Décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, sous le n° 2021-828 DC, le 5 novembre 2021, par M. Damien ABAD, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Julien AUBERT, Mme Nathalie BASSIRE, M. Thibault BAZIN, Mmes Valérie BAZIN-MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, M. Philippe BENASSAYA, Mmes Anne-Laure BLIN, Sandra BOËLLE, Émilie BONNIVARD, MM. Jean-Yves BONY, Ian BOUCARD, Bernard BOULEY, Jean-Luc BOURGEAUX, Xavier BRETON, Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, Jacques CATTIN, Gérard CHERPION, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, MM. Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, Éric DIARD, Julien DIVE, Jean-Pierre DOOR, Mmes Marianne DUBOIS, Virginie DUBY-MULLER, MM. Pierre-Henri DUMONT, Nicolas FORISSIER, Claude DE GANAY, Jean-Jacques GAULTIER, Mme Annie GENEVARD, MM. Philippe GOSSELIN, Jean-Carles GRELIER, Victor HABERT-DASSAULT, Yves HEMEDINGER, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Christian JACOB, Mansour KAMARDINE, Mme Brigitte KUSTER, M. Marc LE FUR, Mmes Constance LE GRIP, Geneviève LEVY, M. David LORION, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Emmanuel MAQUET, Olivier MARLEIX, Gérard MENUEL, Mme Frédérique MEUNIER, MM. Maxime MINOT, Jérôme NURY, Éric PAUGET, Bernard PERRUT, Mmes Christelle PETEX-LEVET, Nathalie PORTE, MM. Aurélien PRADIÉ, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Julien RAVIER, Robin REDA, Jean-Luc REITZER, Vincent ROLLAND, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean-Marie SERMIER, Mme Nathalie SERRE, MM. Robert THERRY, Jean-Louis THIÉRIOT, Mmes Laurence TRASTOUR-ISNART, Isabelle VALENTIN, MM. Pierre VATIN, Charles de la VERPILLIÈRE, Jean-Pierre VIGIER et Stéphane VIRY, députés.
Il a également été saisi, le même jour, par Mmes Valérie RABAULT, Mathilde PANOT, MM. André CHASSAIGNE, Bertrand PANCHER, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Jean-Louis BRICOUT, Alain DAVID, Mmes Laurence DUMONT, Lamia EL AARAJE, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Christian HUTIN, Mme Chantal JOURDAN, M. Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Gérard LESEUL, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mmes Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mme Michèle VICTORY, M. Moetai BROTHERSON, Mmes Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, Karine LEBON, MM. Jean-Philippe NILOR, Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Jean-Luc MÉLENCHON, Mme Danièle OBONO, MM. Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, MM. Jean-Félix ACQUAVIVA, Michel CASTELLANI, Jean-Michel CLÉMENT, Paul-André COLOMBANI, Charles de COURSON, Mmes Jeanine DUBIÉ, Frédérique DUMAS, MM. Olivier FALORNI, François-Michel LAMBERT, Jean LASSALLE, Paul MOLAC, Mme Sylvia PINEL, M. Sébastien NADOT et Mme Jennifer de TEMMERMAN, et le 8 novembre 2021, par Mme Émilie CARIOU, MM. Matthieu ORPHELIN et Aurélien TACHÉ, députés.
