Décision n° 2021-964 QPC du 20 janvier 2022
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 octobre 2021 par le Conseil d'État (décision n° 455017 du 27 octobre 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société civile immobilière et agricole du Mesnil par Mes Hélène Thouy et Olivier Vidal, avocats au barreau de Bordeaux. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-964 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 425-5-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-325 du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2012-325 du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18 novembre 2021 ;
- les observations en intervention présentées pour la fédération nationale des chasseurs par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la société requérante par Mes Thouy et Vidal, enregistrées le 3 décembre 2021 ;
- les secondes observations en intervention présentées pour la fédération nationale des chasseurs par la SCP Spinosi, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Thouy, pour la société requérante, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 janvier 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 425-5-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 7 mars 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsque le détenteur du droit de chasse d'un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l'indemnisation mentionnée à l'article L. 426-1 et la prévention des dégâts de gibier mentionnée à l'article L. 421-5.
« Lorsque l'équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de ce territoire, le représentant de l'État dans le département, sur proposition de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs ou de la chambre départementale ou interdépartementale d'agriculture, après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage réunie dans sa formation spécialisée pour l'indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné servant de référence à la mise en œuvre de la responsabilité financière mentionnée au premier alinéa ».
2. La société requérante reproche à ces dispositions de permettre au préfet d'imposer à une personne que soient abattus des animaux sur sa propriété, à l'encontre de ses convictions personnelles. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté de conscience. Elle dénonce également la violation de l'article 2 de la Charte de l'environnement qui résulterait de cette obligation.
3. Elle soutient en outre que, lorsque la personne ne procède pas à ce prélèvement et que des dommages sont causés par le grand gibier provenant de son fonds, le juge judiciaire serait tenu de retenir sa responsabilité financière en considération de l'arrêté préfectoral. Il en résulterait une méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs et du droit à un recours juridictionnel effectif, protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné servant de référence à la mise en œuvre de la responsabilité financière mentionnée au premier alinéa » figurant au second alinéa de l'article L. 425-5-1 du code de l'environnement.
5. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Il en résulte la liberté de conscience.
6. Les dispositions contestées prévoient que le préfet peut notifier au détenteur du droit de chasse d'un territoire un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné, servant le cas échéant de référence à la mise en œuvre de sa responsabilité financière en cas de dommages causés par le grand gibier provenant de son fonds.
7. En premier lieu, le détenteur du droit de chasse ne peut se voir notifier un nombre d'animaux à prélever que lorsque l'équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de son territoire. En autorisant le préfet à prendre une telle mesure, ces dispositions tendent à sauvegarder l'équilibre entre la présence durable d'une faune sauvage et les activités agricoles et sylvicoles en prévenant les dégâts de gibier.
8. En second lieu, les dispositions contestées ne remettent pas en cause le droit du détenteur du droit de chasse d'interdire, au nom de ses convictions personnelles, la pratique de la chasse sur son territoire. Au demeurant, sa responsabilité financière ne peut être engagée qu'en cas de dégâts causés par le grand gibier provenant de son fonds.
9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de conscience.
10. Par ailleurs, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir d'appréciation reconnu à la juridiction judiciaire pour la mise en œuvre de la responsabilité financière du détenteur du droit de chasse en cas de dommages causés par le gibier provenant de son fonds. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne peut donc, en tout état de cause, qu'être écarté.
11. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus l'article 2 de la Charte de l'environnement, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné servant de référence à la mise en œuvre de la responsabilité financière mentionnée au premier alinéa » figurant au second alinéa de l'article L. 425-5-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-325 du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 janvier 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 20 janvier 2022.
JORF n°0017 du 21 janvier 2022, texte n° 60
ECLI : FR : CC : 2022 : 2021.964.QPC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
1.2.12. Article 10 - Liberté de conscience
Aux termes de l'article 10 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Il en résulte la liberté de conscience.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
4.2.2.6. Séparation des pouvoirs
Les dispositions contestées de l'article L. 425-5-1 du code de l'environnement n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir d'appréciation reconnu à la juridiction judiciaire pour la mise en œuvre de la responsabilité financière du détenteur du droit de chasse en cas de dommages causés par le gibier provenant de son fonds. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne peut donc, en tout état de cause, qu'être écarté.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.17. LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET D'OPINION
4.17.1. Liberté de conscience
Les dispositions contestées de l'article L. 425-5-1 du code de l'environnement prévoient que le préfet peut notifier au détenteur du droit de chasse d'un territoire un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné, servant le cas échéant de référence à la mise en œuvre de sa responsabilité financière en cas de dommages causés par le grand gibier provenant de son fonds. En premier lieu, le détenteur du droit de chasse ne peut se voir notifier un nombre d'animaux à prélever que lorsque l'équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de son territoire. En autorisant le préfet à prendre une telle mesure, ces dispositions tendent à sauvegarder l'équilibre entre la présence durable d'une faune sauvage et les activités agricoles et sylvicoles en prévenant les dégâts de gibier. En second lieu, les dispositions contestées ne remettent pas en cause le droit du détenteur du droit de chasse d'interdire, au nom de ses convictions personnelles, la pratique de la chasse sur son territoire. Au demeurant, sa responsabilité financière ne peut être engagée qu'en cas de dégâts causés par le grand gibier provenant de son fonds. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de conscience.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.4. Grief manquant en fait
Saisi de certaines dispositions de l'article L. 425-5-1 du code de l'environnement prévoyant que le préfet peut notifier au détenteur du droit de chasse d'un territoire un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné, servant le cas échéant de référence à la mise en œuvre de sa responsabilité financière en cas de dommages causés par le grand gibier provenant de son fonds, le Conseil constitutionnel constate que ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir d'appréciation reconnu à la juridiction judiciaire en cas de mise en œuvre de la responsabilité financière de l'intéressé. Il juge en conséquence que le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.