Décision n° 2020-889 QPC du 12 mars 2021
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 décembre 2020 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3106 du 15 décembre 2020), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Marc A. et autres par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-889 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1er de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité ;
- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 14 janvier 2021 ;
- les observations présentées pour M. Albert D., partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées pour M. Jacques G., partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour le syndicat Confédération générale du travail par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour l'union syndicale Solidaires, le syndicat de la magistrature et l'association Union nationale des étudiants de France par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour M. Jacques G. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 28 janvier 2021 ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 29 janvier 2021 ;
- les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants et le syndicat Confédération générale du travail, Me Claire Waquet, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. Jacques G., et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 mars 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 1er de la loi du 21 janvier 1995 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 18 mars 2003 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« La sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives.
« L'État a le devoir d'assurer la sécurité en veillant, sur l'ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l'ordre publics, à la protection des personnes et des biens.
« Il associe à la politique de sécurité, dans le cadre de dispositifs locaux dont la structure est définie par décret, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale ainsi que les représentants des professions, des services et des associations confrontés aux manifestations de la délinquance ou œuvrant dans les domaines de la prévention, de la médiation, de la lutte contre l'exclusion ou de l'aide aux victimes ».
2. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, considèrent que, faute d'avoir prévu des garanties suffisantes en cas d'usage par les forces de l'ordre de la technique dite de « l'encerclement », le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans une mesure affectant la liberté individuelle, la liberté d'aller et de venir, la liberté de communication et d'expression ainsi que le droit d'expression collective des idées et des opinions. Selon eux, le législateur aurait dû définir les conditions du recours à cette technique de maintien de l'ordre pour assurer la proportionnalité des atteintes qu'elle est susceptible de porter à ces droits et libertés. Les requérants dénoncent également, pour les mêmes motifs, la méconnaissance directe, par les dispositions renvoyées, des mêmes exigences constitutionnelles.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et de l'ordre publics » figurant au deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995.
4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. L'article 1er de la loi du 21 janvier 1995 énonce que la sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives. Selon son deuxième alinéa, l'État a le devoir de l'assurer sur l'ensemble du territoire de la République. Les dispositions contestées précisent que, dans le cadre de cette mission, l'État doit notamment veiller au maintien de l'ordre public.
6. Ces dispositions législatives ont pour seul objet de reconnaître à l'État la mission générale de maintien de l'ordre public. Elles ne définissent pas les conditions d'exercice de cette mission et notamment pas les moyens pouvant être utilisés à cette fin. Il ne peut donc leur être reproché d'encadrer insuffisamment le recours par l'État, dans le cadre de cette mission, à certains procédés de maintien de l'ordre tels que la technique dite de « l'encerclement ».
7. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant par elle-même la liberté d'aller et de venir, la liberté individuelle, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions ne peut qu'être écarté. Il en va de même des griefs tirés de la méconnaissance de ces droits ou libertés.
8. Les mots « et de l'ordre publics » figurant au deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et de l'ordre publics » figurant au deuxième alinéa de l'article 1er de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 mars 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 12 mars 2021.
JORF n°0062 du 13 mars 2021, texte n° 67
ECLI : FR : CC : 2021 : 2020.889.QPC
Les abstracts
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.3. ÉTENDUE ET LIMITES DE LA COMPÉTENCE LÉGISLATIVE
- 3.3.4. Incompétence négative
3.3.4.3. Opérance du grief
L'article 1er de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 énonce que la sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives. Selon son deuxième alinéa, l'État a le devoir de l'assurer sur l'ensemble du territoire de la République. Les dispositions contestées précisent que, dans le cadre de cette mission, l'État doit notamment veiller au maintien de l'ordre public. Ces dispositions législatives ont pour seul objet de reconnaître à l'État la mission générale de maintien de l'ordre public. Elles ne définissent pas les conditions d'exercice de cette mission et notamment pas les moyens pouvant être utilisés à cette fin. Il ne peut donc leur être reproché d'encadrer insuffisamment le recours par l'État, dans le cadre de cette mission, à certains procédés de maintien de l'ordre tels que la technique dite de « l'encerclement ». Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant par elle-même la liberté d'aller et de venir, la liberté individuelle, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions ne peut qu'être écarté.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.3. Grief inopérant
L'article 1er de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 énonce que la sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives. Selon son deuxième alinéa, l'État a le devoir de l'assurer sur l'ensemble du territoire de la République. Les dispositions contestées précisent que, dans le cadre de cette mission, l'État doit notamment veiller au maintien de l'ordre public. Ces dispositions législatives ont pour seul objet de reconnaître à l'État la mission générale de maintien de l'ordre public. Elles ne définissent pas les conditions d'exercice de cette mission et notamment pas les moyens pouvant être utilisés à cette fin. Il ne peut donc leur être reproché d'encadrer insuffisamment le recours par l'État, dans le cadre de cette mission, à certains procédés de maintien de l'ordre tels que la technique dite de « l'encerclement ». Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant par elle-même la liberté d'aller et de venir, la liberté individuelle, la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions ne peut qu'être écarté. Il en va de même des griefs tirés de la méconnaissance de ces droits ou libertés.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition transmise.