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Décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 - Observations du gouvernement

Loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre la loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Les requérants adressent à la loi deux séries de critiques : en premier lieu, ils jugent excessivement contraignantes les dispositions adoptées en vue d'assurer la parité dans les élections au scrutin de liste et d'inciter les partis et groupements politiques à promouvoir les candidatures féminines aux élections législatives ; en second lieu, ils soutiennent que certaines dispositions ont été adoptées en méconnaissance des règles régissant l'exercice du droit d'amendement.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I - Sur la conformité à la Constitution des dispositions adoptées pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux
A) Les articles 2, 5, 6 et 8 de la loi font obligation aux listes présentées lors d'un scrutin proportionnel à deux tours de comporter un nombre égal de candidats de chaque sexe, cette égalité devant s'apprécier au sein de chaque groupe entier de six candidats, dans l'ordre de présentation de la liste. S'agissant des élections sénatoriales et européennes qui n'ont qu'un tour, les articles 3 et 7 de la loi imposent que chaque liste soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.
Pour contester ces dispositions, les requérants font valoir qu'elles sont contraires aux articles 3 et 4 de la Constitution et à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il invoquent, à cet égard, la jurisprudence issue de la décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, et rappelée par la décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999.
Pour les élections législatives qui ne peuvent, par définition, se voir appliquer les règles définies pour des scrutins de liste, l'article 15 de la loi déférée retient un mécanisme de modulation de l'aide publique aux partis et groupements politiques, afin de réduire le montant accordé à ceux qui s'écarteraient de la parité des candidatures à ces élections. Aux yeux des requérants, il s'agit d'un régime de sanction qui, faute de tenir compte des résultats en termes d'élus accédant effectivement au mandat, méconnaît les exigences de proportionnalité résultant de l'article 8 de la Déclaration de 1789.
B) Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation, qui est contraire à la volonté du constituant.

  1. On rappellera en effet que le Conseil constitutionnel avait considéré, dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, que des mesures procédant de la même inspiration que la loi déférée se heurtaient à la Constitution. C'est pourquoi la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a ajouté, à l'article 3 de la Constitution, un nouvel alinéa aux termes duquel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Elle a également inséré, à l'article 4, une disposition précisant que les partis et les groupements politiques « contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi ».
    L'adoption de ces dispositions par le Congrès ayant précisément eu pour objet de donner à des dispositions législatives permettant de rendre effective la parité le fondement constitutionnel qui leur faisait défaut, on voit mal comment cette révision pourrait ne pas avoir cet effet. Sans doute est-il exact que, comme le soulignent les requérants, le principe de la liberté du suffrage et celui de la liberté des candidatures qui se déduisent des autres alinéas de l'article 3 conservent toute leur valeur. Mais il appartient désormais au législateur d'en opérer la conciliation avec les nouvelles dispositions constitutionnelles.
    Il est donc vain de soutenir que la loi constitutionnelle se bornerait à énoncer un objectif, sans autoriser le législateur à soumettre les formations politiques à des obligations contraignantes : contrairement à ce que soutiennent les requérants, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a bien une portée normative. Mais naturellement, le texte constitutionnel n'avait pas lui-même vocation à détailler les dispositions permettant de réaliser les objectifs qu'il énonce. C'est pourquoi l'on ne saurait utilement, pour contester les mesures que la loi a prises afin d'y parvenir, faire valoir que la Constitution ne les a pas expressément prévues.
    En l'espèce, les mesures adoptées par le Parlement sont bien au nombre de celles qui avaient été envisagées par le constituant, et elles n'excèdent pas ce qui est nécessaire à la mise en oeuvre de l'objectif de parité désormais inscrit dans notre texte fondamental. Si besoin est, l'examen de ses travaux préparatoires illustre clairement la volonté du constituant de rendre possibles aussi bien des mesures de contrainte que d'incitation, de la nature de celles que critique la saisine : on peut se référer à cet égard, par exemple, aux déclarations du garde des Sceaux à l'Assemblée nationale les 16 février et 10 mars 1999 (J.O. déb. A.N., p. 1448, 2225 et 2226) et à celles du rapporteur du projet de loi constitutionnelle devant le Sénat le 4 mars 1999 (J.O. déb. Sénat, p. 1287).
    Il n'est d'ailleurs pas indifférent de relever que, dans la décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999 par laquelle il a repris la solution dégagée par la décision n° 82-146 DC, le Conseil constitutionnel - qui se prononçait alors que le projet de loi constitutionnelle était en cours de discussion - a pris soin de souligner que c'était « en l'état » que l'obligation d'assurer la parité entre candidatures masculines et féminines était contraire à la Constitution. Il est donc vain de se prévaloir de la jurisprudence antérieure à la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, comme le font les requérants, pour contester des mesures dont cette révision entendait précisément permettre l'adoption.
  2. Le Conseil constitutionnel ne pourra davantage faire siennes les critiques adressées, sur le fondement de l'article 8 de la Déclaration de 1789, au mécanisme de réduction de l'aide publique accordée aux formations politiques qui s'écarteraient de la parité dans la présentation des candidats aux élections législatives. Il s'agit en effet d'ajuster le montant d'une aide en fonction de certains critères, et plus particulièrement de l'objectif constitutionnel de parité dans les candidatures aux élections politiques. Un tel dispositif de modulation ne saurait s'assimiler à une peine, au sens de l'article 8 de la Déclaration.On ajoutera qu'en prenant en compte, pour calculer cette modulation, le nombre des candidats se réclamant des différentes formations politiques, le législateur s'est s'inscrit dans la logique du mécanisme issu de la loi du 11 mars 1988. Et dans la mesure où il s'agit d'inciter les partis à présenter autant de femmes que d'hommes aux élections législatives, il ne serait guère pertinent de tenir compte, comme le préconisent les sénateurs requérants, des résultats des élections, c'est-à-dire d'un paramètre qui ne dépend en définitive que du libre choix des électeurs.
