Décision n° 2022-840 DC du 30 juillet 2022
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19, sous le n° 2022-840 DC, le 27 juillet 2022, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, MM. Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Mmes Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ÉTIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mmes Sylvie FERRER, Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mmes Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Mmes Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Pascale MARTIN, Élisa MARTIN, MM. William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mmes Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Mmes Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, MM. Paul VANNIER, Léo WALTER, Moetai BROTHERSON, Jean-Victor CASTOR, Steve CHAILLOUX, Mmes Emeline K BIDI, Karine LEBON, MM. Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Marcellin NADEAU, Davy RIMANE, Jiovanny WILLIAM, Mme Soumya BOUROUAHA, MM. André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Yannick MONNET, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, Jean-Marc TELLIER et Hubert WULFRANC, députés.
Le 27 juillet 2022, la Première ministre a demandé au Conseil constitutionnel de statuer selon la procédure d'urgence prévue au troisième alinéa de l'article 61 de la Constitution.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 28 juillet 2022 ;
Après avoir entendu les députés représentant les auteurs de la saisine ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19. Ils contestent la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 3.
- Sur certaines dispositions de l'article 3 :
2. Les paragraphes I et II de l'article 3 de la loi déférée permettent au Premier ministre, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, de réglementer les déplacements à destination du « territoire national » en provenance de pays étrangers ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution et les déplacements à destination de ces mêmes collectivités.
3. Les députés requérants font valoir que l'emploi des termes « territoire national » au paragraphe I de l'article 3 serait erroné, qu'il exclurait les collectivités d'outre-mer et ne viserait que le territoire hexagonal. Il en résulterait une méconnaissance du principe de clarté de la loi et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
4. Ils reprochent également à ces dispositions de permettre au Premier ministre de réglementer les déplacements en provenance des collectivités d'outre-mer et à destination du territoire hexagonal en cas d'apparition d'un nouveau variant sur le territoire de ces collectivités sans prévoir cette même possibilité pour les déplacements vers ces collectivités en cas d'apparition d'un nouveau variant sur le territoire hexagonal. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée selon le lieu d'origine du déplacement.
5. En premier lieu, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.
6. Le paragraphe I de l'article 3 permet au Premier ministre d'imposer aux personnes âgées d'au moins douze ans qui souhaitent se déplacer à destination du « territoire national » en provenance de pays étrangers ou d'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution affectés par l'apparition et la circulation d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19.
7. En employant les termes de « territoire national », qui désignent le territoire hexagonal, la Corse et les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution et qui ne sont ainsi ni imprécis ni équivoques, les dispositions contestées permettent au Premier ministre de réglementer les déplacements en provenance d'une collectivité d'outre-mer vers une autre de ces collectivités ou vers une autre partie du territoire national. Le grief tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité doit donc être écarté.
8. En second lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
9. Si les dispositions contestées du paragraphe I de l'article 3 ne prévoient pas la possibilité pour le Premier ministre d'imposer la présentation d'un résultat de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 aux personnes souhaitant se déplacer à destination des collectivités d'outre-mer en provenance du territoire métropolitain en cas d'apparition et de circulation, sur ce territoire, d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave, toutefois, le paragraphe II de cet article permet au Premier ministre d'imposer cette mesure aux personnes souhaitant se déplacer à destination de l'une des collectivités d'outre-mer en cas de risque de saturation du système de santé de l'une de ces collectivités. Or, l'apparition et la circulation, sur le territoire métropolitain, d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave est nécessairement de nature à caractériser un tel risque.
10. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne peut qu'être écarté.
11. Par conséquent, le premier alinéa du paragraphe I de l'article 3, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
12. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 3 de la loi mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19 est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 juillet 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 30 juillet 2022.
JORF n°0176 du 31 juillet 2022, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2022 : 2022.840.DC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
En réponse au grief des députés requérants dénonçant la différence de traitement injustifiée résultant des dispositions contestées du fait de la possibilité prévue par les dispositions contestées, pour le Premier ministre, de réglementer les déplacements en provenance des collectivités d'outre-mer et à destination du territoire hexagonal en cas d'apparition d'un nouveau variant sur le territoire de ces collectivités, sans qu'elles aient prévu cette même possibilité pour les déplacements vers ces collectivités en cas d'apparition d'un nouveau variant sur le territoire hexagonal, le Conseil constitutionnel juge que le paragraphe II de l'article 3 de la loi déférée permet au Premier ministre d'imposer cette mesure de réglementation des déplacements aux personnes souhaitant se déplacer à destination de l'une des collectivités d'outre-mer en cas de risque de saturation du système de santé de l'une de ces collectivités. Or, l'apparition et la circulation, sur le territoire métropolitain, d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave est nécessairement de nature à caractériser un tel risque. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne peut qu'être écarté.
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.10. Qualité de la loi
10.3.10.3. Objectif d'accessibilité et d'intelligibilité (voir également ci-dessus Principe de clarté de la loi)
Le paragraphe I de l'article 3 permet au Premier ministre d'imposer aux personnes âgées d'au moins douze ans qui souhaitent se déplacer à destination du « territoire national » en provenance de pays étrangers ou d'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution affectés par l'apparition et la circulation d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19. En employant les termes de « territoire national », qui désignent le territoire hexagonal, la Corse et les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution et qui ne sont ainsi ni imprécis ni équivoques, les dispositions contestées permettent au Premier ministre de réglementer les déplacements en provenance d'une collectivité d'outre-mer vers une autre de ces collectivités ou vers une autre partie du territoire national. Le grief tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité doit donc être écarté.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.5. GRIEFS (contrôle a priori des lois - article 61 de la Constitution)
- 11.5.2. Griefs inopérants, manquant en fait, surabondants ou mal dirigés
11.5.2.2. Griefs manquant en fait (exemples)
En réponse au grief des députés requérants dénonçant la différence de traitement injustifiée résultant des dispositions contestées du fait de la possibilité prévue par les dispositions contestées, pour le Premier ministre, de réglementer les déplacements en provenance des collectivités d'outre-mer et à destination du territoire hexagonal en cas d'apparition d'un nouveau variant sur le territoire de ces collectivités, sans qu'elles aient prévu cette même possibilité pour les déplacements vers ces collectivités en cas d'apparition d'un nouveau variant sur le territoire hexagonal, le Conseil constitutionnel juge que le paragraphe II de l'article 3 de la loi déférée permet au Premier ministre d'imposer cette mesure de réglementation des déplacements aux personnes souhaitant se déplacer à destination de l'une des collectivités d'outre-mer en cas de risque de saturation du système de santé de l'une de ces collectivités. Or, l'apparition et la circulation, sur le territoire métropolitain, d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave est nécessairement de nature à caractériser un tel risque. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne peut qu'être écarté.