Il a également été saisi, le même jour, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Jean-Claude ANGLARS, Jean-Michel ARNAUD, Serge BABARY, Jean BACCI, Philippe BAS, Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Bruno BELIN, Mmes Nadine BELLUROT, Catherine BELRHITI, Annick BILLON, MM. Étienne BLANC, Jean-Baptiste BLANC, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, MM. Bernard BONNE, François BONNEAU, Michel BONNUS, Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP, M. Gilbert BOUCHET, Mmes Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, Toine BOURRAT, Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, François-Noël BUFFET, Laurent BURGOA, Alain CADEC, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, MM. Jean-Noël CARDOUX, Alain CAZABONNE, Mme Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Mme Marie-Christine CHAUVIN, M. Guillaume CHEVROLLIER, Mme Marta de CIDRAC, M. Pierre CUYPERS, Mme Laure DARCOS, MM. Mathieu DARNAUD, Vincent DELAHAYE, Mmes Annie DELMONT-KOROPOULIS, Chantal DESEYNE, Brigitte DEVÉSA, Catherine DI FOLCO, Sabine DREXLER, Catherine DUMAS, Françoise DUMONT, Dominique ESTROSI SASSONE, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, M. Gilbert FAVREAU, Mme Françoise FÉRAT, MM. Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Fabien GENET, Mmes Frédérique GERBAUD, Béatrice GOSSELIN, Nathalie GOULET, Sylvie GOY-CHAVENT, M. Daniel GREMILLET, Mme Pascale GRUNY, MM. Charles GUENÉ, Daniel GUERET, Mme Jocelyne GUIDEZ, MM. Olivier HENNO, Loïc HERVÉ, Alain HOUPERT, Jean-Raymond HUGONET, Jean-François HUSSON, Mmes Corinne IMBERT, Else JOSEPH, Muriel JOURDA, MM. Roger KAROUTCHI, Claude KERN, Christian KLINGER, Laurent LAFON, Marc LAMÉNIE, Mme Florence LASSARADE, M. Daniel LAURENT, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Pierre-Antoine LEVI, Dominique de LEGGE, Stéphane LE RUDULIER, Mmes Brigitte LHERBIER, Vivette LOPEZ, Viviane MALET, MM. Didier MANDELLI, Hervé MARSEILLE, Hervé MAUREY, Mme Marie MERCIER, M. Sébastien MEURANT, Mmes Brigitte MICOULEAU, Catherine MORIN-DESAILLY, M. Philippe MOUILLER, Mme Laurence MULLER-BRONN, M. Louis-Jean de NICOLAŸ, Mme Sylviane NOËL, MM. Jean-Jacques PANUNZI, Philippe PAUL, Cyril PELLEVAT, Cédric PERRIN, Mmes Kristina PLUCHET, Sophie PRIMAS, Sonia de la PROVÔTÉ, Frédérique PUISSAT, Isabelle RAIMOND-PAVERO, MM. Jean-François RAPIN, André REICHARDT, Olivier RIETMANN, Bruno ROJOUAN, Hugues SAURY, Stéphane SAUTAREL, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Mme Elsa SCHALCK, MM. Bruno SIDO, Jean SOL, Laurent SOMON, Philippe TABAROT, Mme Claudine THOMAS, Dominique VÉRIEN et M. Cédric VIAL, sénateurs.
Il a enfin été saisi, le même jour, par M. Patrick KANNER, Mme Éliane ASSASSI, M. Guillaume GONTARD, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Joël BIGOT, Mmes Florence BLATRIX CONTAT, Nicole BONNEFOY, MM. Denis BOUAD, Hussein BOURGI, Mme Isabelle BRIQUET, M. Rémi CARDON, Mmes Marie-Arlette CARLOTTI, Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, MM. Thierry COZIC, Michel DAGBERT, Mme Marie-Pierre de LA GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Vincent ÉBLÉ, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, M. Hervé GILLÉ, Mme Laurence HARRIBEY, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Olivier JACQUIN, Mme Victoire JASMIN, MM. Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, M. Éric KERROUCHE, Mme Annie LE HOUEROU, MM. Jean-Yves LECONTE, Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Mme Michelle MEUNIER, M. Jean-Jacques MICHAU, Mme Marie-Pierre MONIER, MM. Franck MONTAUGÉ, Sébastien PLA, Mmes Émilienne POUMIROL, Angèle PRÉVILLE, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Lucien STANZIONE, Jean-Pierre SUEUR, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Jean-Marc TODESCHINI, Mickaël VALLET, Mme Sabine VAN HEGHE, MM. Yannick VAUGRENARD, Yan CHANTREL, Mme Cathy APOURCEAU-POLY, MM. Jérémy BACCHI, Éric BOCQUET, Mmes Céline BRULIN, Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, M. Fabien GAY, Mme Michelle GRÉAUME, MM. Gérard LAHELLEC, Pierre LAURENT, Mme Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Pierre OUZOULIAS, Pascal SAVOLDELLI, Mme Marie-Claude VARAILLAS, MM. Guy BENARROCHE, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET, M. Daniel SALMON, Mmes Sophie TAILLÉ-POLIAN et Mélanie VOGEL, sénateurs.
