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Décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 - Observations du Gouvernement

Loi relative à l'élection des sénateurs
Non conformité partielle

29 juin 2000Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre la loi relative à l'élection des sénateurs, adoptée le 21 juin 2000. Les requérants estiment contraires à la Constitution, tant les dispositions qui élargissent le corps électoral des sénateurs que celles qui concernent le mode de scrutin applicable aux élections sénatoriales.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I - Sur l'élargissement du corps électoral des sénateurs.
A) La première série de critiques vise essentiellement l'article 2 de la loi qui tend à mieux tenir compte de la population des communes dans la détermination du nombre de leurs délégués au sein du collège électoral qui élit les sénateurs.
En vertu de l'article L.280 du code électoral, ces délégués forment, avec les députés, les conseillers régionaux et conseillers à l'Assemblée de Corse rattachés au département et les conseillers généraux, le corps électoral qui, dans chaque département, élit les sénateurs. Le nombre des délégués des conseils municipaux dépend, pour chaque commune, non pas de la population de celle-ci, mais de l'effectif de son conseil municipal.
La loi déférée met fin à ce système pour lui substituer une règle nouvelle permettant à chaque commune d'avoir un nombre de délégués déterminé en fonction de sa population. Le choix fait par le législateur consiste, comme le précise la nouvelle rédaction que l'article 2 donne à l'article L.282 du code électoral, à élire un délégué par tranche de 300 habitants ou fraction de ce nombre.
Pour critiquer cette disposition, ainsi que les articles 18, 19 et 21 qui en adaptent les règles pour les collectivités d'outre-mer, les sénateurs requérants invoquent deux séries de moyens.
Ils soutiennent d'abord que la représentation des collectivités territoriales de la République n'est plus correctement assurée. Selon eux, les régions et les départements n'ont plus qu'une représentation résiduelle et les petites communes sont « écrasées » au profit des communes très peuplées. Ils estiment que la proportion d'un délégué par tranche de 300 habitants présente un caractère arbitraire.
Les auteurs de la saisine font ensuite valoir que les modalités retenues pour l'élargissement du collège électoral font que la loi n'assure plus l'élection des sénateurs au suffrage indirect, dans la mesure où les élus du suffrage universel seront minoritaires dans les collèges électoraux. En outre, la loi, selon eux, va amplifier la sur-représentation des majorités municipales au sein de l'électorat des sénateurs.
B) Pour sa part, le Gouvernement considère que ces dispositions sont conformes à la Constitution.
Comme le soulignent MM. Favoreu et Philip dans leur commentaire de la décision n° 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986 (Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 10 ° édition p. 710), les principes essentiels de la jurisprudence issue de cette décision « s'appliquent à toutes les élections qui, directement ou indirectement, contribuent à la désignation des organes exerçant la souveraineté nationale ». C'est notamment le cas du principe d'équilibre démographique. Mais comme le relèvent les mêmes auteurs, l'extension de cette jurisprudence à l'élection des membres du Sénat doit sans doute se faire « de manière moins stricte que pour les élections législatives car il représente aussi les collectivités territoriales en tant que telles »
C'est précisément ce souci de mieux concilier la prise en compte des considérations démographiques et la mission particulière de représentation de ces collectivités que l'article 24 de la Constitution assigne au Sénat qui est à l'origine de la réforme que le Gouvernement a proposée au Parlement et que celui-ci a adoptée, tout en y apportant des modifications. En renonçant au mécanisme qui faisait dépendre le nombre des délégués de l'effectif du conseil municipal, lequel n'est lui-même pas proportionnel à la population, le texte adopté atténue la sur-représentation des communes les moins peuplées tout en leur maintenant une place significative et en leur garantissant, en tout état de cause, le droit de participer, par leurs délégués, à l'élection des sénateurs.
Ce faisant, le législateur ne s'expose à aucune des deux critiques formulées par les auteurs de la saisine.

