Décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 septembre 2020 par le Conseil d'État (décisions nos 441059 et 442045 du 28 septembre 2020) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Pierre-Chanel T. et autres. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-869 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
- de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
- de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;
- de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus ;
- et de l'article 5 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'accord sur la Nouvelle-Calédonie, signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;
- l'ordonnance n° 2020-463 du 22 avril 2020 adaptant l'état d'urgence sanitaire à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna, prise sur le fondement de l'habilitation prévue à l'article 3 de la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus, qui a expiré le 24 mai 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par les requérants, enregistrées le 9 octobre 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 16 octobre 2020 ;
- les secondes observations présentées par les requérants, enregistrées le 23 octobre 2020 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 novembre 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 3841-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Le chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions jusqu'au 1er avril 2021, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1 ° Les références au département sont remplacées, selon le cas, par la référence à la Nouvelle-Calédonie ou par la référence à la Polynésie française ;
« 2 ° Le premier alinéa du I de l'article L. 3131-17 est remplacé par les deux alinéas suivants :
« Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16 et les rendent applicables à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française, ils peuvent habiliter le haut-commissaire à les adapter en fonction des circonstances locales et à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions, lorsqu'elles relèvent de la compétence de l'État et après consultation du gouvernement de la collectivité.
« Lorsqu'une des mesures mentionnées aux 1 °, 2 ° et 5 ° à 9 ° du I de l'article L. 3131-15 ou à l'article L. 3131-16 doit s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède pas la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, les autorités mentionnées aux mêmes articles peuvent habiliter le haut-commissaire à la décider lui-même, assortie des adaptations nécessaires s'il y a lieu et dans les mêmes conditions qu'au premier alinéa ».
2. L'article 4 de la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus prévoit : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.
« L'état d'urgence sanitaire entre en vigueur sur l'ensemble du territoire national. Toutefois, un décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé peut en limiter l'application à certaines des circonscriptions territoriales qu'il précise.
« La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au delà de la durée prévue au premier alinéa du présent article ne peut être autorisée que par la loi.
« Il peut être mis fin à l'état d'urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l'expiration du délai fixé au même premier alinéa ».
3. L'article 1er de la loi du 11 mai 2020 mentionnée ci-dessus prévoit : « I. - L'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 est prorogé jusqu'au 10 juillet 2020 inclus.
« II. - Le chapitre VI du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 3136-2 ainsi rédigé :
« « Art. L. 3136-2. - L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur »
« III. - L'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 est ainsi modifiée :
« 1 ° L'avant-dernier alinéa de l'article 4 est complété par une phrase ainsi rédigée : »Lorsque la détention provisoire d'une personne a été ordonnée ou prolongée sur le motif prévu au 5 ° et, le cas échéant, aux 4 ° et 7 ° de l'article 144 du même code, l'avocat de la personne mise en examen peut également adresser par courrier électronique au juge d'instruction une demande de mise en liberté si celle-ci est motivée par l'existence de nouvelles garanties de représentation de la personne ; dans les autres cas, toute demande de mise en liberté formée par courrier électronique est irrecevable ; cette irrecevabilité est constatée par le juge d'instruction qui en informe par courrier électronique l'avocat et elle n'est pas susceptible d'appel devant la chambre de l'instruction." ;
« 2 ° Après l'article 16, il est inséré un article 16-1 ainsi rédigé :
« "Art. 16-1. - À compter du 11 mai 2020, la prolongation de plein droit des délais de détention provisoire prévue à l'article 16 n'est plus applicable aux titres de détention dont l'échéance intervient à compter de cette date et les détentions ne peuvent être prolongées que par une décision de la juridiction compétente prise après un débat contradictoire intervenant, le cas échéant, selon les modalités prévues à l'article 19.
« "Si l'échéance du titre de détention en cours, résultant des règles de droit commun du code de procédure pénale, intervient avant le 11 juin 2020, la juridiction compétente dispose d'un délai d'un mois à compter de cette échéance pour se prononcer sur sa prolongation, sans qu'il en résulte la mise en liberté de la personne, dont le titre de détention est prorogé jusqu'à cette décision. Cette prorogation s'impute sur la durée de la prolongation décidée par la juridiction. En ce qui concerne les délais de détention au cours de l'instruction, cette durée est celle prévue par les dispositions de droit commun ; toutefois, s'il s'agit de la dernière échéance possible, la prolongation peut être ordonnée selon les cas pour les durées prévues à l'article 16 de la présente ordonnance.
