Décision n° 2020-850 QPC du 17 juin 2020
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 mai 2020 par le Conseil d'État (décision n° 440335 du 25 mai 2020), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Patricia W. par Mes Romain Geoffret et Maxime Rosier, avocats au barreau de Montpellier. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-850 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 262 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des français établis hors de France sur les listes électorales.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des français établis hors de France sur les listes électorales ;
- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral ;
- les décisions du Conseil constitutionnel nos 82-146 DC du 18 novembre 1982 et 2013-667 DC du 16 mai 2013 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par Mes Geoffret et Rosier, enregistrées le 3 juin 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Geoffret pour la requérante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 juin 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Dans sa rédaction résultant de la loi du 19 novembre 1982 mentionnée ci-dessus, l'article L. 262 du code électoral, relatif au mode de scrutin applicable à l'élection des conseillers municipaux des communes d'au moins 1 000 habitants, prévoit : « Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après.
« Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. En cas d'égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d'âge la plus élevée. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après.
« Les listes qui n'ont pas obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés ne sont pas admises à répartition des sièges.
« Les sièges sont attribués aux candidats dans l'ordre de présentation sur chaque liste.
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l'attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus ».
2. Selon la requérante, si ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982 mentionnée ci-dessus, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 inscrivant le principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions à l'article 4 de la Constitution et la consécration jurisprudentielle du principe de sincérité du scrutin intervenue depuis lors constitueraient des changements de circonstances justifiant leur réexamen. Elle invoque également, au soutien d'un tel réexamen, l'extension du champ d'application de ces dispositions, initialement applicables aux communes d'au moins 3 500 habitants, à celles d'au moins 1 000 habitants par la loi du 17 mai 2013 mentionnée ci-dessus, d'une part, et l'important taux d'abstention constaté lors du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020, d'autre part.
3. Sur le fond, la requérante reproche aux dispositions renvoyées de permettre que l'élection du conseil municipal d'une commune d'au moins 1 000 habitants puisse être acquise dès le premier tour de scrutin, sans exiger que la liste ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés ait également recueilli un nombre de suffrages correspondant à une part minimale du nombre des électeurs inscrits. En premier lieu, il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant le suffrage, dès lors que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, l'élection dès le premier tour nécessite d'avoir réuni, non seulement la majorité absolue des suffrages exprimés, mais aussi un nombre de suffrages égal au quart des électeurs inscrits. En deuxième lieu, en permettant l'élection de conseillers municipaux dont la requérante juge qu'ils seraient dépourvus de toute représentativité minimale, ces dispositions contreviendraient à un principe d'« équité du scrutin », aux principes de sincérité et de loyauté du scrutin, au « principe démocratique » et au principe de la souveraineté nationale. En dernier lieu, ces dispositions seraient contraires à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que la requérante demande au Conseil constitutionnel de reconnaître, selon lequel, pour toute élection locale à deux tours, nul ne peut être élu au premier tour de scrutin s'il n'a réuni un nombre de suffrages égal au quart des électeurs inscrits.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « la majorité absolue des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du premier alinéa et du deuxième alinéa de l'article L. 262 du code électoral.
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
6. Dans sa décision du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article L. 262 du code électoral, dans la même rédaction que celle contestée par la requérante. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision.
7. Si, depuis cette décision, le champ d'application de ces dispositions a été étendu aux communes d'au moins 1 000 habitants, les dispositions prévoyant cette extension ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mai 2013 mentionnée ci-dessus. En outre, ni la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ni la mention explicite du principe de sincérité du scrutin dans des décisions du Conseil constitutionnel postérieures aux décisions précitées ne constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées. Enfin, le taux d'abstention des électeurs lors du scrutin qui s'est tenu le 15 mars 2020 et le contexte particulier lié à l'épidémie de covid-19 ne constituent pas non plus un changement des circonstances justifiant un tel réexamen.
8. Dès lors, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 262 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des français établis hors de France sur les listes électorales.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 juin 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 17 juin 2020 .
JORF n°0149 du 18 juin 2020, texte n° 74
ECLI : FR : CC : 2020 : 2020.850.QPC
Les abstracts
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.7. Autorité des décisions du Conseil constitutionnel
- 11.8.7.1. Hypothèses où la chose jugée est opposée
- 11.8.7.1.1. Contentieux des normes
- 11.8.7.1.1.4. Contentieux de l'article 61-1 (contrôle a posteriori)
11.8.7.1.1.4.1. Refus de reconnaître un changement des circonstances
Si, depuis la décision du Conseil constitutionnel n° 82-146 DC du 18 novembre 1962 déclarant conformes à la Constitution les dispositions contestées dans la question prioritaire de constitutionnalité, le champ d'application de ces dispositions a été étendu aux communes d'au moins 1 000 habitants, les dispositions prévoyant cette extension ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013. En outre, ni la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ni la mention explicite du principe de sincérité du scrutin dans des décisions du Conseil constitutionnel postérieures aux décisions précitées ne constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées. Enfin, le taux d'abstention des électeurs lors du scrutin qui s'est tenu le 15 mars 2020 et le contexte particulier lié à l'épidémie de covid-19 ne constituent pas non plus un changement des circonstances justifiant un tel réexamen. Non-lieu à statuer.