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Bilan des élections sénatoriales du 27 septembre 1998

Les solutions retenues.

1) Qualité pour former un recours

S'agissant de la qualité pour agir, le Conseil a rappelé que seul avait le droit de contester une élection sénatoriale celui qui soit est inscrit sur une liste électorale de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l'élection contestée, soit y a fait acte de candidature.

Ainsi M. C., placé sous tutelle par un jugement du tribunal d'instance, n'était ni électeur, ni candidat dans le département dans lequel s'est déroulée l'élection sénatoriale qu'il conteste : sa requête n'est donc pas recevable (98-2559 du 14 octobre 1998, Charente et Corrèze, J.O. p. 15895).

De même, s'agissant de l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France, les listes électorales de la circonscription sont celles des électeurs mentionnés à l'article 2 de la loi n° 82-471 du 7 juin 1982, relative au Conseil supérieur des Français de l'étranger, qui élisent le collège électoral sénatorial défini à l'article 13 de l'ordonnance n° 59-260 du 4 février 1959 complétant l'ordonnance 58-1098 du 15 novembre 1958 relative à l'élection des sénateurs. Or, il est constant que le requérant, M.D., n'est pas inscrit sur ces listes. Comme , par ailleurs, M. D. n'a pas fait acte de candidature à l'élection contestée et qu'il ressort de l'instruction que le secrétariat du Conseil supérieur des Français de l'étranger ne lui a pas opposé des refus de communication d'informations de nature à l'empêcher de déposer une liste de candidats dans les conditions prévues par l'article 16 de l'ordonnance du 4 février 1959, l'intéressé est sans qualité pour contester l'élection (98-2561 du 10 novembre 1998, Français établis hors de France, J.O. p. 17114).

Cette affaire a permis au Conseil de dire pour la première fois ce qu'il fallait entendre par « circonscription dans laquelle il est procédé à l'élection » (cf. art. L 180 du code électoral, applicable à l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger en vertu de l'article 4 de la loi organique n° 83-499 du 17 juin 1983) s'agissant de l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger.

2) Autres questions de recevabilité

Le recours de M. P., candidat malheureux dans les Bouches-du-Rhône, tendait non à l'annulation de l'élection, mais à ce qu'il soit proclamé élu a la place de M. V., auquel a été attribué le troisième et dernier siège de la liste conduite par M. G. (les élections sénatoriales ont lieu à la proportionnelle dans ce département).

Or aucun des griefs soulevés - à les supposer fondés - n'eût permis de reconstituer la répartition exacte des voix ni, par conséquent, de prononcer l'annulation partielle de l'élection.

Dans une telle hypothèse, le Conseil d'Etat rejette de telles conclusions comme irrecevables (Section, 7 mai 1993, Pierret, Leb. p. 150 : réclamation tendant à ce que M. M. soit proclamé élu conseiller régional aux lieux et place de M. R.).

Le Conseil constitutionnel a retenu la même solution dans sa décision 98-2564 du 10 novembre 1998 , Bouches-du-Rhône (J.O. p. 17115). S'écarter de la solution Pierret eût été statuer ultra petita.

3) Inéligibilités

Le recours de M. G. contre l'élection du sénateur de Wallis et Futuna a donné une nouvelle fois l'occasion au Conseil de constater que les textes électoraux applicables dans les territoires d'outre-mer auraient grand besoin d'être actualisés et clarifiés (cf. les observations du Conseil à propos des élections législatives à Wallis et Futuna et à Mayotte, J.O. du 12 juin 1998 p. 8927).

M. G. soutenait que M. L. , élu sénateur du territoire des îles Wallis-et-Futuna le 27 septembre 1998, était inéligible. Il faisait valoir à cet égard que l'enseignement primaire, compétence dévolue à l'Etat en vertu de l'article 7 de la loi 61-814 du 29 juillet 1961 modifiée conférant à ces îles le statut de territoire d'outre-mer, était intégralement assuré par la Mission catholique. Dès lors, selon le requérant, la situation de M. L. devait, en raison de sa qualité de directeur de l'enseignement catholique sur le Territoire, être assimilée à celle des inspecteurs de l'enseignement primaire dont l'inéligibilité est édictée au 7 ° de l'article L.O. 133 du code électoral.