« "En ce qui concerne les délais d'audiencement, la prolongation peut être ordonnée pour les durées prévues au même article 16, y compris si elle intervient après le 11 juin 2020.
« "La prolongation de plein droit du délai de détention intervenue au cours de l'instruction avant le 11 mai 2020, en application dudit article 16, n'a pas pour effet d'allonger la durée maximale totale de la détention en application des dispositions du code de procédure pénale, sauf si cette prolongation a porté sur la dernière échéance possible.
« "Lorsque la détention provisoire au cours de l'instruction a été prolongée de plein droit en application de l'article 16 de la présente ordonnance pour une durée de six mois, cette prolongation ne peut maintenir ses effets jusqu'à son terme que par une décision prise par le juge des libertés et de la détention selon les modalités prévues à l'article 145 du code de procédure pénale et, le cas échéant, à l'article 19 de la présente ordonnance. La décision doit intervenir au moins trois mois avant le terme de la prolongation. Si une décision de prolongation n'intervient pas avant cette date, la personne est remise en liberté si elle n'est pas détenue pour une autre cause.
« "Pour les délais de détention en matière d'audiencement, la prolongation de plein droit des délais de détention ou celle décidée en application du troisième alinéa du présent article a pour effet d'allonger la durée maximale totale de la détention possible jusqu'à la date de l'audience prévue en application des dispositions du code de procédure pénale.
« « Les dispositions du présent article sont applicables aux assignations à résidence sous surveillance électronique » ;
« 3 ° Après l'article 18, il est inséré un article 18-1 ainsi rédigé :
« « Art. 18-1. - Par dérogation à l'article 148-4 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction peut être directement saisie d'une demande de mise en liberté lorsque la personne n'a pas comparu, dans les deux mois suivant la prolongation de plein droit de la détention provisoire intervenue en application de l'article 16 de la présente ordonnance, devant le juge d'instruction ou le magistrat par lui délégué, y compris selon les modalités prévues à l'article 706-71 du code de procédure pénale. Le cas échéant, la chambre de l'instruction statue dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 18 de la présente ordonnance » ».
4. L'article 5 de la loi du 9 juillet 2020 mentionnée ci-dessus prévoit : « L'article 1er est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1 ° Après le 4 ° du I, il est inséré un 5 ° ainsi rédigé :
« « 5 ° Habiliter le haut-commissaire à prendre, dans le strict respect de la répartition des compétences, des mesures de mise en quarantaine des personnes susceptibles d'être affectées et de placement et maintien en isolement des personnes affectées dans les conditions prévues au II des articles L. 3131-15 et L. 3131-17 du code de la santé publique » ;
« 2 ° Le II est ainsi rédigé :
« "II. - Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées au I et les rend applicables à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française, il peut habiliter le haut-commissaire à les adapter en fonction des circonstances locales et à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions lorsqu'elles relèvent de la compétence de l'État, après consultation du Gouvernement de la collectivité.
« « Lorsqu'une des mesures mentionnées au même I doit s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède pas la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, le Premier ministre peut habiliter le haut-commissaire à la décider lui-même, assortie des adaptations nécessaires s'il y a lieu et dans les mêmes conditions qu'au premier alinéa du présent II » ;
« 3 ° Le VII est applicable, sous réserve des adaptations prévues à l'article L. 3841-3 du code de la santé publique.
« La présente loi sera exécutée comme loi de l'État ».