Le 5 novembre 2021, le Premier ministre a demandé au Conseil constitutionnel de statuer selon la procédure d'urgence prévue au troisième alinéa de l'article 61 de la Constitution.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;
- la loi n° 2020‑546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;
- les décisions du Conseil constitutionnel nos 2020-800 DC du 11 mai 2020, 2020-808 DC du 13 novembre 2020, 2021-819 DC du 31 mai 2021 et 2021-824 DC du 5 août 2021 ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 7 novembre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. Ils contestent certaines dispositions de son article 2 ainsi que son article 9. Les députés requérants contestent également son article premier. Les sénateurs auteurs de la troisième saisine contestent en outre son article 6 et certaines dispositions de ses articles 13 et 14.
- Sur l'article 1er :
2. L'article 1er de la loi déférée proroge jusqu'au 31 juillet 2022 le cadre juridique organisant le régime d'état d'urgence sanitaire.
3. Les députés requérants contestent la constitutionnalité de cette prorogation au motif que celle-ci permettrait la mise en œuvre de mesures portant, au regard des nécessités sanitaires et des élections présidentielle et législatives prévues durant la période retenue, une atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, la liberté d'entreprendre et la liberté d'expression et de communication. Selon les députés auteurs de la première saisine, il en résulterait également une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
4. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous … la protection de la santé ». Il en découle un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
5. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
6. L'article 7 de la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus prévoit que ces dispositions, organisant le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire, sont en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021. Les dispositions contestées se bornent à en reporter le terme au 31 juillet 2022. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de déclarer l'état d'urgence sanitaire lui-même ou d'en proroger l'application.
7. Au demeurant, d'une part, en vertu de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire ne peut être déclaré sur tout ou partie du territoire qu'« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Il est alors déclaré par décret en conseil des ministres, lequel peut être contesté devant le juge administratif. Par ailleurs, l'état d'urgence sanitaire ne peut, au-delà d'un délai d'un mois, être prorogé que par une loi qui en fixe la durée, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 du même code. Cette loi peut être soumise au contrôle du Conseil constitutionnel.
8. D'autre part, en cas de mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire, les mesures susceptibles d'être prises par le pouvoir réglementaire ne peuvent l'être qu'aux seules fins de garantir la santé publique. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent.
9. Dès lors, le législateur a pu, sans méconnaître l'étendue de sa compétence ni aucune autre exigence constitutionnelle, maintenir jusqu'au 31 juillet 2022 le cadre juridique organisant l'état d'urgence sanitaire.
10. Par conséquent, les mots « 31 juillet 2022 » figurant à l'article 7 de la loi du 23 mars 2020 ainsi qu'au 5 ° de l'article L. 3821-11 et au premier alinéa de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique sont conformes à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l'article 2 :
11. L'article 2 de la loi déférée modifie l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 mentionnée ci-dessus afin notamment de proroger jusqu'au 31 juillet 2022 la période durant laquelle le Premier ministre peut prendre certaines mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 ainsi que subordonner l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire ».
12. Les députés et sénateurs requérants soutiennent que, en prorogeant pour une durée de huit mois l'application du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire alors que le contexte sanitaire ne justifierait pas une telle prorogation et que le Parlement ne pourrait pas intervenir à nouveau durant cette période, les dispositions contestées opéreraient une conciliation déséquilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et les droits et libertés susceptibles d'être affectés. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance de la liberté d'aller et de venir et du droit au respect de la vie privée.
13. Les députés auteurs de la première saisine font valoir qu'il en résulterait également une méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la séparation des pouvoirs et les sénateurs auteurs du troisième recours une méconnaissance du droit à une vie familiale normale. Enfin, les députés requérants et les sénateurs auteurs de la quatrième saisine font valoir qu'il en résulterait une méconnaissance du droit d'expression collective des idées et des opinions au motif que les mesures réglementaires permises par ce régime pourraient affecter le déroulement des élections présidentielle et législatives qui doivent se tenir d'ici le 31 juillet 2022.
14. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.
15. En premier lieu, en prévoyant la prorogation du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Il a estimé, au regard notamment de l'avis du 6 octobre 2021 du comité de scientifiques prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, qu'un risque important de propagation de l'épidémie persisterait à l'échelle nationale jusqu'au 31 juillet 2022. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l'appréciation par le législateur de ce risque, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente.
16. En second lieu, d'une part, en vertu du premier alinéa des paragraphes I et II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, les mesures susceptibles d'être prononcées dans le cadre du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire ne peuvent être prises que dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Selon le paragraphe IV de ce même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent.