Il est exact qu'aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958, applicable dans les territoires d'outre-mer en vertu du décret n° 59-393 du 11 mars 1959 : « Ne peuvent être élus dans toute circonscription comprise dans le ressort dans lequel ils exercent ou dans lequel ils ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois : ... 7 ° ... Les inspecteurs de l'enseignement primaire ... » ;

Toutefois, les inspecteurs de l'enseignement primaire ont été intégrés par le décret n° 72-587 du 4 juillet 1972 dans le corps des inspecteurs départementaux de l'éducation nationale dont le statut particulier a ultérieurement été fixé par le décret n° 88-643 du 5 mai 1988. Ces inspecteurs ont, à leur tour, été intégrés par le décret n° 90-675 du 18 juillet 1990 dans le nouveau corps des inspecteurs de l'éducation nationale. L'inéligibilité prévue par les dispositions précitées frappe ainsi ceux des inspecteurs de l'éducation nationale qui exercent les missions précédemment dévolues aux inspecteurs de l'enseignement primaire. Or il ne résultait pas de l'instruction que M. L., qui n'appartient pas au corps des inspecteurs de l'éducation nationale, exerçât dans le cadre de ses fonctions en qualité de directeur de l'enseignement catholique du territoire des îles Wallis-et-Futuna, des missions précédemment dévolues aux inspecteurs de l'enseignement primaire (cf. décision n° 95-2071, 15 décembre 1995, Sénat, Bas-Rhin, Rec. p. 254).

L'inéligibilité -qui est d'interprétation stricte- a donc été écartée (98-2570 du 19 novembre 1998, Wallis et Futuna, J.O. p.17610). La situation très originale de l'enseignement à Wallis et Futuna n'en donne pas moins matière à réflexion.

4) Campagne électorale

a) Si l'article L. 52-8 du code électoral, qui prohibe tout don aux candidats émanant de personnes publiques (autres que les formations politiques), n'est pas applicable aux élections sénatoriales, il n'en reste pas moins que les avantages consentis par les collectivités publiques à certains candidats peuvent entraîner une rupture d'égalité devant le suffrage et altérer la sincérité du scrutin. Ce n'était pas le cas dans l'espèce où a été affirmé ce principe (98-2566 du 10 novembre 1998, Polynésie française, J.O. p. 17115).

b) De même, si les dispositions de l'article L. 308 du code électoral (« Un décret en Conseil d'Etat fixe le nombre, les dimensions et les modalités d'envoi des circulaires et bulletins de vote que les candidats peuvent faire imprimer et envoyer aux membres du collège électoral ») et de l'article R. 155 du même code (« Chaque candidat ou chaque liste a droit à une circulaire.. ») n'interdisent pas aux candidats d'envoyer à leurs frais d'autres documents que la circulaire officielle aux électeurs, ces autres documents ne doivent pas comporter d'éléments nouveaux de polémique électorale auxquels ne pourraient répondre leurs adversaires et qui, en raison de l'écart des voix, altéreraient la sincérité du scrutin. Le Conseil a vérifié, en l'espèce, que l'envoi contesté n'encourait pas un tel reproche (98-2565 du 19 novembre 1998, Gers, J.O. p.17609).

c) Comme à l'accoutumée, il est répondu au grief tiré de la partialité d'un article publié par la presse écrite que celle-ci est libre de commenter la campagne électorale (même décision).

d) Par ailleurs, si constitue une irrégularité la présence, lors d'une réunion électorale, de trois personnes qui n'étaient pas au nombre de celles qui, en application des dispositions de l'article L. 306 du code électoral, peuvent seules assister à de telles réunions, cette irrégularité, compte tenu de la circonstance que l'élu a obtenu au premier tour de scrutin un nombre de voix très supérieur à la majorité des suffrages exprimés nécessaire à son élection, n'a pas été de nature à modifier les résultats du scrutin (98-2566 du 10 novembre 1998, Polynésie française, J.O. p.17115).

e) En vertu de l'article R 157 du code électoral, la commission de propagande est chargée « d'adresser, quatre jours au plus tard avant le scrutin, à tous les membres du collège électoral du département, titulaires ou suppléants, sous une même enveloppe fermée qui sera déposée à la poste et transportée en franchise, une circulaire accompagnée d'un bulletin de vote de chaque candidat ou de chaque liste de candidats ».