5. Les requérants soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles rendent applicables en Nouvelle-Calédonie, sous réserve de certaines adaptations, le régime d'état d'urgence sanitaire et le régime transitoire qui en organise la sortie, méconnaîtraient la répartition des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie, compte tenu de la compétence exclusive dévolue aux institutions de ce territoire en matière de santé publique. Il en résulterait une méconnaissance, d'une part, du principe de libre administration des collectivités territoriales tel qu'il est défini aux articles 72 et 72-2 de la Constitution et, d'autre part, d'un « principe de non-intervention de l'État dans les domaines de compétence transférés à la Nouvelle-Calédonie », que les requérants demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître sur le fondement de l'article 77 de la Constitution et du point 5 du préambule de l'accord de Nouméa, et d'un « principe de l'irréversibilité de l'organisation politique découlant de l'accord de Nouméa », qu'ils invitent également le Conseil à reconnaître sur le fondement du point 5 de cet accord.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur les mots « en Nouvelle-Calédonie et » figurant au premier alinéa de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique, sur les mots « selon le cas, par la référence à la Nouvelle-Calédonie ou » figurant au deuxième alinéa de ce même article, sur les mots « à la Nouvelle-Calédonie ou » figurant à son quatrième alinéa ainsi que sur les mots « la Nouvelle-Calédonie ou » figurant à son cinquième alinéa. Elle porte, d'autre part, sur les mots « en Nouvelle-Calédonie et » figurant au premier alinéa de l'article 5 de la loi du 9 juillet 2020, sur les mots « à la Nouvelle-Calédonie ou » figurant au cinquième alinéa de ce même article ainsi que sur les mots « la Nouvelle-Calédonie ou » figurant à son sixième alinéa.
7. Le 5 mai 1998, a été signé à Nouméa, entre le Gouvernement de la République française et les représentants des principales formations politiques de Nouvelle-Calédonie, un « accord sur la Nouvelle-Calédonie » qui, outre un « Préambule », comprend un « Document d'orientation » relatif, en son point 3, aux « compétences » dévolues à l'État et à la Nouvelle-Calédonie, aux termes duquel : « Les compétences détenues par l'État seront transférées à la Nouvelle-Calédonie dans les conditions suivantes :
« - certaines seront transférées dès la mise en œuvre de la nouvelle organisation politique ;
« - d'autres le seront dans des étapes intermédiaires ;
« - d'autres seront partagées entre l'État et la Nouvelle-Calédonie ;
« - les dernières, de caractère régalien, ne pourront être transférées qu'à l'issue de la consultation mentionnée au 5… ».
8. Les institutions de la Nouvelle-Calédonie sont régies par le titre XIII de la Constitution, qui comprend les articles 76 et 77.
9. En vertu de l'article 76 de la Constitution, « Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française… ».
10. Aux termes de l'article 77 de la Constitution : « Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre :
« - les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci… ».
11. Il en résulte que si le législateur est compétent pour rendre applicables en Nouvelle-Calédonie des dispositions législatives, c'est à la condition que ces dispositions n'interviennent pas dans des matières relevant des compétences ayant été transférées aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, de façon définitive, par la loi organique dans le respect des orientations définies par l'accord de Nouméa auxquelles le titre XIII de la Constitution confère valeur constitutionnelle.
12. La méconnaissance du domaine des compétences ainsi définitivement transférées peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.
13. Les dispositions contestées ont pour objet de rendre applicables en Nouvelle-Calédonie, sous réserve de certaines adaptations, le régime de l'état d'urgence sanitaire et le régime transitoire qui en organise la sortie.
14. Il résulte du 4 ° de l'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999 mentionnée ci-dessus, prise en application de l'article 77 de la Constitution, que les compétences dévolues à la Nouvelle-Calédonie comprennent la réglementation en matière de « Protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières ». Toutefois, conformément au point 3.3 de l'accord de Nouméa, qui stipule que l'ordre public reste de la compétence de l'État jusqu'à la nouvelle organisation politique résultant de la consultation des populations intéressées prévue au cours du mandat du congrès de la Nouvelle-Calédonie commençant en 2014, le 1 ° du paragraphe I de l'article 21 de cette loi organique prévoit que l'État est compétent en matière de « garanties des libertés publiques ».
15. En premier lieu, d'une part, en application des dispositions contestées de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique issues de l'ordonnance du 22 avril 2020 mentionnée ci-dessus, la déclaration de l'état d'urgence sanitaire, qui ne peut être décidée, en vertu de l'article L. 3131-12 du même code, qu'« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », permet au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et, lorsqu'il reçoit leur habilitation, au haut-commissaire de prendre ou adapter, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, diverses mesures afin de faire face à une crise sanitaire grave. En application de l'article L. 3131-15 du même code, peuvent à ce titre être décidés, aux seules fins de garantir la santé publique, la réglementation ou l'interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, l'interdiction de sortie du domicile, des mesures de mise en quarantaine et d'isolement, la réglementation de l'ouverture et la fermeture provisoire d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, l'interdiction des rassemblements sur la voie publique, la réquisition des biens et services ainsi que de toute personne nécessaire à la lutte contre la catastrophe sanitaire, le contrôle temporaire des prix de certains produits, des mesures permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire et toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre.
