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Juillet-Août 2014 : Le contrôle des incompétences négatives

La Constitution fixe, notamment en son article 34, le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel est attentif à ce que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative, notamment le pouvoir réglementaire, ou sur une autorité juridictionnelle le soin de fixer des règles ou des principes dont la détermination n'a été confiée qu'à la loi. Pour ne pas se placer en situation d'incompétence négative, le législateur doit déterminer avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles est mis en œuvre le principe ou la règle qu'il vient de poser.

Il incombe, par exemple, au législateur d'assortir un dispositif mettant en œuvre un principe constitutionnel des garanties légales suffisantes. De même l'incompétence négative est également caractérisée si le législateur élabore une loi trop imprécise ou ambiguë. De même encore, le législateur ne peut pas renvoyer au pouvoir réglementaire de façon trop générale ou imprécise. Cette jurisprudence de l'incompétence négative est aussi ancienne que constante. Elle s'applique de manière légèrement différenciée dans le cadre du contrôle a priori de l'article 61 et dans le cadre du contrôle a posteriori de l'article 61-1 de la Constitution

Incompétence négative et contrôle a priori

La première décision sanctionnant une incompétence négative portait sur des dispositions de procédure pénale qui confiaient au président du tribunal de grande instance un pouvoir discrétionnaire pour décider si les délits seraient jugés par une formation collégiale du tribunal ou par un juge unique (décision n° 75-56 DC du 23 juillet 1975).

Depuis cette décision, le Conseil constitutionnel exerce son contrôle de l'incompétence négative dans les différentes rubriques de l'article 34 de la Constitution. Ainsi, le législateur doit fixer les éléments déterminants de l'assiette, du taux et des modalités de recouvrement des impositions de toutes natures, et ce de manière suffisamment précise. Dans le cas contraire, le législateur n'épuise pas sa compétence et se rend coupable d'incompétence négative. Dans sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a censuré par exemple les dispositions de la loi de finances pour 1999 qui régissent sans précision suffisante les modalités de recouvrement de la taxe sur les activités à caractère saisonnier.

Dans sa décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 sur la loi « OGM », le Conseil a estimé qu'en se bornant à renvoyer de manière générale au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des informations relatives aux organismes génétiquement modifiés qui ne peuvent en aucun cas demeurer confidentielles, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence eu égard à l'atteinte ainsi portée aux secrets protégés.

Dans sa décision n° 2011-639 DC du 28 juillet 2011, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap. Pour les bâtiments et parties de bâtiments nouveaux, l'article 19 de cette loi confiait au pouvoir règlementaire le soin de « fixer les conditions dans lesquelles des mesures de substitution aux exigences relatives à l'accessibilité peuvent être prises afin de répondre aux exigences de mise en accessibilité » prévues à l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation. Le législateur n'avait pas précisément défini l'objet des règles qui doivent être prises par le pouvoir réglementaire pour l'accessibilité aux bâtiments et parties de bâtiments nouveaux. Le législateur avait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence. Par suite, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 19 de la loi contraire à la Constitution.

Par sa décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi relative à la protection de l'identité. Il a examiné l'article 3 de la loi qui conférait une fonctionnalité nouvelle à la carte nationale d'identité. Cet article ouvrait la possibilité que cette carte contienne des « données » permettant à son titulaire de mettre en œuvre sa signature électronique, ce qui la transformait en outil de transaction commerciale. Le Conseil a relevé que la loi déférée ne précisait ni la nature des « données » au moyen desquelles ces fonctions pouvaient être mises en œuvre ni les garanties assurant l'intégrité et la confidentialité de ces données. La loi ne définissait pas davantage les conditions d'authentification des personnes mettant en œuvre ces fonctions, notamment pour les mineurs. Le Conseil a en conséquence jugé que le législateur, faute de ces précisions, avait méconnu l'étendue de sa compétence. Il a censuré l'article 3 de la loi.

Incompétence négative et contrôle a posteriori

Dans le contentieux de la QPC, le Conseil constitutionnel considère « que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » (décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012).

Le Conseil a déjà considéré que l'incompétence négative du législateur pouvait affecter notamment :

  • La libre administration des collectivités territoriales (décision n° 2012-277 QPC du 5 octobre 2012);
  • Le droit au recours juridictionnel effectif (décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013);
  • La liberté d'entreprendre (décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013);
  • Le droit de propriété (décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013);
  • La liberté de communication des pensées et des opinions (décision n° 2013-364 QPC du 31 janvier 2014);
  • La liberté individuelle, la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée (décision n° 2013-367 QPC du 14 février 2014).

Enfin, le Conseil constitutionnel contrôle également en QPC l'incompétence négative qui affecte le principe de la participation du public tel qu'il résulte de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Il censure par exemple une disposition législative qui ne précise pas « les conditions et les limites » dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement (décision n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014).

Au total, le Conseil constitutionnel veille avec soin à ce que le législateur épuise sa compétence et ne renvoie pas au pouvoir règlementaire des dispositions qu'il lui incombe de fixer. Cette écriture complète de la loi conditionne sa conformité à la Constitution.