  1. En premier lieu, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'accroissement du nombre des délégués des conseils municipaux n'affecte pas la représentation des autres collectivités territoriales, qui était déjà très minoritaires.
    A cet égard, le système actuel, qui donne une forte prépondérance aux délégués des conseils municipaux, montre que le Sénat demeure, comme au temps de Gambetta, « le grand conseil des communes de France ».
    Sauf à interpréter l'article 24 de la Constitution comme ayant entendu revenir sur cette caractéristique traditionnelle de la seconde chambre, et à en déduire que l'état actuel du droit est contraire à la Constitution, on peut donc difficilement soutenir que chaque catégorie de collectivité territoriale doit avoir un poids propre au sein des collèges électoraux.
    Or, l'accroissement du nombre de délégués des conseils municipaux qui résultera de l'article 2 ne modifie que de manière très marginale la situation qui résulte de cet état du droit, en faisant passer de 95,7 à 97,1 % leur poids au sein des collèges électoraux de métropole. La loi ne remet nullement en cause la présence, ni le nombre des autres membres de ces collèges, et notamment de ceux qui représentent les autres collectivités territoriales.
  2. De même est-ce à tort, en second lieu, que les requérants reprochent à la loi contestée de remettre en cause le principe suivant lequel les sénateurs sont élus au suffrage indirect.
    L'article 24 de la Constitution, qui énonce ce principe, ne prescrit nullement que tous les membres du collège électoral soient eux-mêmes des élus du suffrage universel direct. Il ne l'implique pas non plus, sauf à considérer, là aussi, que le système actuel, dont les requérants critiquent la modification, était d'ores et déjà contraire à la Constitution. En effet, il résulte actuellement des articles L.284 et L.285 du code électoral que l'effectif du conseil municipal ne coïncide avec celui des délégués que dans les communes de 9 000 à 30 000 habitants : dans celles de moins de 9 000 habitants, qui sont de très loin les plus nombreuses, les conseils municipaux élisent des délégués, dont rien n'impose qu'ils soient issus du conseil ; dans les communes de plus de 30 000 habitants, des délégués élus hors du conseil municipal coexistent avec les membres de celui-ci pour représenter la commune dans le collège électoral.
    Il importe d'ailleurs de souligner que, depuis 1875, le droit positif n'a jamais consacré la règle suivant laquelle les conseillers municipaux sont délégués de droit. Le principe, au contraire, a constamment été que les conseils municipaux désignent des délégués pour élire les sénateurs, sans que ces délégués soient nécessairement membres du conseil municipal. Ce mécanisme de « délégués sénatoriaux » a toujours existé à côté de « délégués de droit », seuls ces derniers étant eux-mêmes des élus. C'est ce que mettent en évidence les travaux préparatoires de l'article 4 de la loi du 28 février 1875 relative à l'organisation du Sénat, et notamment l'intervention de M. Wallon qui souligne que le mode d'élection de cette assemblée « repose entièrement sur le suffrage universel au second degré et au troisième pour les délégués » (Rec. Duvergier 1875, p. 60). Ainsi le régime qui s'appliquait à l'élection du Sénat de la IIIème République a-t-il pu être résumé comme un système dans lequel « les sénateurs sont élus par un collège comprenant les élus ou des représentants des élus au suffrage universel » (Barthélemy et Duez , Traité de droit constitutionnel, 1933, p.475).
    Autrement dit, et même si le mode d'élection des sénateurs est parfois présenté comme « à deux degrés », il est plus exact de le décrire, comme le fait le professeur Pactet (Droit constitutionnel, 17 ° édition, p. 378), comme un suffrage universel « à deux et trois degrés ». En tout cas, le droit positif n'a jamais posé en principe que les collèges électoraux devraient être composés exclusivement, ni même principalement, d'élus du suffrage universel.
    Or, il ne résulte ni des termes de l'article 24 de la Constitution, ni d'ailleurs des discussions qui ont précédé son adoption, que le Constituant ait entendu imposer une telle règle pour l'élection du Sénat.
    En réalité, la notion de suffrage indirect, appliquée à l'élection d'une Assemblée chargée de représenter les collectivités territoriales, implique que chacune de ces collectivités, y compris la moins peuplée, ait au moins un représentant élu par elle au sein du collège chargé d'élire les membres de cette Assemblée. Cette règle n'est pas remise en cause par la loi déférée. Mais, sauf à donner à l'article 24 une portée qui ne s'en déduit pas, l'on ne saurait exiger que seuls des élus du suffrage universel direct puissent faire partie de ce collège, ni que leur nombre soit prépondérant au sein de ce collège.
    II - Sur la modification du mode de scrutin applicable dans certains départements.
    A) Estimant que le mécanisme de la représentation proportionnelle, qui coexiste actuellement avec un mode de scrutin majoritaire, est mieux adapté pour désigner les membres d'une Assemblée telle que le Sénat, le législateur a fait le choix d'étendre ce mécanisme à tous les départements dans lesquels il est possible de l'appliquer, et de ne maintenir l'élection des sénateurs au scrutin majoritaire que dans ceux qui n'en élisent pas suffisamment pour que la représentation proportionnelle puisse jouer.
    C'est pourquoi l'article 10 de la loi déférée retient ce dernier mode de scrutin dans les départements qui élisent trois sénateurs ou plus, tandis que l'article 9 maintient le scrutin majoritaire dans ceux qui n'ont droit qu'à un ou deux sénateurs.
    Selon les requérants, ces dispositions seraient contraires à la Constitution pour n'avoir pas tenu compte des mutations démographiques intervenues depuis les derniers recensements. Ils considèrent que cette modification ne pouvait intervenir sans que la répartition des sièges n'ait été revue. Le seuil de trois sénateurs adopté pour instaurer le scrutin proportionnel présenterait donc, à défaut, un caractère arbitraire.
    B) Cette argumentation ne peut être retenue.
    Elle est, en effet, inopérante. Sans doute est-il souhaitable de reconsidérer la répartition des sénateurs entre les départements, pour tenir compte de l'évolution démographique. Le Gouvernement estimait que cette opération devait être effectuée selon la méthode retenue en 1958, et reprise en 1976 (un sénateur pour 150.000 habitants et un par tranche de 250.000 ou fraction de ce nombre), ce qui entraînait une augmentation des effectifs du Sénat, laquelle relève de la loi organique en vertu de l'article 25 de la Constitution. Deux projets de lois avaient été déposés à cette fin, toutefois ceux-ci n'ont pu aboutir. Mais s'il est exact que, en attendant, la répartition qui reste en vigueur n'est pas satisfaisante, les dispositions de la loi déférée sont sans incidence aucune sur cette situation. Elles n'ont ni pour objet, ni pour effet d'en aggraver les inconvénients.
    En réalité, les requérants confondent deux questions qui sont juridiquement indépendantes l'une de l'autre : celle, qui est étrangère à l'objet du texte déféré, de la révision des effectifs de sénateurs dans chaque département, et celle, qui seule doit être envisagée, du mode de scrutin applicable en fonction d'un effectif déterminé. La loi se borne à abaisser de 5 à 3 le seuil à partir duquel la représentation proportionnelle s'appliquera. Ce faisant, elle n'affecte nullement la situation décrite plus haut. Elle retient un critère pertinent, qui consiste à appliquer ce mode de scrutin dans tous les départements dont l'effectif de sénateurs à élire le permet.

Aucun des moyens invoqués n'étant de nature à justifier la censure des dispositions contestées, le Gouvernement estime que le Conseil constitutionnel ne pourra que les déclarer conformes à la Constitution.