16. D'autre part, en application des articles 1er et 5 de la loi du 9 juillet 2020 relative au régime transitoire organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, le Premier ministre, le ministre chargé de la santé et le haut-commissaire peuvent prendre ou adapter, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, diverses mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Ils peuvent ainsi réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules ainsi que des moyens de transport collectif, réglementer l'ouverture ou ordonner la fermeture provisoire des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités se déroulant sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public et imposer la réalisation d'un examen biologique de dépistage pour l'usage des transports publics aériens.
17. Si elles poursuivent un objectif de protection de la santé publique, ces mesures exceptionnelles, temporaires et limitées à la mesure strictement nécessaire pour répondre à une catastrophe sanitaire et à ses conséquences, se rattachent à la garantie des libertés publiques et ne relèvent donc pas de la compétence de la Nouvelle-Calédonie.
18. En second lieu, en étendant à la Nouvelle-Calédonie les mesures prévues par l'article L. 3131-16 du code de la santé publique permettant au ministre chargé de la santé ou au haut-commissaire de prescrire ou d'adapter, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, « toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé », autre que celles prévues à l'article L. 3131-15, pour mettre fin à la catastrophe sanitaire, le législateur n'a visé que les mesures qui, parce qu'elles concernent l'ordre public ou les garanties des libertés publiques, relèvent de la compétence de l'État. Cette extension est donc sans incidence sur les compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé.
19. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de libre administration des collectivités territoriales ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. Sont conformes à la Constitution :
- les mots « en Nouvelle-Calédonie et » figurant au premier alinéa de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, les mots « selon le cas, par la référence à la Nouvelle-Calédonie ou » figurant au deuxième alinéa de ce même article, les mots « à la Nouvelle-Calédonie ou » figurant à son quatrième alinéa ainsi que les mots « la Nouvelle-Calédonie ou » figurant à son cinquième alinéa ;
- les mots « en Nouvelle-Calédonie et » figurant au premier alinéa de l'article 5 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, les mots « à la Nouvelle-Calédonie ou » figurant au cinquième alinéa de ce même article ainsi que les mots « la Nouvelle-Calédonie ou » figurant à son sixième alinéa.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 décembre 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 4 décembre 2020.
JORF n°0294 du 5 décembre 2020, texte n° 89
ECLI : FR : CC : 2020 : 2020.869.QPC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.5. CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
1.5.15. Titre XIII - Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie
Le 5 mai 1998, a été signé à Nouméa, entre le Gouvernement de la République française et les représentants des principales formations politiques de Nouvelle-Calédonie, un « accord sur la Nouvelle-Calédonie » qui, outre un « Préambule », comprend un « Document d'orientation » relatif, en son point 3, aux « compétences » dévolues à l'État et à la Nouvelle-Calédonie, aux termes duquel : « Les compétences détenues par l'État seront transférées à la Nouvelle-Calédonie dans les conditions suivantes :
« - certaines seront transférées dès la mise en œuvre de la nouvelle organisation politique ;
« - d'autres le seront dans des étapes intermédiaires ;
« - d'autres seront partagées entre l'État et la Nouvelle-Calédonie ;
« - les dernières, de caractère régalien, ne pourront être transférées qu'à l'issue de la consultation mentionnée au 5… ».
Les institutions de la Nouvelle-Calédonie sont régies par le titre XIII de la Constitution, qui comprend les articles 76 et 77.
En vertu de l'article 76 de la Constitution, « Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française… ».
Aux termes de l'article 77 de la Constitution : « Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre :
« - les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci… ».
