Décision

Décision n° 2019-796 QPC du 5 juillet 2019

Société Autolille [Annulation des réductions ou exonérations des cotisations et contributions sociales des donneurs d'ordre en cas de travail dissimulé]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mai 2019 par le Conseil d'État (décision n° 428206 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Autolille par Mes Stéphane Austry et Dov Milsztajn, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-796 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de la sécurité sociale ;
  • le code du travail ;
  • la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 ;
  • la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 mai 2019 ;
  • les observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Milsztajn, enregistrées le 31 mai 2019 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 mai 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Milsztajn, enregistrées le 12 juin 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour l'agence centrale des organismes de sécurité sociale par Me Gatineau, enregistrées le 13 juin 2019 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Mes Austry et Milsztajn, pour la société requérante, Me Gatineau, pour la partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 juin 2019 ;

Au vu de la note en délibéré présentée pour la société requérante par Mes Austry et Milsztajn, enregistrées le 26 juin 2019 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une des obligations définies à l'article L. 8222-1 du code du travail et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé par dissimulation d'activité ou d'emploi salarié, l'organisme de recouvrement procède à l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés. Le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage encourt la même sanction, dans les mêmes conditions, lorsqu'il est constaté qu'il a manqué à l'obligation mentionnée à l'article L. 8222-5 du code du travail.
« L'annulation s'applique pour chacun des mois au cours desquels les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article sont vérifiées. Elle est calculée selon les modalités prévues aux deux derniers alinéas de l'article L. 133-4-2, sans que son montant global puisse excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale.
« Les modalités d'application du présent article, en particulier la manière dont est assuré le respect du principe du contradictoire, sont déterminées par décret en Conseil d'État ».

2. La société requérante soutient en premier lieu que ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. En effet, elles privent le donneur d'ordre des exonérations et réductions de cotisations sociales dont il a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés dès lors qu'il n'a pas respecté ses obligations de vigilance et de diligence à l'égard de son cocontractant, qui s'est rendu coupable d'un travail dissimulé. Ce faisant, le législateur aurait institué une sanction fondée sur une assiette dépourvue de lien avec le comportement sanctionné. La disproportion de cette sanction résulterait également de l'absence de caractère intentionnel du comportement réprimé. La société requérante se prévaut en second lieu du principe d'égalité devant la loi, alléguant une différence de traitement non justifiée entre donneurs d'ordre, selon leur nombre de salariés alors pourtant que leur cocontractant a commis dans les mêmes proportions l'infraction de travail dissimulé.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines :

3. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

4. D'une part, l'article L. 8222-1 du code du travail impose, lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, de vérifier que son cocontractant s'acquitte des formalités dont l'omission caractérise le délit de travail dissimulé. Cette obligation se poursuit périodiquement lors de l'exécution du contrat. D'autre part, en vertu de l'article L. 8222-5 du même code, le donneur d'ordre est tenu d'enjoindre aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai la situation de travail dissimulé dont il aura préalablement été informé.

5. Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une de ces obligations et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé, les dispositions contestées prévoient de sanctionner le donneur d'ordre. Cette sanction, qui présente le caractère d'une punition, consiste en l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions sociales dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés.

6. En premier lieu, les dispositions contestées répriment des manquements par un donneur d'ordre à ses obligations de vigilance ou de diligence dont l'effet est de faciliter la réalisation du travail dissimulé par son cocontractant ou de contribuer à celle-ci. En prévoyant que le donneur d'ordre est, dans cette hypothèse, privé des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés, le législateur a entendu lutter contre le travail dissimulé tout en responsabilisant spécifiquement les donneurs d'ordre bénéficiant de telles réductions ou exonérations. Il a entendu tenir compte des liens économiques entre les cocontractants résultant du recours à la sous-traitance.

7. En deuxième lieu, la sanction contestée est plafonnée à un montant de 15 000 euros pour une personne physique et de 75 000 euros pour une personne morale, quel que soit le montant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dues aux organismes de sécurité sociale obtenues par le donneur d'ordre.

