Décision

Décision n° 2023-1053 QPC du 9 juin 2023

M. Frédéric L. [Interdiction de la filiation entre l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation et le tiers donneur]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 avril 2023 par le Conseil d’État (décision n° 467776 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Frédéric L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1053 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 342-9 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code civil ;
  • le code de la santé publique ;
  • la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SARL Corlay, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 avril 2023 ;
  • les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
  • les observations en intervention présentées par l’association Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles, enregistrées le même jour ;
  • les observations en intervention présentées par l’association Mam’ensolo, enregistrées le même jour ;
  • les observations en intervention présentées par Mme Audrey F. et l’association Origines, enregistrées le même jour ;
  • les secondes observations présentées pour le requérant par la SARL Corlay, enregistrées le 12 mai 2023 ;
  • les secondes observations en intervention présentées pour l’association Mam’ensolo par Me Mariama Soiby, avocate au barreau de l’Essonne, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Pauline Rémy-Corlay, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Soiby, pour les parties intervenantes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 30 mai 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 342-9 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« En cas d’assistance médicale à la procréation nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation.
« Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions de faire obstacle à l’établissement de toute filiation, y compris adoptive, entre l’enfant issu de l’assistance médicale à la procréation et le tiers donneur. Il en résulterait une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l’article 342-9 du code civil.

4. En vertu de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant … L’état et la capacité des personnes ». À ce titre, il appartient au législateur de déterminer les règles relatives à l’établissement des liens de filiation, notamment en cas d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. L’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit.

5. Le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

6. Le code civil comprend, au sein de son livre Ier, un titre VII relatif à la filiation et un titre VIII relatif à la filiation adoptive. Le chapitre V du titre VII fixe les règles relatives à la filiation en cas de recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, qui a pour objet, en application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, de permettre à des couples ou à une femme non mariée de réaliser un projet parental.

7. À ce titre, les dispositions contestées de l’article 342-9 du code civil prévoient qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre le tiers donneur et l’enfant issu de son don.

8. En premier lieu, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit, pour le tiers donneur, à l’établissement, selon l’un des modes prévus au titre VII du livre Ier du code civil, d’un lien de filiation avec l’enfant issu de son don.

9.  Ainsi, le législateur, qui a entendu préserver la filiation entre l’enfant et le couple ou la femme qui a eu recours à l’assistance médicale à la procréation, a pu interdire l’établissement d’un tel lien entre cet enfant et le tiers donneur.

10.  En second lieu, si le Conseil constitutionnel peut être saisi par tout justiciable de la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, en l’absence d’une telle interprétation, il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité.

11. En l’espèce, aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l’état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d’établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don. Au demeurant, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le tiers donneur à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec l’enfant issu de son don. Par suite, quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées comme interdisant l’établissement d’un tel lien de filiation, elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit de mener une vie familiale normale.

13. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le premier alinéa de l’article 342-9 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 9 juin 2023.
 

JORF n°0133 du 10 juin 2023, texte n° 65
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.1053.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.6. DROIT DE MENER UNE VIE FAMILIALE NORMALE
  • 4.6.2. Portée du principe

Le Conseil est saisi de dispositions interdisant l'établissement d'un lien de filiation entre un tiers donneur et l'enfant né du don dans le cadre de l'aide médicale à la procréation. Le code civil comprend, au sein de son livre Ier, un titre VII relatif à la filiation et un titre VIII relatif à la filiation adoptive. Le chapitre V du titre VII fixe les règles relatives à la filiation en cas de recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, qui a pour objet, en application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, de permettre à des couples ou à une femme non mariée de réaliser un projet parental. À ce titre, les dispositions contestées de l’article 342-9 du code civil prévoient qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre le tiers donneur et l’enfant issu de son don. En premier lieu, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit, pour le tiers donneur, à l’établissement, selon l’un des modes prévus au titre VII du livre Ier du code civil, d’un lien de filiation avec l’enfant issu de son don. Ainsi, le législateur, qui a entendu préserver la filiation entre l’enfant et le couple ou la femme qui a eu recours à l’assistance médicale à la procréation, a pu interdire l’établissement d’un tel lien entre cet enfant et le tiers donneur. En second lieu, si le Conseil constitutionnel peut être saisi par tout justiciable de la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, en l’absence d’une telle interprétation, il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité. En l’espèce, aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l’état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d’établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don. Au demeurant, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le tiers donneur à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec l’enfant issu de son don. Par suite, quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées comme interdisant l’établissement d’un tel lien de filiation, elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit de mener une vie familiale normale.

