin majoritaire alors que d'autres à population identique les éliront au scrutin proportionnel. Ce sera le cas de la Drôme, du Vaucluse, du Tarn ou de l'Aisne qui élisent deux sénateurs, alors qu'à population sensiblement égale ou légèrement supérieure, la Manche, le Doubs, la Côte d'Or, etc... en éliront trois.
  13. Des anomalies encore plus flagrantes se manifestent à l'intérieur d'un même mode de scrutin. Des départements moins peuplés ont deux sénateurs alors que les départements plus peuplés en n'ont qu'un (cas de la Creuse face à l'Ariège ou au territoire de Belfort). Des départements à trois sénateurs sont plus peuplés que les départements à quatre (Oise, Hérault ou Var face à la Meurthe-et-Moselle ou l'Ille-et-Vilaine). Il en va de même pour les départements à quatre ou cinq sénateurs.
  14. Ainsi, la conjugaison de l'augmentation du nombre de grands électeurs, qui met en avant le principe démographique avec le changement du mode de scrutin qui n'obéit plus aux mêmes règles, démontrent bien le caractère arbitraire de cette réforme qu'il appartiendra au Conseil constitutionnel de sanctionner.