8. En dernier lieu, l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2018 mentionnée ci-dessus, précise que, lorsque les rémunérations dissimulées au cours du mois sont inférieures à la rémunération mensuelle minimale prévue par la loi, l'annulation des réductions et exonérations est réduite à due proportion en leur appliquant un coefficient égal au rapport entre les rémunérations dues ou versées en contrepartie du travail dissimulé et la rémunération mensuelle minimale. En outre, cette annulation ne s'applique que pour chacun des mois au cours desquels le cocontractant a exercé un travail dissimulé. La sanction prononcée est donc modulée en fonction de l'ampleur et de la durée du travail dissimulé que le manquement sanctionné a pu faciliter.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a retenu une sanction en adéquation avec l'objectif poursuivi et qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

10. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

11. Les dispositions contestées prévoient une sanction identique, dans son principe, pour tout donneur d'ordre ayant manqué à ses obligations de diligence et de vigilance en matière de travail dissimulé à l'égard de son cocontractant, sans distinguer entre les donneurs d'ordre selon le montant des réductions ou exonérations dont ils ont bénéficié pour l'emploi de leurs salariés. Le législateur n'ayant ainsi institué aucune différence de traitement, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

12. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - L'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 juillet 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 5 juillet 2019.

JORF n°0155 du 6 juillet 2019, texte n° 125
ECLI : FR : CC : 2019 : 2019.796.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.2. Absence de méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines
  • 4.23.3.2.1. Détermination des infractions et des peines

D'une part, l'article L. 8222-1 du code du travail impose, lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, de vérifier que son cocontractant s'acquitte des formalités dont l'omission caractérise le délit de travail dissimulé. Cette obligation se poursuit périodiquement lors de l'exécution du contrat. D'autre part, en vertu de l'article L. 8222-5 du même code, le donneur d'ordre est tenu d'enjoindre aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai la situation de travail dissimulé dont il aura préalablement été informé.
Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une de ces obligations et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé, les dispositions contestées prévoient de sanctionner le donneur d'ordre. Cette sanction, qui présente le caractère d'une punition, consiste en l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions sociales dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés.
En premier lieu, les dispositions contestées répriment des manquements par un donneur d'ordre à ses obligations de vigilance ou de diligence dont l'effet est de faciliter la réalisation du travail dissimulé par son cocontractant ou de contribuer à celle-ci. En prévoyant que le donneur d'ordre est, dans cette hypothèse, privé des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés, le législateur a entendu lutter contre le travail dissimulé tout en responsabilisant spécifiquement les donneurs d'ordre bénéficiant de telles réductions ou exonérations. Il a entendu tenir compte des liens économiques entre les cocontractants résultant du recours à la sous-traitance.
En deuxième lieu, la sanction contestée est plafonnée à un montant de 15 000 euros pour une personne physique et de 75 000 euros pour une personne morale, quel que soit le montant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dues aux organismes de sécurité sociale obtenues par le donneur d'ordre.
En dernier lieu, l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2018 mentionnée ci-dessus, précise que, lorsque les rémunérations dissimulées au cours du mois sont inférieures à la rémunération mensuelle minimale prévue par la loi, l'annulation des réductions et exonérations est réduite à due proportion en leur appliquant un coefficient égal au rapport entre les rémunérations dues ou versées en contrepartie du travail dissimulé et la rémunération mensuelle minimale. En outre, cette annulation ne s'applique que pour chacun des mois au cours desquels le cocontractant a exercé un travail dissimulé. La sanction prononcée est donc modulée en fonction de l'ampleur et de la durée du travail dissimulé que le manquement sanctionné a pu faciliter.
Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a retenu une sanction en adéquation avec l'objectif poursuivi et qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.

(2019-796 QPC, 05 juillet 2019, cons. 4, 5, 6, 7, 8, 9, JORF n°0155 du 6 juillet 2019, texte n° 125)
  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
  • 5.1.3.9. Droit social
  • 5.1.3.9.6. Droit du travail et droit syndical

Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une de ces obligations et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé, les dispositions contestées prévoient de sanctionner le donneur d'ordre. Cette sanction, qui présente le caractère d'une punition, consiste en l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions sociales dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés.
Les dispositions contestées prévoient une sanction identique, dans son principe, pour tout donneur d'ordre ayant manqué à ses obligations de diligence et de vigilance en matière de travail dissimulé à l'égard de son cocontractant, sans distinguer entre les donneurs d'ordre selon le montant des réductions ou exonérations dont ils ont bénéficié pour l'emploi de leurs salariés. Le législateur n'ayant ainsi institué aucune différence de traitement, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

(2019-796 QPC, 05 juillet 2019, cons. 4, 5, 11, JORF n°0155 du 6 juillet 2019, texte n° 125)
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