Décision n° 2023-6267 AN du 10 novembre 2023
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI les 25 et 27 avril 2023 d’une requête présentée par M. François FATOUX, inscrit sur la liste électorale consulaire de Casablanca, situé dans la 9e circonscription des Français établis hors de France, tendant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 2 et 16 avril 2023 en vue de la désignation d’un député à l’Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-6267 AN.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-5885 AN du 17 mars 2023 ;
- l’arrêté du 16 mars 2022 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l’article R. 176-3 du code électoral ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
- les mémoires en défense présentés pour M. Karim BEN CHEIKH, député, par Me Philippe Azouaou, avocat au barreau de Paris, enregistrés les 17 juillet, 4 et 20 septembre 2023 ;
- les observations présentées par la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, enregistrées le 17 juillet 2023 ;
- les observations présentées par M. Oumar BA, enregistrées le même jour ;
- le mémoire en réplique présenté par M. FATOUX, enregistré le 4 septembre 2023 ;
- la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du 18 septembre 2023 approuvant après réformation le compte de campagne de M. BEN CHEIKH ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu les parties et leurs conseils ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- Sur le grief relatif au déroulement du premier tour de scrutin :
1. Le requérant soutient que la participation au premier tour du scrutin de M. BA, candidat déclaré inéligible et qui a recueilli 468 voix, a constitué une irrégularité de nature à fausser le résultat de l’élection, dès lors qu’il serait impossible de connaître avec certitude le choix qu’aurait exprimé la majorité des électeurs s’il n’avait pas concouru.
2. Conformément à l’article L.O. 127 du code électoral, les conditions pour être élu à l’Assemblée nationale s’apprécient à la date du premier tour de scrutin.
3. Dans sa décision du 17 mars 2023 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a déclaré M. BA inéligible pour une durée de trois ans en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral. Dès lors, inéligible à la date du premier tour de scrutin, M. BA ne pouvait pas participer en tant que candidat à ce scrutin.
4. M. BEN CHEIKH, candidat élu au second tour, est arrivé en tête à l’issue du premier tour de scrutin avec 5 291 voix, devant Mme Caroline TRAVERSE, qui en a recueilli 1 996, et M. M’jid EL GUERRAB, qui en a recueilli 1 884. L’irrégularité constatée est de nature à avoir affecté les résultats du premier tour par une modification de l’ordre de classement des candidats.
5. Il résulte toutefois de l’instruction que, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la répartition des suffrages au premier tour du scrutin et eu égard au très important écart de voix qui séparait, à l’issue du second tour du scrutin, M. BEN CHEIKH, qui a obtenu 8 059 voix, de Mme TRAVERSE, qui en a obtenu 3 853, cette irrégularité, pour regrettable qu’elle soit, ne peut être regardée comme de nature à avoir pu exercer une influence déterminante sur le résultat de l’élection.
- Sur le grief relatif au vote électronique :
6. En application de l’article L. 330-13 du code électoral applicable à l’élection des députés par les Français établis hors de France, les électeurs votent dans les bureaux ouverts en application de l’article L. 330-13 du même code et « peuvent également, par dérogation à l’article L. 54, voter par correspondance … par voie électronique au moyen de matériels et de logiciels permettant de respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin », selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. L’article R. 176-3-7 dispose que l’identité de l’électeur votant par voie électronique est attestée par un identifiant associé à un mot de passe, créés de manière aléatoire et transmis séparément à l’électeur, au plus tard avant le début de la période de vote, par des modes d’acheminement différents. En vertu de l’article 4 de l’arrêté du 16 mars 2022 mentionné ci-dessus, cette transmission à l’électeur de l’identifiant s’opère par courrier électronique et celle du mot de passe par message texte sur son téléphone mobile, respectivement à l’adresse courriel et au numéro de téléphone communiqués à cette fin. Enfin, en vertu de l’article R. 176-3-9 du code électoral, « pour voter par voie électronique, l’électeur, après s’être connecté au système de vote et identifié à l’aide de l’identifiant et du mot de passe prévus à l’article R. 176-3-7, exprime puis valide son vote au moyen d’un code de confirmation ». Ce code de confirmation lui est, conformément à l’article 4 de l’arrêté du 16 mars 2022, communiqué par voie électronique, à la même adresse électronique que celle utilisée pour la transmission de l’identifiant.
7. Le requérant soutient que des dysfonctionnements dans l’organisation des opérations de vote par voie électronique, notamment dans la délivrance par les opérateurs de téléphonie des messages contenant les mots de passe, ont empêché plusieurs milliers d’électeurs de prendre part au vote, en particulier en Tunisie. Ces dysfonctionnements auraient ainsi porté atteinte à la sincérité du scrutin.
8. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction, et notamment du procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au second tour du scrutin, que les difficultés de délivrance de mots de passe par messages textes sur téléphone qu’il mentionne ont concerné un nombre significatif d’électeurs, que ce soit dans l’ensemble de la circonscription ou, plus spécifiquement, en Tunisie. Ces difficultés n’ont ainsi pas été susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin eu égard à l’écart des voix entre les candidats.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance des règles relatives au financement de la campagne électorale de M. BEN CHEIKH :
9. Le requérant invoque de possibles irrégularités liées aux dépenses électorales du candidat, soutenant qu’une dépense a été exposée avant la parution du décret de convocation des électeurs et que des soutiens sous forme de réceptions, vidéos et voyages auraient été apportés au candidat sans que leur coût soit mentionné sur son compte de campagne.