17. D'autre part, si ces mesures peuvent intervenir en période électorale, la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l'accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques. Par ailleurs, conformément au paragraphe V de ce même article 1er, elles peuvent faire l'objet notamment d'un référé-liberté de nature à assurer le respect par le pouvoir réglementaire du droit d'expression collective des idées et des opinions.
18. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.
19. Au surplus, le paragraphe VI de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 prévoit que le Parlement est informé sans délai des mesures prises par le Gouvernement, qui est tenu de déposer notamment le 15 février 2022 puis le 15 mai 2022 un rapport exposant ces mesures ainsi que les raisons du maintien, le cas échéant, de certaines des mesures prises et les orientations de son action visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Ce rapport peut faire l'objet d'un débat en commission permanente ou en séance publique.
20. Enfin, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de priver le Parlement du droit qu'il a de se réunir dans les conditions prévues aux articles 28 et 29 de la Constitution, de contrôler l'action du Gouvernement et de légiférer.
21. Par conséquent, les mots « 31 juillet 2022 » figurant au premier alinéa du paragraphe I et au A du paragraphe II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, qui ne portent aucune atteinte à la séparation des pouvoirs et ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur l'article 6 :
22. L'article 6 modifie le paragraphe I de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus, relatif aux systèmes d'information mis en œuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19, afin d'en proroger l'application.
23. Les sénateurs auteurs du troisième recours reprochent à ces dispositions de prolonger pour une durée excessive le recueil et le traitement de données de nature médicale. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée.
24. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.
25. L'article 11 de la loi du 11 mai 2020 prévoit les conditions dans lesquelles les données relatives à la santé des personnes atteintes par le virus responsable de la covid-19 et des personnes en contact avec elles sont, le cas échéant sans leur consentement, traitées et partagées dans le cadre d'un système d'information ad hoc. Les dispositions contestées prorogent l'application de ces dispositions jusqu'au 31 juillet 2022.
26. En premier lieu, le législateur a estimé qu'un risque important de propagation de l'épidémie persisterait jusqu'à cette date. Pour les motifs énoncés au paragraphe 15, cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate.
27. En second lieu, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution, sous certaines réserves, les dispositions de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 instituant ces systèmes d'information, par ses décisions des 11 mai 2020, 13 novembre 2020, 31 mai 2021 et 5 août 2021 mentionnées ci-dessus.
28. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.
29. Par conséquent, les mots « 31 juillet 2022 » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur l'article 9 :
30. L'article 9 permet aux directeurs des établissements d'enseignement scolaire d'accéder à des informations médicales relatives aux élèves et de procéder à leur traitement.
31. Les députés auteurs de la première saisine soutiennent tout d'abord que la procédure d'adoption de ces dispositions méconnaîtrait l'article 39 de la Constitution. Selon eux, en ne les intégrant pas dans le projet de loi initial, le Gouvernement aurait contourné ses obligations de présenter une étude d'impact et de recueillir l'avis du Conseil d'État.
32. Les députés et sénateurs requérants estiment par ailleurs que ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée. Ils considèrent que la dérogation au secret médical qu'elles instaurent et l'autorisation de traitement qu'elles accordent ne sont pas entourées de garanties suffisantes quant à la détermination des personnes susceptibles d'accéder à ces données à caractère personnel, à la protection desdites données et aux finalités poursuivies, alors même qu'il s'agit de données particulièrement sensibles relatives à des personnes pour la plupart mineures.
33. Pour les mêmes motifs, les sénateurs auteurs de la troisième saisine soutiennent que l'article 9 serait également entaché d'incompétence négative.
34. Enfin, selon les députés auteurs de la première saisine, ces dispositions seraient de nature à entraîner une rupture d'égalité entre les élèves dans l'accès à l'instruction, selon leur statut vaccinal.
35. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Il résulte de ce droit que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.
36. Le premier alinéa de l'article 9 prévoit que, par dérogation à l'exigence fixée à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, les directeurs des établissements d'enseignement scolaire des premier et second degrés peuvent avoir accès aux informations médicales relatives aux élèves, pour une durée ne pouvant excéder la fin de l'année scolaire en cours. Son second alinéa les autorise à procéder au traitement des données ainsi recueillies, aux fins de faciliter l'organisation de campagnes de dépistage et de vaccination et d'organiser des conditions d'enseignement permettant de prévenir les risques de propagation du virus.
37. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre l'épidémie de covid-19 par la mise en œuvre des protocoles sanitaires au sein des établissements d'enseignement scolaire. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
38. Toutefois, en premier lieu, les dispositions contestées permettent d'accéder non seulement au statut virologique et vaccinal des élèves, mais également à l'existence de contacts avec des personnes contaminées, ainsi que de procéder au traitement de ces données, sans que soit préalablement recueilli le consentement des élèves intéressés ou, s'ils sont mineurs, de leurs représentants légaux.
39. En deuxième lieu, ces dispositions autorisent l'accès à ces données et leur traitement tant par les directeurs des établissements d'enseignement scolaire des premier et second degrés que par « les personnes qu'ils habilitent spécialement à cet effet ». Les informations médicales en cause sont donc susceptibles d'être communiquées à un grand nombre de personnes, dont l'habilitation n'est subordonnée à aucun critère ni assortie d'aucune garantie relative à la protection du secret médical.
40. En dernier lieu, en se bornant à prévoir que le traitement de ces données permet d'organiser les conditions d'enseignement pour prévenir les risques de propagation du virus, le législateur n'a pas défini avec une précision suffisante les finalités poursuivies par ces dispositions.
41. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
42. Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article 9 doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur certaines dispositions des articles 13 et 14 :
43. Le troisième alinéa de l'article 13 habilite le Gouvernement, jusqu'au 31 juillet 2022, à prendre, par ordonnance, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à rétablir, à adapter ou à compléter certaines dispositions du code du travail. Les quatrième à septième alinéas de l'article 13 précisent, quant à eux, les conditions dans lesquelles pourront être prises ces ordonnances.
44. Le paragraphe I de l'article 14 habilite également le Gouvernement, jusqu'à cette même date, à prendre, par ordonnance des mesures d'adaptation des dispositions relatives à l'activité réduite pour le maintien en emploi.
45. Les sénateurs auteurs de la troisième saisine considèrent que la procédure d'adoption de ces dispositions méconnaîtrait l'article 38 de la Constitution. Selon eux, ces dernières, adoptées en première lecture par l'Assemblée nationale, puis supprimées par le Sénat, ne pouvaient être rétablies, en nouvelle lecture, par des amendements parlementaires.
46. Aux termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Il résulte de cette disposition que seul le Gouvernement peut demander au Parlement l'autorisation de prendre de telles ordonnances.
47. Or, les dispositions contestées, introduites pour certaines par le projet de loi initial et pour d'autres par des amendements gouvernementaux, avant d'être supprimées en première lecture, ont été rétablies en nouvelle lecture par voie d'amendements parlementaires. Elles n'ont donc pas été adoptées à la demande du Gouvernement.
48. Il en résulte que ces dispositions ont été adoptées selon une procédure méconnaissant les exigences de l'article 38 de la Constitution.
49. Par conséquent, les troisième à cinquième alinéas, les mots « ordonnances et les » figurant au sixième alinéa et le septième alinéa de l'article 13 ainsi que le paragraphe I de l'article 14 sont contraires à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
50. Le paragraphe III de l'article 14 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relatives au fonctionnement des assemblées générales de copropriétaires.
51. Adoptées dans les mêmes conditions, ces dispositions sont pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 47 et 48 contraires à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, de celles prévues par le paragraphe IV qui en sont inséparables.
52. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire :
- l'article 9 ;
- les troisième à cinquième alinéas, les mots « ordonnances et les » figurant au sixième alinéa et le septième alinéa de l'article 13 ;
- les paragraphes I, III et IV de l'article 14.
Article 2. - Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :- les mots « 31 juillet 2022 » figurant à l'article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ainsi qu'au 5 ° de l'article L. 3821-11 et au premier alinéa de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant de l'article 1er de la loi déférée ;
- les mots « 31 juillet 2022 » figurant au premier alinéa du paragraphe I et au A du paragraphe II de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction résultant de l'article 2 de la loi déférée ;
- les mots « 31 juillet 2022 » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 2020‑546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, dans sa rédaction résultant de l'article 6 de la loi déférée.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 novembre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 9 novembre 2021.
