Décision n° 2023-852 DC du 20 juillet 2023
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais, sous le n° 2023-852 DC, le 21 juin 2023, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, MM. Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Mmes Alma DUFOUR, Karen ÉRODI, Martine ÉTIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mmes Sylvie FERRER, Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mmes Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Mmes Elise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Pascale MARTIN, Elisa MARTIN, MM. William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mmes Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Mmes Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, MM. Paul VANNIER, Léo WALTER, René PILATO, Mmes Cyrielle CHATELAIN, Christine ARRIGHI, Delphine BATHO, M. Julien BAYOU, Mme Lisa BELLUCO, MM. Karim BEN CHEIKH, Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, MM. Jérémie IORDANOFF, Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mmes Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, Sophie TAILLÉ-POLIAN et M. Nicolas THIERRY, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique les travaux de création d’une liaison à 2 × 2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, dans le département de la Haute-Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 4 juillet 2023 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais. Ils contestent la conformité à la Constitution de son article unique.
2. L’article unique de la loi déférée prévoit que les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019 mentionné ci-dessus, qui emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme de plusieurs communes situées dans le département de la Haute-Savoie en vue de la réalisation d’un projet d’autoroute déclaré d’utilité publique, « prévalent sur les dispositions contraires » du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020.
3. Les députés requérants soutiennent tout d’abord que ces dispositions, qui constitueraient la validation législative du décret du 24 décembre 2019, méconnaîtraient le principe de la séparation des pouvoirs et le droit à un recours juridictionnel effectif protégés par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dès lors que cette validation ne serait pas justifiée par un motif impérieux d’intérêt général.
4. Ils reprochent également à ces dispositions de faire échec à des procédures d’évaluation environnementale, en méconnaissance des articles 1er et 6 de la Charte de l’environnement et de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.
5. Ils soutiennent en outre que, faute d’avoir été précédées d’une consultation ou d’un avis de l’établissement public de coopération intercommunale intéressé, ces dispositions méconnaîtraient le principe de libre administration des collectivités territoriales.
6. En premier lieu, aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. En outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.
7. Le décret du 24 décembre 2019 a déclaré d’utilité publique les travaux de création d’une liaison autoroutière reliant les communes de Machilly à Thonon-les-Bains. Son article 6 emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes sur le territoire desquelles cette liaison doit être réalisée. Parmi ces communes figurent celles de Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully et Margencel, qui étaient alors membres de la communauté de communes du Bas-Chablais.
8. Par une délibération du 25 février 2020, la communauté d’agglomération Thonon agglomération, au sein de laquelle cette communauté de communes a été intégrée, a approuvé le plan local d’urbanisme intercommunal du Bas-Chablais sans que ce plan ne tire toutes les conséquences du projet autoroutier avec lequel les plans locaux d’urbanisme des communes précitées avaient été mis en compatibilité.
9. Il ressort des travaux parlementaires que, en faisant prévaloir les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019 sur les dispositions contraires du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas-Chablais, le législateur a entendu éviter que les dispositions de ce plan ne fassent obstacle à la poursuite des travaux déclarés d’utilité publique. À cette fin, les dispositions contestées privent d’effet les seules dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas-Chablais qui diffèrent de celles des plans locaux d’urbanisme des communes précitées ayant été mis en compatibilité.
10. Les dispositions contestées, qui s’appliquent à compter de l’entrée en vigueur de la loi déférée, n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier rétroactivement ou de valider le décret du 24 décembre 2019. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des conditions auxquelles sont subordonnées les validations législatives ne peut qu’être écarté comme inopérant.
11. En deuxième lieu, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les travaux déclarés d’utilité publique par le décret du 24 décembre 2019 du respect des règles et prescriptions protectrices de l’environnement auxquels ils sont soumis. Le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 6 de la Charte de l’environnement doit donc être écarté.
12. En dernier lieu, les établissements publics de coopération intercommunale ne constituent pas des collectivités territoriales au sens de l’article 72 de la Constitution. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut qu’être écarté comme inopérant.
13. Par conséquent, l’article unique de la loi déférée, qui ne méconnaît pas non plus les autres exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L’article unique de la loi visant à régulariser le plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Bas-Chablais est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 20 juillet 2023.
