Décision n° 2021-925 QPC du 21 juillet 2021
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 mai 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 707 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Ryan P. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-925 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 710 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 9 juin 2021 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Section française de l'observatoire international des prisons par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 juin 2021 ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 24 juin 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ronald Maman, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 juillet 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 710 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 710 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :
« Tous incidents contentieux relatifs à l'exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence ; cette juridiction peut également procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ses décisions. Elle statue sur les demandes de confusion de peines présentées en application de l'article 132-4 du code pénal. Pour l'examen de ces demandes, elle tient compte du comportement de la personne condamnée depuis la condamnation, de sa personnalité, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.
« En matière criminelle, la chambre de l'instruction connaît des rectifications et des incidents d'exécution auxquels peuvent donner lieu les arrêts de la cour d'assises.
« Sont également compétents pour connaître des demandes prévues par le présent article, selon les distinctions prévues par les deux alinéas précédents, soit le tribunal ou la cour, soit la chambre de l'instruction dans le ressort duquel le condamné est détenu. Le ministère public de la juridiction destinataire d'une demande de confusion déposée par une personne détenue peut adresser cette requête à la juridiction du lieu de détention.
« Pour l'application du présent article, le tribunal correctionnel est composé d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs du président. Il en est de même de la chambre des appels correctionnels ou de la chambre de l'instruction, qui est composée de son seul président, siégeant à juge unique. Ce magistrat peut toutefois, si la complexité du dossier le justifie, décider d'office ou à la demande du condamné ou du ministère public de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collégiale de la juridiction. Le magistrat ayant ordonné ce renvoi fait alors partie de la composition de cette juridiction. La décision de renvoi constitue une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de recours ».
3. Le requérant, rejoint par la partie intervenante, fait valoir que ces dispositions permettent à une personne d'interjeter appel de la décision, prise sur sa demande de confusion de peines, uniquement dans le cas où au moins une des peines dont elle a demandé la confusion a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance. En revanche, lorsque les peines dont elle demande la confusion ont été prononcées par des juridictions correctionnelles d'appel ou des cours d'assises, la personne est privée de la faculté d'interjeter appel de la décision prise sur sa demande de confusion. Il en résulterait une distinction injustifiée méconnaissant le principe d'égalité devant la justice. Il en résulterait également une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 710 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
6. Il résulte de l'article 132-4 du code pénal que, lorsqu'une personne est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours à l'occasion de procédures séparées, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée soit par la dernière juridiction appelée à statuer soit, après que les condamnations sont devenues définitives, dans les conditions prévues par le code de procédure pénale. Dans ce dernier cas, en application des dispositions contestées, la juridiction compétente pour statuer sur la demande de confusion de peines est le tribunal ou la cour qui a prononcé l'une des peines. Lorsque les peines ont été prononcées par une cour d'assises, la demande est portée devant la chambre de l'instruction.
7. En application de l'article 567 du code de procédure pénale, les arrêts de la chambre d'instruction et des juridictions correctionnelles d'appel sont rendus en dernier ressort. Dès lors, il résulte des dispositions contestées que, dans le cas où les peines dont elle demande la confusion ont toutes été prononcées par des cours d'assises ou des juridictions correctionnelles d'appel, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est insusceptible d'appel. En revanche, dans le cas où au moins l'une des peines dont elle demande la confusion a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est susceptible d'appel.
8. Or, une telle distinction, qui n'est au demeurant pas fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l'objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander la confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives.
9. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent la confusion de peines après qu'elles sont devenues définitives. Par conséquent, elles méconnaissent le principe d'égalité devant la justice et, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
11. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les personnes condamnées de la possibilité de saisir une juridiction d'une demande de confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 710 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT.
Rendu public le 21 juillet 2021.
JORF n°0168 du 22 juillet 2021, texte n° 63
ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.925.QPC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.2. ÉGALITÉ DEVANT LA JUSTICE
- 5.2.2. Égalité et droits - Garanties des justiciables
- 5.2.2.2. Égalité et règles de procédure
5.2.2.2.8. Divers
Le Conseil est saisi de dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale qui déterminent les juridictions compétentes pour connaître d'une demande de confusion de peines après que les peines sont devenues définitives.
Il résulte de l'article 132-4 du code pénal que, lorsqu'une personne est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours à l'occasion de procédures séparées, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée soit par la dernière juridiction appelée à statuer soit, après que les condamnations sont devenues définitives, dans les conditions prévues par le code de procédure pénale. Dans ce dernier cas, en application des dispositions contestées, la juridiction compétente pour statuer sur la demande de confusion de peines est le tribunal ou la cour qui a prononcé l'une des peines. Lorsque les peines ont été prononcées par une cour d'assises, la demande est portée devant la chambre de l'instruction. En application de l'article 567 du code de procédure pénale, les arrêts de la chambre d'instruction et des juridictions correctionnelles d'appel sont rendus en dernier ressort. Dès lors, il résulte des dispositions contestées que, dans le cas où les peines dont elle demande la confusion ont toutes été prononcées par des cours d'assises ou des juridictions correctionnelles d'appel, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est insusceptible d'appel. En revanche, dans le cas où au moins l'une des peines dont elle demande la confusion a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est susceptible d'appel. Or, une telle distinction, qui n'est au demeurant pas fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l'objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander la confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent la confusion de peines après qu'elles sont devenues définitives. Par conséquent, elles méconnaissent le principe d'égalité devant la justice et, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.2. Abrogation reportée dans le temps
Après avoir déclaré inconstitutionnelles des dispositions déterminant la compétence de juridiction pour connaître de demandes de confusion de peines, le Conseil juge que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les personnes condamnées de la possibilité de saisir une juridiction d'une demande de confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.4. Effets produits par la disposition abrogée
11.8.6.2.4.1. Maintien des effets
Après avoir déclaré inconstitutionnelles des dispositions déterminant la compétence de juridiction pour connaître de demandes de confusion de peines, le Conseil juge que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les personnes condamnées de la possibilité de saisir une juridiction d'une demande de confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.