JORF n°0263 du 11 novembre 2021, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.828.DC
Les abstracts
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.4. POUVOIR LÉGISLATIF DÉLÉGUÉ
- 3.4.1. Ordonnances de l'article 38
- 3.4.1.1. Conditions de recours à l'article 38
3.4.1.1.1. Demande d'habilitation
Le troisième alinéa de l'article 13 de la loi déférée habilite le Gouvernement, jusqu'au 31 juillet 2022, à prendre, par ordonnance, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à rétablir, à adapter ou à compléter certaines dispositions du code du travail. Les quatrième à septième alinéas de l'article 13 précisent, quant à eux, les conditions dans lesquelles pourront être prises ces ordonnances. Le paragraphe I de l'article 14 de la loi déférée habilite également le Gouvernement, jusqu'à cette même date, à prendre, par ordonnance des mesures d'adaptation des dispositions relatives à l'activité réduite pour le maintien en emploi.
Or, les dispositions contestées, introduites pour certaines par le projet de loi initial et pour d'autres par des amendements gouvernementaux, avant d'être supprimées en première lecture, ont été rétablies en nouvelle lecture par voie d'amendements parlementaires. Elles n'ont donc pas été adoptées à la demande du Gouvernement. Il en résulte que ces dispositions ont été adoptées selon une procédure méconnaissant les exigences de l'article 38 de la Constitution.
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.7. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES PAR MATIÈRES
- 3.7.1. Garanties des libertés publiques
3.7.1.6. Régime de l'état d'urgence
L'article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 prévoit que les dispositions organisant le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire sont en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021. Les dispositions contestées se bornent à en reporter le terme au 31 juillet 2022. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de déclarer l'état d'urgence sanitaire lui-même ou d'en proroger l'application. Au demeurant, d'une part, en vertu de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire ne peut être déclaré sur tout ou partie du territoire qu'« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Il est alors déclaré par décret en conseil des ministres, lequel peut être contesté devant le juge administratif. Par ailleurs, l'état d'urgence sanitaire ne peut, au-delà d'un délai d'un mois, être prorogé que par une loi qui en fixe la durée, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 du même code. Cette loi peut être soumise au contrôle du Conseil constitutionnel. D'autre part, en cas de mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire, les mesures susceptibles d'être prises par le pouvoir réglementaire ne peuvent l'être qu'aux seules fins de garantir la santé publique. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent. Dès lors, le législateur a pu, sans méconnaître l'étendue de sa compétence ni aucune autre exigence constitutionnelle, maintenir jusqu'au 31 juillet 2022 le cadre juridique organisant l'état d'urgence sanitaire.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.1. Champ d'application des droits et libertés
4.2.1.3. Déclenchement ou prorogation d'un régime législatif de pouvoirs exceptionnels
L'article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 prévoit que les dispositions organisant le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire sont en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021. Les dispositions contestées se bornent à en reporter le terme au 31 juillet 2022. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de déclarer l'état d'urgence sanitaire lui-même ou d'en proroger l'application. Au demeurant, d'une part, en vertu de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire ne peut être déclaré sur tout ou partie du territoire qu'« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Il est alors déclaré par décret en conseil des ministres, lequel peut être contesté devant le juge administratif. Par ailleurs, l'état d'urgence sanitaire ne peut, au-delà d'un délai d'un mois, être prorogé que par une loi qui en fixe la durée, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 du même code. Cette loi peut être soumise au contrôle du Conseil constitutionnel. D'autre part, en cas de mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire, les mesures susceptibles d'être prises par le pouvoir réglementaire ne peuvent l'être qu'aux seules fins de garantir la santé publique. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent. Dès lors, le législateur a pu, sans méconnaître l'étendue de sa compétence ni aucune autre exigence constitutionnelle, maintenir jusqu'au 31 juillet 2022 le cadre juridique organisant l'état d'urgence sanitaire.
Les dispositions contestées prorogent jusqu'au 31 juillet 2022 la période durant laquelle le Premier ministre peut prendre certaines mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fin de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19.