    II - Sur la régularité de la procédure d'adoption de certains amendements.
    Selon la saisine, les articles 1er, 4, 18, 19 et 20, issus d'amendements parlementaires, auraient été adoptés en méconnaissance des règles régissant l'exercice du droit d'amendement. Mais si les requérants reprochent indifféremment à ces articles de constituer des « cavaliers », il convient, en réalité, compte tenu des règles que la jurisprudence a déduites des articles 39, 44 et 45 de la Constitution, de distinguer suivant la nature des dispositions en cause et le stade de la discussion auquel elles ont été introduites dans la loi déférée.
    On relèvera d'abord que les articles contestés ont une portée limitée, de sorte qu'ils satisfont, en tout état de cause, à l'une des conditions posées par la jurisprudence issue de la décision n° 86-221 DC du 29 décembre 1986, suivant laquelle les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient dépasser, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement.
    La seule question est donc celle du respect des autres conditions : les articles issus d'amendements ne doivent pas être dépourvus de tout lien avec les autres dispositions de la loi (n° 85-191 DC du 10 juillet 1985) et, pour ceux qui interviennent après la réunion de la commission mixte paritaire, il est en outre nécessaire qu'ils soient en relation directe avec une disposition du texte en discussion ou qu'ils assurent la coordination avec un autre texte en cours d'examen au Parlement (n° 98-402 DC du 25 juin 1998).Sur le premier point, il ressort de la jurisprudence issue de la décision du 10 juillet 1985 que, pour que la condition qu'elle pose soit remplie, il suffit que les amendements en cause puissent se rattacher à l'une des matières ou à l'un des thèmes traités par le texte initialement déposé, sans qu'il s'agisse nécessairement d'une parenté proche avec des dispositions précises du projet.
    C'est ainsi que, par exemple, l'existence d'un lien suffisant a été reconnue dans le cas d'un projet de loi dont le contenu concernait des aspects variés du droit de l'urbanisme, et dans lequel avait été inséré un amendement relatif à l'expropriation en vue de la réalisation de voies de chemin de fer (n° 89-256 DC du 25 juillet 1989). De même ont été jugés réguliers des amendements se rattachant à la fiscalité directe des collectivités locales, qui avaient été introduits dans un projet de loi relatif à la révision générale des évaluations cadastrales, qui comportait ainsi des dispositions relatives aux règles d'assiette des impositions directes locales (n° 90-277 DC du 25 juillet 1990).
    Au regard de ces critères, il est clair que l'article 1er de la loi adoptée, qui abaisse de 3 500 habitants à 2 500 le seuil d'application du mode de scrutin municipal issu de la loi du 19 novembre 1982, n'est pas sans lien avec les dispositions du projet relatives à l'élection des conseillers municipaux.
    S'agissant de l'article 4, qui tend à appliquer la parité dans les candidatures au Conseil supérieur des Français de l'étranger, il n'est pas non plus douteux qu'il présente un lien avec le projet déposé : d'une part, il porte également sur la parité dans les candidatures aux élections ; d'autre part, il concerne, tout comme l'article 3 qui figurait dans ce projet, l'élection des sénateurs, dans la mesure où ce Conseil constitue le collège qui élit les sénateurs représentant les Français de l'étranger. On relèvera que l'amendement qui est à l'origine de cet article 4 a été déposé en première lecture au Sénat, ce qui, à ce stade, était a priori régulier, au regard de la jurisprudence issue de la décision du 10 juillet 1985.
    Il se trouve cependant qu'il a alors été rejeté, et n'a finalement été adopté qu'en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, après l'échec de la commission mixte paritaire. Dans la mesure où le Conseil constitutionnel estimerait devoir appliquer à une telle hypothèse les exigences posées par la décision du 25 juin 1998, il lui appartiendrait alors d'apprécier si le lien qui existe incontestablement entre cet amendement et le projet de loi peut être regardé comme suffisamment direct, au sens de cette jurisprudence.
    La régularité des articles 18 et 19, qui clarifient la procédure de démission d'office des conseillers généraux en l'harmonisant avec celle qui régit les conseillers municipaux et régionaux, doit être appréciée au regard de chacune des deux branches de la jurisprudence. En effet, le premier a été introduit avant la réunion de la commission mixte paritaire, alors que le second n'est intervenu qu'après. Au regard des conditions posées par la décision du 25 juin 1998, il est clair que l'article 19, qui concerne le cas où survient une cause d'incompatibilité, est en relation directe avec l'article 18, qui n'avait envisagé que l'inéligibilité. Quant à l'article 18, on peut considérer qu'il n'est pas dépourvu de tout lien avec le texte, si l'on tient compte de ce qu'il s'agit, dans les deux cas, de droit électoral.Enfin, il est vrai que l'on peut davantage s'interroger sur la régularité de l'introduction, par voie d'amendement, des dispositions de l'article 20 relatif aux conditions d'éligibilité des membres du conseil consultatif d'une commune associée.