Décision n° 2021-5726/5728 AN du 28 janvier 2022
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 juin 2021 d'une requête présentée par M. Pascal FANTON, inscrit sur les listes électorales de la 15ème circonscription de Paris, tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé dans cette circonscription les 30 mai et 6 juin 2021 en vue de la désignation d'un député à l'Assemblée nationale. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-5726 AN.
Il a également été saisi le 15 juin 2021 d'une requête tendant aux mêmes fins, présentée par Me Philippe Petit, avocat au barreau de Lyon, pour M. François-Marie DIDIER, en qualité de candidat à cette même élection. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-5728 AN.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 59 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;
Au vu des pièces suivantes :
- les mémoires en défense présentés pour Mme Lamia EL AARAJE, députée, par Me Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris, enregistrés le 14 septembre 2021 ;
- le mémoire en réplique présenté par M. FANTON, enregistré le 5 octobre 2021 ;
- les pièces du dossier desquelles il ressort que communication des requêtes a été donnée à M. Jean-Damien de SINZOGAN, qui n'a pas produit d'observations ;
- les pièces desquelles il ressort que M. Jean-Damien de SINZOGAN a été informé de ce que le Conseil constitutionnel était susceptible de faire application de l'article L.O. 136-3 du code électoral et n'a pas produit d'observations ;
- les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Après avoir entendu les parties et leurs conseils ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les requêtes mentionnées ci-dessus sont dirigées contre la même élection. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
- Sur l'annulation des opérations électorales :
2. À l'appui de leurs requêtes dirigées contre les opérations électorales organisées les 30 mai et 6 juin 2021 dans la 15ème circonscription de Paris en vue de la désignation d'un député à l'Assemblée nationale, les requérants soutiennent que l'apposition par M. Jean-Damien de SINZOGAN, candidat à cette élection ayant obtenu au premier tour 449 voix, du nom du parti « La République en marche » sur ses bulletins de vote, alors qu'il ne bénéficiait pas de l'investiture de ce parti, et l'utilisation sur ces mêmes bulletins du nom « Jean de BOURBON », ont constitué des manœuvres ayant altéré la sincérité du scrutin.
3. M. DIDIER fait également valoir que le suppléant de M. de SINZOGAN n'aurait pas donné son accord pour figurer en qualité de remplaçant de ce dernier et que les bulletins de ce même candidat seraient irréguliers.
4. Il appartient au juge de l'élection de vérifier si des manœuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l'investiture des candidats par les partis politiques.
5. Il résulte de l'instruction que M. Jean-Damien de SINZOGAN, dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, a porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation par M. Jean-Damien de SINZOGAN du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote.
6. Or, le démenti apporté, la veille du premier tour de scrutin en fin de journée, par le parti « La République en marche » sur le réseau social « Twitter » n'a pas, compte tenu de la tardiveté et de la diffusion limitée de ce message, permis de donner à l'absence d'investiture de ce candidat par le parti une publicité suffisante avant la tenue du scrutin pour prévenir une telle confusion.
7. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la manœuvre commise par M. de SINZOGAN a, compte tenu des 449 suffrages qu'il a obtenus et du faible écart de 266 voix ayant séparé M. DIDIER de Mme Danielle SIMONNET, candidate arrivée en deuxième position au premier tour, été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs soulevés par les requêtes, qu'il y a lieu d'annuler les opérations électorales contestées.
- Sur l'inéligibilité de M. de SINZOGAN :
9. Aux termes de l'article L.O. 136-3 du code électoral : « Saisi d'une contestation contre l'élection, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ». Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manœuvres, le Conseil constitutionnel peut, le cas échéant d'office, déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, un candidat, si les manœuvres constatées présentent un caractère frauduleux et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par le candidat concerné et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manœuvres s'apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur.
10. Les agissements décrits au paragraphe 5, accomplis personnellement par M. de SINZOGAN, présentent le caractère de manœuvres frauduleuses. Ainsi qu'il a été dit au paragraphe 7, ces manœuvres ont eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de déclarer M. de SINZOGAN inéligible pour une durée de trois ans à compter de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les opérations électorales qui ont eu lieu les 30 mai et 6 juin 2021 dans la 15ème circonscription de Paris sont annulées.
