Décision n° 2022-995 QPC du 25 mai 2022
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 mars 2022 par le Conseil d'État (décision n° 454827 du même jour) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la commune de Nice par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-995 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1401 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat de copropriétaires de la résidence Agora, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Henri-Charles Lambert, avocat au barreau de Nice, enregistrées le 5 avril 2022 ;
- les observations présentées pour la commune requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 6 avril 2022 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 avril 2022 ;
- les secondes observations présentées pour la commune requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 21 avril 2022 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la commune requérante, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 17 mai 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 1401 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 27 mai 2013 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 1401 du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit : « Les contribuables ne peuvent s'affranchir de l'imposition à laquelle les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux doivent être soumis, que s'il est renoncé à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées.
« La déclaration détaillée de cet abandon perpétuel est faite par écrit, à la mairie de la commune, par le propriétaire ou par un fondé de pouvoir spécial.
« Les cotisations des terrains ainsi abandonnés comprises dans les rôles établis antérieurement à l'abandon restent à la charge du contribuable imposé.
« Pour les rôles postérieurs, la taxe foncière est supportée par la commune.
« Le paiement de la taxe foncière afférente aux marais et terres vaines et vagues qui n'ont aucun propriétaire particulier ainsi qu'aux terrains connus sous le nom de biens communaux, incombe à la commune tant qu'ils ne sont point partagés.
« La taxe due pour des terrains qui ne sont communs qu'à certaines portions des habitants d'une commune est acquittée par la section de commune ».
3. La commune requérante considère que ces dispositions, en permettant au propriétaire d'un terrain de l'abandonner à la commune sur le territoire de laquelle il se situe dans le but de s'affranchir de la taxe foncière et de se décharger de son entretien, sans que celle-ci ne puisse s'y opposer, porteraient atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, au droit de propriété de la commune ainsi qu'à l'objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics. Au soutien de ces griefs, elle fait valoir que ces dispositions ne poursuivraient aucun motif d'intérêt général et qu'elles ne définiraient pas de manière suffisamment précise les conséquences pouvant résulter de ce transfert de propriété pour la commune.
4. La commune requérante reproche également à ces dispositions d'accorder un avantage fiscal aux seuls propriétaires de terrains improductifs, sans en faire bénéficier d'autres propriétaires, en particulier ceux d'immeubles menaçant ruine ou en état de péril. Elles seraient ainsi contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les quatre premiers alinéas de l'article 1401 du code général des impôts.
6. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En l'absence de privation de propriété au sens de l'article 17, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
7. Les dispositions contestées permettent au propriétaire de certains terrains de s'affranchir de la taxe foncière en renonçant, par une déclaration écrite, à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées. Cet abandon n'est pas subordonné à l'acceptation par la commune.
8. En imposant ainsi à la commune de devenir propriétaire de ces terrains, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.
9. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que des terrains improductifs et délaissés par leur propriétaire puissent, en entrant dans le patrimoine de la commune, trouver un usage conforme à l'intérêt de la collectivité. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
10. En second lieu, ces dispositions ne s'appliquent, sous le contrôle du juge, qu'aux terres vaines et vagues, aux landes et bruyères ou aux terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux. En outre, selon une jurisprudence constante du Conseil d'État, parmi ces terrains, seuls ceux qui ne comportent aucun aménagement particulier de nature à les rendre propres à un usage agricole, industriel, commercial ou à des fins d'habitation, peuvent faire l'objet d'un transfert de propriété à la commune. Les autorités communales sont tenues de s'opposer à l'abandon de terrains qui n'entreraient pas dans le champ ainsi défini.
11. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit donc être écarté.
12. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni les principes d'égalité devant loi et devant les charges publiques, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les quatre premiers alinéas de l'article 1401 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 mai 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 25 mai 2022.