10. Toutefois, d’une part, l’ensemble des griefs soulevés par le requérant, à l’exception de celui concernant la tenue de réceptions qui auraient été organisées en soutien à M. BEN CHEIKH, ont été traités et écartés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans sa décision du 20 septembre 2023 mentionnée ci-dessus, dont les termes ne sont pas contestés par le requérant. En outre, l’affirmation selon laquelle trois associations auraient organisé des réceptions au bénéfice du candidat n’est assortie devant le Conseil constitutionnel d’aucun élément probant.
11. D’autre part, si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a retenu qu’une somme globale évaluée à 1 200 euros, correspondant au concours de personnes physiques pour la campagne du candidat, aurait dû être inscrite au compte, et que cinq dépenses inscrites au compte pour un montant global de 256 euros n’étaient appuyées par aucune pièce justificative, et a, pour ces motifs, réformé le compte de campagne du candidat élu, ces manquements ne sont pas de nature à avoir eu une influence sur les résultats du scrutin eu égard à la nature des irrégularités constatées et au montant des sommes en cause.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La requête de M. François FATOUX est rejetée.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 novembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 10 novembre 2023.
JORF n°0263 du 14 novembre 2023, texte n° 66
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.6267.AN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.2. Candidatures
- 8.3.2.1. Conditions d'éligibilité
8.3.2.1.13. Inéligibilité prononcée par le Conseil constitutionnel
Dans sa décision n° 2022-5885 AN du 17 mars 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré l'un des candidats au scrutin inéligible pour une durée de trois ans en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral. Dès lors, inéligible à la date du premier tour de scrutin, ce candidat ne pouvait pas participer en tant que candidat à ce scrutin. M. B, le candidat élu au second tour est arrivé en tête à l’issue du premier tour de scrutin avec 5 291 voix, devant Mme Caroline T., qui en a recueilli 1 996, et M. M’jid E., qui en a recueilli 1 884. L’irrégularité constatée est de nature à avoir affecté les résultats du premier tour par une modification de l’ordre de classement des candidats. Il résulte toutefois de l’instruction que, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la répartition des suffrages au premier tour du scrutin et eu égard au très important écart de voix qui séparait, à l’issue du second tour du scrutin, M. B. qui a obtenu 8 059 voix, de Mme T., qui en a obtenu 3 853, cette irrégularité, pour regrettable qu’elle soit, ne peut être regardée comme de nature à avoir pu exercer une influence déterminante sur le résultat de l’élection.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.5. Financement
- 8.3.5.7. Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques
8.3.5.7.5. Irrégularités insusceptibles de justifier le rejet du compte
Le requérant invoque de possibles irrégularités liées aux dépenses électorales du candidat, soutenant qu’une dépense a été exposée avant la parution du décret de convocation des électeurs et que des soutiens sous forme de réceptions, vidéos et voyages auraient été apportés au candidat sans que leur coût soit mentionné sur son compte de campagne. D'une part, l’ensemble des griefs soulevés par le requérant, à l’exception de celui concernant la tenue de réceptions qui auraient été organisées en soutien au candidat élu, ont été traités et écartés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans sa décision du 20 septembre 2023 mentionnée ci-dessus, dont les termes ne sont pas contestés par le requérant. En outre, l’affirmation selon laquelle trois associations auraient organisé des réceptions au bénéfice du candidat n’est assortie devant le Conseil constitutionnel d’aucun élément probant. D’autre part, si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a retenu qu’une somme globale évaluée à 1 200 euros, correspondant au concours de personnes physiques pour la campagne du candidat, aurait dû être inscrite au compte, et que cinq dépenses inscrites au compte pour un montant global de 256 euros n’étaient appuyées par aucune pièce justificative, et a, pour ces motifs, réformé le compte de campagne du candidat élu, ces manquements ne sont pas de nature à avoir eu une influence sur les résultats du scrutin eu égard à la nature des irrégularités constatées et au montant des sommes en cause.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.6. Opérations électorales
8.3.6.7. Vote électronique dans les circonscriptions des Français établis hors de France
Il ne résulte pas de l’instruction, et notamment du procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au second tour du scrutin, que les difficultés de délivrance de mots de passe par messages textes sur téléphone qu’il mentionne ont concerné un nombre significatif d’électeurs, que ce soit dans l’ensemble de la circonscription ou, plus spécifiquement, en Tunisie. Ces difficultés n’ont ainsi pas été susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin eu égard à l’écart des voix entre les candidats.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
- 8.3.11.1. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat
- 8.3.11.1.5. Irrégularités qui ne modifient pas le résultat en raison des circonstances particulières de l'élection
8.3.11.1.5.2. Candidatures
Dans sa décision n° 2022-5885 AN du 17 mars 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré l'un des candidats au scrutin inéligible pour une durée de trois ans en application de l’article L.O. 136-1 du code électoral. Dès lors, inéligible à la date du premier tour de scrutin, ce candidat ne pouvait pas participer en tant que candidat à ce scrutin. M. B, le candidat élu au second tour est arrivé en tête à l’issue du premier tour de scrutin avec 5 291 voix, devant Mme Caroline T., qui en a recueilli 1 996, et M. M’jid E., qui en a recueilli 1 884. L’irrégularité constatée est de nature à avoir affecté les résultats du premier tour par une modification de l’ordre de classement des candidats. Il résulte toutefois de l’instruction que, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la répartition des suffrages au premier tour du scrutin et eu égard au très important écart de voix qui séparait, à l’issue du second tour du scrutin, M. B. qui a obtenu 8 059 voix, de Mme T., qui en a obtenu 3 853, cette irrégularité, pour regrettable qu’elle soit, ne peut être regardée comme de nature à avoir pu exercer une influence déterminante sur le résultat de l’élection.