(2023-1053 QPC, 09 juin 2023, cons. 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, JORF n°0133 du 10 juin 2023, texte n° 65)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.10. AUTRES DROITS ET PRINCIPES SOCIAUX
  • 4.10.4. Principe de protection de la famille (alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946)
  • 4.10.4.2. Conditions de développement de la famille

Le Conseil est saisi de dispositions interdisant l'établissement d'un lien de filiation entre un tiers donneur et l'enfant né du don dans le cadre de l'aide médicale à la procréation. Le code civil comprend, au sein de son livre Ier, un titre VII relatif à la filiation et un titre VIII relatif à la filiation adoptive. Le chapitre V du titre VII fixe les règles relatives à la filiation en cas de recours à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, qui a pour objet, en application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, de permettre à des couples ou à une femme non mariée de réaliser un projet parental. À ce titre, les dispositions contestées de l’article 342-9 du code civil prévoient qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre le tiers donneur et l’enfant issu de son don. En premier lieu, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit, pour le tiers donneur, à l’établissement, selon l’un des modes prévus au titre VII du livre Ier du code civil, d’un lien de filiation avec l’enfant issu de son don. Ainsi, le législateur, qui a entendu préserver la filiation entre l’enfant et le couple ou la femme qui a eu recours à l’assistance médicale à la procréation, a pu interdire l’établissement d’un tel lien entre cet enfant et le tiers donneur. En second lieu, si le Conseil constitutionnel peut être saisi par tout justiciable de la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, en l’absence d’une telle interprétation, il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité. En l’espèce, aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l’état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d’établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don. Au demeurant, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le tiers donneur à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec l’enfant issu de son don. Par suite, quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées comme interdisant l’établissement d’un tel lien de filiation, elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit de mener une vie familiale normale.

(2023-1053 QPC, 09 juin 2023, cons. 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, JORF n°0133 du 10 juin 2023, texte n° 65)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.3. CHAMP D'APPLICATION DU CONTRÔLE DE CONFORMITÉ À LA CONSTITUTION
  • 11.3.1. Incompétence du Conseil constitutionnel
  • 11.3.1.8. Demande en interprétation de la loi

Saisi de dispositions interdisant l'établissement d'un lien de filiation entre un tiers donneur et l'enfant né du don dans le cadre de l'aide médicale à la procréation, le Conseil constitutionnel juge que, s'il peut être saisi par tout justiciable de la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, en l’absence d’une telle interprétation, il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité. En l’espèce, aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l’état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d’établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don. Au demeurant, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le tiers donneur à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec l’enfant issu de son don. Par suite, quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées comme interdisant l’établissement d’un tel lien de filiation, elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale.

(2023-1053 QPC, 09 juin 2023, cons. 10, 11, JORF n°0133 du 10 juin 2023, texte n° 65)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.4. Grief manquant en fait

Saisi de dispositions interdisant l'établissement d'un lien de filiation entre un tiers donneur et l'enfant né du don dans le cadre de l'aide médicale à la procréation, le Conseil constitutionnel juge que, s'il peut être saisi par tout justiciable de la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, en l’absence d’une telle interprétation, il ne lui appartient de procéder lui-même à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où elle est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité. En l’espèce, aucune interprétation jurisprudentielle constante ne confère, en l’état, aux dispositions contestées une portée qui exclurait la possibilité, pour le tiers donneur, d’établir un lien de filiation adoptive avec une personne issue de son don. Au demeurant, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le tiers donneur à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec l’enfant issu de son don. Par suite, quand bien même les dispositions contestées seraient interprétées comme interdisant l’établissement d’un tel lien de filiation, elles ne méconnaîtraient pas le droit de mener une vie familiale normale.

(2023-1053 QPC, 09 juin 2023, cons. 10, 11, JORF n°0133 du 10 juin 2023, texte n° 65)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

(2023-1053 QPC, 09 juin 2023, cons. 3, JORF n°0133 du 10 juin 2023, texte n° 65)
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