JORF n°0122 du 26 mai 2022, texte n° 65
ECLI : FR : CC : 2022 : 2022.995.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.7. DROIT DE PROPRIÉTÉ
- 4.7.2. Champ d'application de la protection du droit de propriété
4.7.2.1. Titulaires du droit de propriété
Le Conseil était saisi de dispositions permettant à des propriétaires d'adandonner certains terrains à la commune sur laquelle ils étaient situés. Les dispositions contestées permettent au propriétaire de certains terrains de s'affranchir de la taxe foncière en renonçant, par une déclaration écrite, à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées. Cet abandon n'est pas subordonné à l'acceptation par la commune. En imposant ainsi à la commune de devenir propriétaire de ces terrains, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.
Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que des terrains improductifs et délaissés par leur propriétaire puissent, en entrant dans le patrimoine de la commune, trouver un usage conforme à l'intérêt de la collectivité. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.En second lieu, ces dispositions ne s'appliquent, sous le contrôle du juge, qu'aux terres vaines et vagues, aux landes et bruyères ou aux terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux. En outre, selon une jurisprudence constante du Conseil d'État, parmi ces terrains, seuls ceux qui ne comportent aucun aménagement particulier de nature à les rendre propres à un usage agricole, industriel, commercial ou à des fins d'habitation, peuvent faire l'objet d'un transfert de propriété à la commune. Les autorités communales sont tenues de s'opposer à l'abandon de terrains qui n'entreraient pas dans le champ ainsi défini. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit donc être écarté.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.7. DROIT DE PROPRIÉTÉ
- 4.7.5. Contrôle des atteintes à l'exercice du droit de propriété
4.7.5.1. Principe de conciliation avec des objectifs d'intérêt général
Les dispositions contestées permettent au propriétaire de certains terrains de s'affranchir de la taxe foncière en renonçant, par une déclaration écrite, à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées. Cet abandon n'est pas subordonné à l'acceptation par la commune.
En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que des terrains improductifs et délaissés par leur propriétaire puissent, en entrant dans le patrimoine de la commune, trouver un usage conforme à l'intérêt de la collectivité. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.7. DROIT DE PROPRIÉTÉ
- 4.7.5. Contrôle des atteintes à l'exercice du droit de propriété
4.7.5.3. Atteinte au droit de propriété non contraire à la Constitution
Le Conseil était saisi de dispositions permettant à des propriétaires d'adandonner certains terrains à la commune sur laquelle ils étaient situés. Les dispositions contestées permettent au propriétaire de certains terrains de s'affranchir de la taxe foncière en renonçant, par une déclaration écrite, à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées. Cet abandon n'est pas subordonné à l'acceptation par la commune. En imposant ainsi à la commune de devenir propriétaire de ces terrains, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.
Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que des terrains improductifs et délaissés par leur propriétaire puissent, en entrant dans le patrimoine de la commune, trouver un usage conforme à l'intérêt de la collectivité. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.En second lieu, ces dispositions ne s'appliquent, sous le contrôle du juge, qu'aux terres vaines et vagues, aux landes et bruyères ou aux terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux. En outre, selon une jurisprudence constante du Conseil d'État, parmi ces terrains, seuls ceux qui ne comportent aucun aménagement particulier de nature à les rendre propres à un usage agricole, industriel, commercial ou à des fins d'habitation, peuvent faire l'objet d'un transfert de propriété à la commune. Les autorités communales sont tenues de s'opposer à l'abandon de terrains qui n'entreraient pas dans le champ ainsi défini. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit donc être écarté.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.2. Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel
- 11.6.2.1. Notion de disposition législative et interprétation
11.6.2.1.2. Caractère législatif des dispositions
Les dispositions renvoyées sont à l'origine issues d'une loi adoptée sous la Ire République (loi du 3 frimaire an VII), sous le Directoire. Leur intégration dans le CGI en 1950 est intervenue par décret , comme ensuite leur déplacement à l'article 1401 du même code en 1979, mais cette codification n'ayant modifié ni l'objet ni la portée de ce dispositif, elles conservent bien un caractère législatif. (solution implicite)
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.2. Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La rédaction de la disposition renvoyée n'ayant pas été déterminée, le Conseil constitutionnel y procède en déterminant la rédaction applicable au litige.