Le terme « adresser » a été interprété comme synonyme « d'envoyer » par la décision n° 98-2563 du 24 novembre 1998 (Haute-Garonne, J. O. p. 17861). Au grief tiré de ce qu'une partie des grands électeurs n'aurait reçu les documents électoraux que la veille du scrutin, il a été répondu que ceux-ci avaient été envoyés dans les délais légaux.

5) Enveloppes électorales et bulletins

a) Les enveloppes utilisées lors de l'élection organisée pour la désignation des deux sénateurs de l'Aude n'ont pas été frappées du timbre de la préfecture, contrairement aux prescriptions de l'art. R. 167 du code électoral. Toutefois, l'instruction montre que les enveloppes utilisées n'en étaient pas moins opaques et identiques.

En l'absence de manœuvre (celle-ci n'était pas même alléguée), une irrégularité aussi vénielle n'a pu altérer le résultat du scrutin. Le Conseil n'a, dans ces conditions, pas eu besoin de relever l'écart de voix, qui était au demeurant important (98-2569 du 19 novembre 1998, Aude, J.O. p. 17610).

b) De même, si l'article R.155 du code électoral dispose, dans les départements où le scrutin est majoritaire, que les bulletins doivent comporter, à la suite du nom du candidat, la mention « remplaçant éventuel », suivie du nom du remplaçant, la circonstance que, sur le bulletin de vote d'un candidat, le nom du remplaçant ait précédé et non suivi la mention « remplaçant éventuel » ne peut avoir eu d'incidence sur la sincérité du scrutin (98-2563 du 24 novembre 1998, Haute-Garonne, JO p. ). La même solution a été retenue pour les élections législatives (88-1030 du 21 juin 1988, AN, 2ème circ. de l'Oise, rec. p. 80). Qui plus est, l'annulation de tels bulletins par la commission de recensement vicierait le scrutin (même décision).

c) Le fait que l'intitulé des bulletins de la liste « d'union et d'alliance - Ensemble pour la Haute-Garonne » n'ait pas été identique à la dénomination de la liste « Ensemble pour la Haute-Garonne » figurant sur la liste des candidats publiée par le préfet n'est contraire à aucune disposition législative ou réglementaire et, en tout état de cause, n'a pu avoir pour effet d'altérer la sincérité du scrutin compte tenu de la proximité des deux intitulés(même décision).

d) Dans sa décision 98-2560 du 24 novembre 1998, Côtes d'Armor (J.O. p. 17860), le Conseil a confirmé, tout en lui apportant un tempérament, sa position antérieure (83-967/974, 30 novembre 1983, Sénat, Pyrénées-Orientales, Rec. p. 99) relative au maintien sur les tables de vote, lors du second tour de scrutin, de bulletins du premier tour : il appartient aux seuls candidats à une élection sénatoriale qui désirent, après le premier tour, se retirer ou se désister de faire enlever des tables les bulletins établis à leur nom. Sauf si elle est constitutive d'une manoeuvre, précise la décision 98-2560 (Côtes d'Armor), la présence, sur les tables de vote, de bulletins du premier tour de candidats qui auraient entendu renoncer à concourir pour le second tour ne vicie pas les opérations électorales.

e) Il a également rappelé que l'interdiction des candidatures multiples (L. 302 du code électoral) et celle de la présentation simultanée de la même personne en tant que candidat et remplaçant d'un autre candidat (art. L. 299) ne valent que pour chaque tour. Ces dispositions ne font donc pas obstacle à ce qu'un candidat du premier tour retire sa candidature au second tour et se présente à ce second tour en tant que remplaçant d'un autre candidat (98-2570 du 19 novembre 1998, Wallis et Futuna, J.O. p.17610).

Source : Services du Conseil constitutionnel