Article 2. - M. Jean-Damien de SINZOGAN est déclaré inéligible en application de l'article L.O. 136-3 du code électoral pour une durée de trois ans à compter de la présente décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 18 du règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 janvier 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 28 janvier 2022
JORF n°0017 du 21 janvier 2022, texte n° 61
ECLI : FR : CC : 2022 : 2021.5726.AN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.3. Campagne électorale - Moyens de propagande
- 8.3.3.2. Bulletins
8.3.3.2.3. Contenu et format des bulletins
Candidat dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, ayant porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation par M. Jean-Damien de SINZOGAN du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote. (annulation)
Candidat dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, ayant porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation par M. Jean-Damien de SINZOGAN du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote. (annulation)
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.4. Campagne électorale - Pressions, interventions, manœuvres
- 8.3.4.2. Manœuvres ou interventions relatives à la situation politique des candidats
8.3.4.2.1. Appartenance ou " étiquette " politique
Candidat dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, ayant porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation par M. Jean-Damien de SINZOGAN du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote. (annulation)
Candidat dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, ayant porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation par M. Jean-Damien de SINZOGAN du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote. (annulation)
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.10. Contentieux - Instruction
- 8.3.10.1. Pouvoirs généraux d'instruction
8.3.10.1.2. Jonction d'instance
Les deux requêtes sont dirigées contre la même élection. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.10. Contentieux - Instruction
8.3.10.3. Incidents de procédure, demandes particulières, non-lieu à statuer
Candidat informé, par une mesure d'instruction, de ce que le Conseil constitutionnel était susceptible de faire application de l'article L.O. 136-3 du code électoral, qui prévoit que peut être déclaré inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
- 8.3.11.3. Irrégularités donnant lieu à rectifications
- 8.3.11.3.3. Annulation de l'élection
8.3.11.3.3.2. Propagande
Il appartient au juge de l'élection de vérifier si des manœuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l'investiture des candidats par les partis politiques.
Il résulte de l'instruction qu'un candidat, dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, a porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote.
Or, le démenti apporté, la veille du premier tour de scrutin en fin de journée, par le parti « La République en marche » sur le réseau social « Twitter » n'a pas, compte tenu de la tardiveté et de la diffusion limitée de ce message, permis de donner à l'absence d'investiture de ce candidat par le parti une publicité suffisante avant la tenue du scrutin pour prévenir une telle confusion.
Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la manœuvre commise par ce dandidat a, compte tenu des 449 suffrages qu'il a obtenus et du faible écart de 266 voix ayant séparé le candidat arrivé en trosiième position de la candidate arrivée en deuxième position au premier tour, été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
(Annulation)
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
- 8.3.11.3. Irrégularités donnant lieu à rectifications
8.3.11.3.6. Inéligibilité en raison de manoeuvres frauduleuses
Il résulte de de l'article L.O. 136-3 du code électoral que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manœuvres, le Conseil constitutionnel peut, le cas échéant d'office, déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, un candidat, si les manœuvres constatées présentent un caractère frauduleux et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par le candidat concerné et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manœuvres s'apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur. M. Jean-Damien de SINZOGAN, dont il est constant qu'il n'a pas été investi par le parti « La République en marche » dans la 15ème circonscription de Paris et ne bénéficiait pas du soutien de ce parti, a porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! ». Cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par « La République en marche », a été constitutive d'une manœuvre. À cette confusion délibérée sur l'existence d'un soutien du candidat par ce parti politique, s'est ajoutée celle créée sur l'identité même de ce candidat, en raison de l'utilisation par M. Jean-Damien de SINZOGAN du nom « Jean de BOURBON » sur ses bulletins de vote. Ces agissements accomplis personnellement par M. de SINZOGAN présentent le caractère de manœuvres frauduleuses. Inéligibilité prononcée pour une durée de trois ans.