En premier lieu, en prévoyant la prorogation du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Il a estimé, au regard notamment de l'avis du 6 octobre 2021 du comité de scientifiques prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, qu'un risque important de propagation de l'épidémie persisterait à l'échelle nationale jusqu'au 31 juillet 2022. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l'appréciation par le législateur de ce risque, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente. En second lieu, d'une part, en vertu du premier alinéa des paragraphes I et II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, les mesures susceptibles d'être prononcées dans le cadre du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire ne peuvent être prises que dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Selon le paragraphe IV de ce même article, elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent. D'autre part, si ces mesures peuvent intervenir en période électorale, la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l'accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques. Par ailleurs, conformément au paragraphe V de ce même article 1er, elles peuvent faire l'objet notamment d'un référé-liberté de nature à assurer le respect par le pouvoir réglementaire du droit d'expression collective des idées et des opinions. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.5. DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE (voir également ci-dessous Droits des étrangers et droit d'asile, Liberté individuelle et Liberté personnelle)
- 4.5.12. Accès à certaines données
4.5.12.6. Accès aux données de santé
L'article 6 modifie le paragraphe I de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 , relatif aux systèmes d'information mis en œuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19, afin d'en proroger l'application. L'article 11 de la loi du 11 mai 2020 prévoit les conditions dans lesquelles les données relatives à la santé des personnes atteintes par le virus responsable de la covid-19 et des personnes en contact avec elles sont, le cas échéant sans leur consentement, traitées et partagées dans le cadre d'un système d'information ad hoc. Les dispositions contestées prorogent l'application de ces dispositions jusqu'au 31 juillet 2022.
En premier lieu, le législateur a estimé qu'un risque important de propagation de l'épidémie persisterait jusqu'à cette date. Pour les motifs énoncés au paragraphe 15, cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate. En second lieu, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution, sous certaines réserves, les dispositions de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 instituant ces systèmes d'information, par ses décisions des 11 mai 2020, 13 novembre 2020, 31 mai 2021 et 5 août 2021. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.
L'article 9 permet aux directeurs des établissements d'enseignement scolaire d'accéder à des informations médicales relatives aux élèves et de procéder à leur traitement. Le premier alinéa de l'article 9 prévoit que, par dérogation à l'exigence fixée à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, les directeurs des établissements d'enseignement scolaire des premier et second degrés peuvent avoir accès aux informations médicales relatives aux élèves, pour une durée ne pouvant excéder la fin de l'année scolaire en cours. Son second alinéa les autorise à procéder au traitement des données ainsi recueillies, aux fins de faciliter l'organisation de campagnes de dépistage et de vaccination et d'organiser des conditions d'enseignement permettant de prévenir les risques de propagation du virus.
En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre l'épidémie de covid-19 par la mise en œuvre des protocoles sanitaires au sein des établissements d'enseignement scolaire. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Toutefois, en premier lieu, les dispositions contestées permettent d'accéder non seulement au statut virologique et vaccinal des élèves, mais également à l'existence de contacts avec des personnes contaminées, ainsi que de procéder au traitement de ces données, sans que soit préalablement recueilli le consentement des élèves intéressés ou, s'ils sont mineurs, de leurs représentants légaux. En deuxième lieu, ces dispositions autorisent l'accès à ces données et leur traitement tant par les directeurs des établissements d'enseignement scolaire des premier et second degrés que par « les personnes qu'ils habilitent spécialement à cet effet ». Les informations médicales en cause sont donc susceptibles d'être communiquées à un grand nombre de personnes, dont l'habilitation n'est subordonnée à aucun critère ni assortie d'aucune garantie relative à la protection du secret médical. En dernier lieu, en se bornant à prévoir que le traitement de ces données permet d'organiser les conditions d'enseignement pour prévenir les risques de propagation du virus, le législateur n'a pas défini avec une précision suffisante les finalités poursuivies par ces dispositions. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.4. Caractère séparable ou non des dispositions déclarées inconstitutionnelles
- 11.8.4.3. Inséparabilité des dispositions non conformes à la Constitution et de tout ou partie du reste de la loi
- 11.8.4.3.3. Inséparabilité au sein d'un même article (exemples)
11.8.4.3.3.1. Cas d'inséparabilité
Censure par voie de conséquence de dispositions inséparables d'autres dispositions d'un même article déclarées contraire à la Constitution.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.7. Autorité des décisions du Conseil constitutionnel
- 11.8.7.3. Portée des précédentes décisions
11.8.7.3.3. Motivation par renvoi à une autre décision
Saisi de dispositions modifiant l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 sur lequel le Conseil constitutionnel s'est précedemment prononcé, il fait référence à ces précédentes décisions des 11 mai 2020, 13 novembre 2020, 31 mai 2021 et 5 août 2021.