Décision n° 2020-864 QPC du 13 novembre 2020
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 septembre 2020 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1034 du 10 septembre 2020), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Route destination voyages par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-864 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 243-7-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Nord - Pas-de-Calais, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 23 et 30 septembre 2020 et le 1er octobre 2020 ;
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 30 septembre 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 1er octobre 2020 ;
- les secondes observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 15 octobre 2020 ;
- la lettre du 30 octobre 2020 par laquelle le Conseil constitutionnel a communiqué aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
- les observations en réponse présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 2 novembre 2020 ;
- les observations en réponse présentées pour l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Nord - Pas-de-Calais par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Nord - Pas-de-Calais, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3 novembre 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 243-7-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 17 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-4 peuvent procéder au redressement des cotisations et contributions dues sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé qui leur sont transmis par les agents mentionnés à l'article L. 8271-1-2 du code du travail. Ces organismes ainsi que ceux mentionnés à l'article L. 611-8 du présent code mettent en recouvrement ces cotisations et contributions ».
2. La société requérante soutient que ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, méconnaîtraient les droits de la défense et le principe du contradictoire au motif qu'elles autoriseraient les organismes de recouvrement à procéder au redressement de cotisations et contributions sociales sur la base de procès-verbaux de travail dissimulé sans que ces procès-verbaux soient préalablement communiqués aux personnes faisant l'objet du redressement. Selon elle, ces dispositions seraient également contraires au principe d'égalité devant la justice au motif que, parmi les personnes qui font l'objet d'un tel redressement, seules celles qui sont poursuivies pénalement pourraient obtenir communication des procès-verbaux dans le cadre de la procédure pénale.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé » figurant à la première phrase de l'article L. 243-7-5 du code de la sécurité sociale.
- Sur les conclusions aux fins de non-lieu :
4. La partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée soutient qu'il n'y aurait pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit, dans la mesure où, selon elle, les griefs de la société requérante seraient, en réalité, dirigés contre l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale qui détermine la procédure contradictoire applicable aux redressements de cotisations et contributions sociales. Toutefois, une telle argumentation n'est pas de nature à remettre en cause la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel est saisi, telle que renvoyée par la Cour de cassation.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Cette disposition implique notamment qu'aucune sanction ayant le caractère d'une punition ne puisse être infligée à une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés. Le principe du contradictoire s'impose aux autorités disposant d'un pouvoir de sanction sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler l'existence.
6. Les dispositions contestées se bornent à autoriser les organismes de protection sociale et de recouvrement des cotisations et contributions sociales à procéder à des redressements sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé qui leur sont transmis par les agents d'autres organismes. Elles n'ont, ni par elles-mêmes ni en raison de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante leur aurait conférée, pour objet ou pour effet de faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires instituant une procédure contradictoire en cas de redressement de ces cotisations ou contributions après constatation des faits de travail dissimulé.
7. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant la justice ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé » figurant à la première phrase de l'article L. 243-7-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 novembre 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT.
Rendu public le 13 novembre 2020.
JORF n°0276 du 14 novembre 2020, texte n° 101
ECLI : FR : CC : 2020 : 2020.864.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
- 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
4.23.9.2. Compétence du législateur
L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique notamment qu'aucune sanction ayant le caractère d'une punition ne puisse être infligée à une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés. Le principe du contradictoire s'impose aux autorités disposant d'un pouvoir de sanction sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler l'existence.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
- 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
- 4.23.9.4. Sanctions administratives (voir également Titre 15 Autorités indépendantes)
4.23.9.4.1. Dispositions ne méconnaissant pas le respect des droits de la défense
Le principe du contradictoire s'impose aux autorités disposant d'un pouvoir de sanction sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler l'existence. Les dispositions contestées se bornent à autoriser les organismes de protection sociale et de recouvrement des cotisations et contributions sociales à procéder à des redressements sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé qui leur sont transmis par les agents d'autres organismes. Elles n'ont, ni par elles-mêmes ni en raison de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante leur aurait conférée, pour objet ou pour effet de faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires instituant une procédure contradictoire en cas de redressement de ces cotisations ou contributions après constatation des faits de travail dissimulé. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.2. Grief soulevé d'office par le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel communique aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office. Toutefois, ce grief n'est finalement pas évoqué dans la décision qui conclut à la constitutionnalité des dispositions contestées.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.3. Grief inopérant
La partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée soutient qu'il n'y aurait pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit, dans la mesure où, selon elle, les griefs de la société requérante seraient, en réalité, dirigés contre l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale qui détermine la procédure contradictoire applicable aux redressements de cotisations et contributions sociales. Toutefois, une telle argumentation n'est pas de nature à remettre en cause la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel est saisi, telle que renvoyée par la Cour de cassation.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.