Il en résulte que si le législateur est compétent pour rendre applicables en Nouvelle-Calédonie des dispositions législatives, c'est à la condition que ces dispositions n'interviennent pas dans des matières relevant des compétences ayant été transférées aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, de façon définitive, par la loi organique dans le respect des orientations définies par l'accord de Nouméa auxquelles le titre XIII de la Constitution confère valeur constitutionnelle.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.1. NOTION DE " DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT " (art. 61-1)
- 4.1.4. Constitution du 4 octobre 1958
4.1.4.11. Articles 76 et 77
La méconnaissance du domaine des compétences définitivement transférées aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, en application des articles 76 et 77 de la Constitution ainsi que de la loi organique déterminant ces compétences dans le respect des orientations définies par l'accord de Nouméa auxquelles le titre XIII de la Constitution confère valeur constitutionnelle, peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.2. Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel
- 11.6.2.1. Notion de disposition législative et interprétation
11.6.2.1.2. Caractère législatif des dispositions
Le Conseil constitutionnel se reconnaît implicitement compétent pour statuer sur les dispositions d'une ordonnance non ratifiée de l'article 38 de la Constitution, après avoir relevé, dans les visas de sa décision, que le délai d'habilitation fixé par la loi sur le fondement de laquelle avait été prise l'ordonnance était expiré, en précisant la date de cette expiration.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.
- 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
- 14.5. DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE (article 77)
- 14.5.4. Transferts de compétence
14.5.4.6. Garanties des libertés publiques
Les dispositions contestées ont pour objet de rendre applicables en Nouvelle-Calédonie, sous réserve de certaines adaptations, le régime de l'état d'urgence sanitaire et le régime transitoire qui en organise la sortie. Il résulte du 4° de l'article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, prise en application de l'article 77 de la Constitution, que les compétences dévolues à la Nouvelle-Calédonie comprennent la réglementation en matière de « Protection sociale, hygiène publique et santé, contrôle sanitaire aux frontières ». Toutefois, conformément au point 3.3 de l'accord de Nouméa, qui stipule que l'ordre public reste de la compétence de l'État jusqu'à la nouvelle organisation politique résultant de la consultation des populations intéressées prévue au cours du mandat du congrès de la Nouvelle-Calédonie commençant en 2014, le 1° du paragraphe I de l'article 21 de cette loi organique prévoit que l'État est compétent en matière de « garanties des libertés publiques ». En premier lieu, d'une part, en application des dispositions contestées de l'article L. 3841-2 du code de la santé publique issues de l'ordonnance n° 2020-463 du 22 avril 2020, la déclaration de l'état d'urgence sanitaire, qui ne peut être décidée, en vertu de l'article L. 3131-12 du même code, qu'« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », permet au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et, lorsqu'il reçoit leur habilitation, au haut-commissaire de prendre ou adapter, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, diverses mesures afin de faire face à une crise sanitaire grave. En application de l'article L. 3131-15 du même code, peuvent à ce titre être décidés, aux seules fins de garantir la santé publique, la réglementation ou l'interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, l'interdiction de sortie du domicile, des mesures de mise en quarantaine et d'isolement, la réglementation de l'ouverture et la fermeture provisoire d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, l'interdiction des rassemblements sur la voie publique, la réquisition des biens et services ainsi que de toute personne nécessaire à la lutte contre la catastrophe sanitaire, le contrôle temporaire des prix de certains produits, des mesures permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire et toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre. D'autre part, en application des articles 1er et 5 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 relative au régime transitoire organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, le Premier ministre, le ministre chargé de la santé et le haut-commissaire peuvent prendre ou adapter, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, diverses mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Ils peuvent ainsi réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules ainsi que des moyens de transport collectif, réglementer l'ouverture ou ordonner la fermeture provisoire des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités se déroulant sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public et imposer la réalisation d'un examen biologique de dépistage pour l'usage des transports publics aériens. Si elles poursuivent un objectif de protection de la santé publique, ces mesures exceptionnelles, temporaires et limitées à la mesure strictement nécessaire pour répondre à une catastrophe sanitaire et à ses conséquences, se rattachent à la garantie des libertés publiques et ne relèvent donc pas de la compétence de la Nouvelle-Calédonie. En second lieu, en étendant à la Nouvelle-Calédonie les mesures prévues par l'article L. 3131-16 du code de la santé publique permettant au ministre chargé de la santé ou au haut-commissaire de prescrire ou d'adapter, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, « toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé », autre que celles prévues à l'article L. 3131-15, pour mettre fin à la catastrophe sanitaire, le législateur n'a visé que les mesures qui, parce qu'elles concernent l'ordre public ou les garanties des libertés publiques, relèvent de la compétence de l'État. Cette extension est donc sans incidence sur les compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du domaine des compétences définitivement transférées aux institutions de la Nouvelle-Calédonie.