JORF n°0168 du 22 juillet 2023, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.852.DC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.9. Absence de validation législative
Le décret du 24 décembre 2019 a déclaré d’utilité publique les travaux de création d’une liaison autoroutière reliant les communes de Machilly à Thonon-les-Bains. Son article 6 emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme des communes sur le territoire desquelles cette liaison doit être réalisée. Parmi ces communes figurent celles de Bons–en–Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully et Margencel, qui étaient alors membres de la communauté de communes du Bas-Chablais. Par une délibération du 25 février 2020, la communauté d’agglomération Thonon agglomération, au sein de laquelle cette communauté de communes a été intégrée, a approuvé le plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais sans que ce plan ne tire toutes les conséquences du projet autoroutier avec lequel les plans locaux d’urbanisme des communes précitées avaient été mis en compatibilité. Il ressort des travaux parlementaires que, en faisant prévaloir les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019 sur les dispositions contraires du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais, le législateur a entendu éviter que les dispositions de ce plan ne fassent obstacle à la poursuite des travaux déclarés d’utilité publique. À cette fin, les dispositions contestées privent d’effet les seules dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais qui diffèrent de celles des plans locaux d’urbanisme des communes précitées ayant été mis en compatibilité. Les dispositions contestées, qui s’appliquent à compter de l’entrée en vigueur de la loi déférée, n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier rétroactivement ou de valider le décret du 24 décembre 2019. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des conditions auxquelles sont subordonnées les validations législatives ne peut qu’être écarté comme inopérant.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.11. ENVIRONNEMENT
4.11.1. Droit de vivre dans un environnement sain et vigilance environnementale
Saisi de dispositions prévoyant que les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019, qui emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme de plusieurs communes situées dans le département de la Haute-Savoie en vue de la réalisation d’un projet d’autoroute déclaré d’utilité publique, « prévalent sur les dispositions contraires » du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les travaux déclarés d’utilité publique par le décret du 24 décembre 2019 du respect des règles et prescriptions protectrices de l’environnement auxquels ils sont soumis. Rejet du grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 6 de la Charte de l’environnement.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.11. ENVIRONNEMENT
4.11.5. Promotion du développement durable
Saisi de dispositions prévoyant que les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019, qui emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme de plusieurs communes situées dans le département de la Haute-Savoie en vue de la réalisation d’un projet d’autoroute déclaré d’utilité publique, « prévalent sur les dispositions contraires » du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les travaux déclarés d’utilité publique par le décret du 24 décembre 2019 du respect des règles et prescriptions protectrices de l’environnement auxquels ils sont soumis. Rejet du grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 6 de la Charte de l’environnement.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.5. GRIEFS (contrôle a priori des lois - article 61 de la Constitution)
- 11.5.2. Griefs inopérants, manquant en fait, surabondants ou mal dirigés
11.5.2.1. Griefs inopérants (exemples)
Saisi de dispositions prévoyant que les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019, qui emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme de plusieurs communes situées dans le département de la Haute-Savoie en vue de la réalisation d’un projet d’autoroute déclaré d’utilité publique, « prévalent sur les dispositions contraires » du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées, qui s’appliquent à compter de l’entrée en vigueur de la loi déférée, n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier rétroactivement ou de valider le décret du 24 décembre 2019. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des conditions auxquelles sont subordonnées les validations législatives ne peut qu’être écarté comme inopérant.
Les établissements publics de coopération intercommunale ne constituent pas des collectivités territoriales au sens de l’article 72 de la Constitution. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut qu’être écarté comme inopérant.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.7. EXAMEN DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.7.2. Conditions de prise en compte d'éléments extrinsèques au texte de la loi
- 11.7.2.2. Référence aux travaux préparatoires
11.7.2.2.3. Référence aux travaux préparatoires de la loi déférée
Saisi de dispositions prévoyant que les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019, qui emporte mise en compatibilité des plans locaux d’urbanisme de plusieurs communes situées dans le département de la Haute-Savoie en vue de la réalisation d’un projet d’autoroute déclaré d’utilité publique, « prévalent sur les dispositions contraires » du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020, le Conseil constitutionnel s'appuie sur les travaux parlementaires pour déterminer l'intention du législateur. Il ressort des travaux parlementaires que, en faisant prévaloir les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019 sur les dispositions contraires du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais, le législateur a entendu éviter que les dispositions de ce plan ne fassent obstacle à la poursuite des travaux déclarés d’utilité publique. À cette fin, les dispositions contestées privent d’effet les seules dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas–Chablais qui diffèrent de celles des plans locaux d’urbanisme des communes précitées ayant été mis en compatibilité.
- 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
- 14.1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
14.1.3. Libre administration des collectivités territoriales
Les établissements publics de coopération intercommunale ne constituent pas des collectivités territoriales au sens de l’article 72 de la Constitution. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut qu’être écarté comme inopérant.