Décision

Décision n° 2022-1017/1018 QPC du 21 octobre 2022

M. Lucas S. et autre [Révocation du sursis à exécution d'une sanction disciplinaire II]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 juillet 2022 par le Conseil d'État (décisions nos 464975 et 461090 du 26 juillet 2022), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été respectivement posées pour M. Lucas S. par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et pour M. Emeric L. par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2022-1017 QPC et 2022-1018 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l'ordre des vétérinaires.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code rural et de la pêche maritime ;
  • l'ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l'ordre des vétérinaires, ratifiée par l'article 29 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour M. Lucas S. par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, enregistrées le 18 août 2022 ;
  • les observations présentées pour M. Emeric L. par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le même jour ;
  • les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
  • les secondes observations présentées pour M. Emeric L. par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 2 septembre 2022 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Bertrand Colin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. Lucas S., Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. Emeric L., et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 11 octobre 2022 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.

2. Le paragraphe III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 31 juillet 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date de la notification d'une sanction assortie d'un sursis, dès lors que cette sanction est devenue définitive, la chambre de discipline prononce une nouvelle suspension du droit d'exercer la profession, la sanction assortie du sursis devient exécutoire sans préjudice de l'application de la nouvelle sanction ».

3. Les requérants reprochent à ces dispositions de prévoir que le sursis assortissant une sanction de suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire est automatiquement et obligatoirement révoqué en cas de nouvelle sanction de suspension prononcée dans un délai de cinq ans, sans que le juge prononçant cette nouvelle peine puisse y faire échec ou moduler les effets de la révocation. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance du principe d'individualisation des peines.

4. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires … ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique qu'une sanction disciplinaire ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

5. L'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime détermine les sanctions disciplinaires qui peuvent être prononcées à l'égard des vétérinaires en cas de manquements aux obligations légales, réglementaires et déontologiques auxquelles ils sont soumis. Au nombre de ces sanctions, la juridiction disciplinaire peut prononcer celle de suspension, qui emporte interdiction d'exercice de la profession de vétérinaire pendant un délai fixé par la juridiction. Elle peut assortir cette suspension d'un sursis. Dans ce cas, l'exécution de la sanction est suspendue pendant un délai de cinq ans à compter de son prononcé.

6. Les dispositions contestées de cet article prévoient que ce sursis est révoqué si, dans ce délai de cinq ans, l'intéressé fait l'objet d'une nouvelle sanction de suspension.

7. En premier lieu, d'une part, le sursis constitue une mesure de suspension de l'exécution d'une peine. Cette mesure est subordonnée à l'absence, durant un délai d'épreuve, de la commission de nouvelles fautes. Lorsqu'elle prononce une sanction et qu'elle décide de l'assortir d'un sursis, la juridiction disciplinaire tient compte des circonstances propres à chaque espèce et de l'adéquation de la sanction aux fautes commises.

8. D'autre part, les dispositions contestées prévoient que le sursis prononcé ne pourra être révoqué que dans le cas où une nouvelle sanction de suspension est prononcée au cours du délai d'épreuve de cinq ans. Cette révocation ne peut ainsi résulter que d'une condamnation définitive pour un manquement d'une nature ou d'une gravité justifiant l'application d'une sanction de suspension.

9. En second lieu, il résulte de ces dispositions que la juridiction disciplinaire peut prononcer une sanction n'entraînant pas la révocation du sursis ou une sanction de suspension du droit d'exercer dont elle fixe la durée. La juridiction peut ainsi prendre en compte les conséquences de sa décision sur l'exécution de la première sanction.

10. Dès lors, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.

11. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le paragraphe III de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l'ordre des vétérinaires, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 21 octobre 2022.

JORF n°0246 du 22 octobre 2022, texte n° 72
ECLI : FR : CC : 2022 : 2022.1017.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.5. Principe d'individualisation des peines
  • 4.23.5.1. Valeur constitutionnelle
  • 4.23.5.1.2. Rattachement à l'article 8 de la Déclaration de 1789

Le Conseil est saisi des dispositions relatives à la révocation du sursis assortissant une sanction disciplinaire de suspension d'activité prononcée à l'encontre d'un vétérinaire. L'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime détermine les sanctions disciplinaires qui peuvent être prononcées à l'égard des vétérinaires en cas de manquements aux obligations légales, réglementaires et déontologiques auxquelles ils sont soumis. Au nombre de ces sanctions, la juridiction disciplinaire peut prononcer celle de suspension, qui emporte interdiction d'exercice de la profession de vétérinaire pendant un délai fixé par la juridiction. Elle peut assortir cette suspension d'un sursis. Dans ce cas, l'exécution de la sanction est suspendue pendant un délai de cinq ans à compter de son prononcé. Les dispositions contestées de cet article prévoient que ce sursis est révoqué si, dans ce délai de cinq ans, l'intéressé fait l'objet d'une nouvelle sanction de suspension.
En premier lieu, d'une part, le sursis constitue une mesure de suspension de l'exécution d'une peine. Cette mesure est subordonnée à l'absence, durant un délai d'épreuve, de la commission de nouvelles fautes. Lorsqu'elle prononce une sanction et qu'elle décide de l'assortir d'un sursis, la juridiction disciplinaire tient compte des circonstances propres à chaque espèce et de l'adéquation de la sanction aux fautes commises. D'autre part, les dispositions contestées prévoient que le sursis prononcé ne pourra être révoqué que dans le cas où une nouvelle sanction de suspension est prononcée au cours du délai d'épreuve de cinq ans. Cette révocation ne peut ainsi résulter que d'une condamnation définitive pour un manquement d'une nature ou d'une gravité justifiant l'application d'une sanction de suspension. En second lieu, il résulte de ces dispositions que la juridiction disciplinaire peut prononcer une sanction n'entraînant pas la révocation du sursis ou une sanction de suspension du droit d'exercer dont elle fixe la durée. La juridiction peut ainsi prendre en compte les conséquences de sa décision sur l'exécution de la première sanction. Dès lors, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.

(2022-1017/1018 QPC, 21 octobre 2022, cons. 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0246 du 22 octobre 2022, texte n° 72)
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