Décision

Décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023

M. Patrick R. [Exonération d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 novembre 2022 par le Conseil d’État (décision n° 467518 du 16 novembre 2022), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Patrick R. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1033 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du 6 ° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code général des impôts ;
  • la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 7 décembre 2022 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 17 janvier 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le 6 ° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2019 mentionnée ci-dessus, exonère partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités versées à un salarié à l’occasion de la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Son dernier alinéa prévoit : « Le présent 6 ° est applicable aux indemnités spécifiques de rupture conventionnelle versées en application des I et III de l’article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ».
 

2. Le requérant reproche à ces dispositions de limiter le bénéfice de l’exonération des indemnités perçues par les agents publics à raison de la rupture de la relation de travail aux seules indemnités de rupture conventionnelle. Elles institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée, d’une part, entre les agents publics, selon que la cessation de leurs fonctions résulte d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement et, d’autre part, entre les agents publics et les salariés qui bénéficient quant à eux d’une exonération de leurs indemnités de licenciement. Il en résulterait, selon lui, une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

3. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

4. Le 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts prévoit que l’indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable à l’impôt sur le revenu et fixe la liste des exceptions à cette règle.

5. Les dispositions contestées prévoient à ce titre que bénéficient d’une exonération partielle les indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les fonctionnaires et les agents publics recrutés par contrat à durée indéterminée. En revanche, les indemnités perçues par les agents publics à l’occasion d’un licenciement ne bénéficient d’aucune exonération.

6. Il en résulte une différence de traitement, d’une part, entre les agents publics selon qu’ils perçoivent une indemnité de rupture conventionnelle ou de licenciement et, d’autre part, en cas de licenciement, entre les agents publics et les salariés dès lors que seules les indemnités perçues par ces derniers bénéficient d’une exonération partielle.

7. En premier lieu, en exonérant partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les agents publics, le législateur a entendu favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé.

8. Les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement.

9. Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.

10. En second lieu, le législateur a défini les indemnités qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération. Les salariés du secteur privé et les agents publics étant, au regard des règles de licenciement, soumis à des régimes juridiques différents, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, réserver le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement perçues par les seuls salariés.

11. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant les charges publiques ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le dernier alinéa du 6 ° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 janvier 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS. 
 
Rendu public le 27 janvier 2023.
 

JORF n°0024 du 28 janvier 2023, texte n° 35
ECLI : FR : CC : 2023 : 2022.1033.QPC

Les abstracts

  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.4. Respect du principe d'égalité : différence de traitement justifiée par une différence de situation
  • 5.1.4.3. Droit administratif

Le Conseil est saisi de dispositions qui fixent le régime fiscal des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics. Le 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts prévoit que l’indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable à l’impôt sur le revenu et fixe la liste des exceptions à cette règle. Les dispositions contestées prévoient à ce titre que bénéficient d’une exonération partielle les indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les fonctionnaires et les agents publics recrutés par contrat à durée indéterminée. En revanche, les indemnités perçues par les agents publics à l’occasion d’un licenciement ne bénéficient d’aucune exonération. Il en résulte une différence de traitement, d’une part, entre les agents publics selon qu’ils perçoivent une indemnité de rupture conventionnelle ou de licenciement et, d’autre part, en cas de licenciement, entre les agents publics et les salariés dès lors que seules les indemnités perçues par ces derniers bénéficient d’une exonération partielle.
En premier lieu, en exonérant partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les agents publics, le législateur a entendu favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé. Les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement. Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.
En second lieu, le législateur a défini les indemnités qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération. Les salariés du secteur privé et les agents publics étant, au regard des règles de licenciement, soumis à des régimes juridiques différents, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, réserver le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement perçues par les seuls salariés.

(2022-1033 QPC, 27 janvier 2023, cons. 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, JORF n°0024 du 28 janvier 2023, texte n° 35)
  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.4. Respect du principe d'égalité : différence de traitement justifiée par une différence de situation
  • 5.1.4.8. Droit fiscal

Le Conseil est saisi de dispositions qui fixent le régime fiscal des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics. Le 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts prévoit que l’indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable à l’impôt sur le revenu et fixe la liste des exceptions à cette règle. Les dispositions contestées prévoient à ce titre que bénéficient d’une exonération partielle les indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les fonctionnaires et les agents publics recrutés par contrat à durée indéterminée. En revanche, les indemnités perçues par les agents publics à l’occasion d’un licenciement ne bénéficient d’aucune exonération. Il en résulte une différence de traitement, d’une part, entre les agents publics selon qu’ils perçoivent une indemnité de rupture conventionnelle ou de licenciement et, d’autre part, en cas de licenciement, entre les agents publics et les salariés dès lors que seules les indemnités perçues par ces derniers bénéficient d’une exonération partielle.
En premier lieu, en exonérant partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les agents publics, le législateur a entendu favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé. Les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement. Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi.
En second lieu, le législateur a défini les indemnités qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération. Les salariés du secteur privé et les agents publics étant, au regard des règles de licenciement, soumis à des régimes juridiques différents, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, réserver le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement perçues par les seuls salariés.

(2022-1033 QPC, 27 janvier 2023, cons. 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0024 du 28 janvier 2023, texte n° 35)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi CE, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
Toutes les décisions