Décision

Décision n° 2019-792 QPC du 21 juin 2019

Clinique Saint Cœur et autres [Dépassement d'honoraires dans le cadre de l'activité libérale des praticiens des établissements publics de santé]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 avril 2019 par le Conseil d'État (décision n° 427173 du 12 avril 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la clinique Saint Cœur, la clinique des Grainetières et la Fédération de l'hospitalisation privée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-792 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de la santé publique ;
  • le code de la sécurité sociale ;
  • l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ratifiée par l'article unique de la loi n° 2017-1487 du 23 octobre 2017 ratifiant l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 mai 2019 ;
  • les observations présentées pour les parties requérantes par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrées le 22 mai 2019 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties requérantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 juin 2019 ;

Au vu de la note en délibéré présentée pour les parties requérantes par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrée le 13 juin 2019 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le 4 ° du paragraphe I de l'article L. 6112-2 du code de la santé publique garantit, au sein du service public hospitalier, l'absence de facturation des dépassements d'honoraires et des dépassements des tarifs réglementaires. L'article L. 6154-2 du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 12 janvier 2017 mentionnée ci-dessus, définit les conditions d'exercice de l'activité libérale de certains praticiens des établissements publics de santé. Le dernier alinéa de son paragraphe II prévoit : « Des dispositions réglementaires, qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4 ° du I de l'article L. 6112-2, fixent les modalités d'exercice de l'activité libérale ».

2. Les parties requérantes reprochent à ces dispositions de réserver aux praticiens des établissements publics de santé la possibilité d'exercer, au sein de leur établissement, une activité libérale non soumise à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires. Elles soutiennent, en premier lieu, qu'il en résulterait une double différence de traitement, contraire au principe d'égalité devant la loi. La première serait établie entre les patients des établissements publics de santé. Selon qu'ils sont soignés par un praticien exerçant ou non à titre libéral, ces patients ne bénéficieraient pas tous de la garantie d'absence de dépassements d'honoraires. La seconde différence de traitement distinguerait entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés habilités à assurer le service public hospitalier, dans la mesure où seuls les premiers peuvent recruter des médecins autorisés à pratiquer des dépassements d'honoraires dans le cadre de l'exercice d'une activité libérale au sein de l'établissement. Les parties requérantes font valoir, en second lieu, qu'en réservant une telle possibilité de recrutement aux établissements publics de santé, sans l'étendre aux établissements de santé privés, ces dispositions rendraient trop difficile l'habilitation de ces derniers à l'exercice du service public hospitalier. Elles en concluent à une méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4 ° du I de l'article L. 6112-2 » figurant au dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique.

4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. D'une part, en application de l'article L. 6112-3 du code de la santé publique, le service public hospitalier est assuré, notamment, par les établissements publics de santé et, sur leur demande, par les établissements de santé privés habilités par le directeur général de l'agence régionale de santé. Selon le 4 ° du paragraphe I de l'article L. 6112-2 du même code, les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services l'absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l'autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1 ° du paragraphe I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale.

6. D'autre part, en vertu des articles L. 6154-1 et L. 6154-2 du code de la santé publique, les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé peuvent être autorisés à exercer, dans leur établissement, une activité libérale.

7. Les dispositions contestées permettent au pouvoir réglementaire de prévoir, en faveur de ces praticiens, des dérogations à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires.

8. En premier lieu, lorsqu'ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens des établissements publics de santé n'interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier. Le patient accueilli dans un tel établissement peut ainsi bénéficier d'une prestation assurée soit par un praticien exerçant à titre libéral en dehors du cadre du service public hospitalier, sans garantie d'absence de dépassements d'honoraires, soit par un praticien intervenant dans le cadre du service public hospitalier, alors tenu à l'absence de facturation de tels dépassements. À cet égard, le paragraphe II de l'article L. 6154-2 garantit l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique. Les dispositions contestées n'instaurent ainsi aucune différence de traitement entre les patients accueillis dans un établissement public de santé.

9. En second lieu, d'une part, les praticiens publics qui peuvent bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions contestées sont, en raison de leur situation statutaire, tenus de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et universitaires. Il en va différemment des médecins libéraux employés par un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier, qui n'ont pas nécessairement vocation à y consacrer l'intégralité de leur carrière et qui ne sont pas tenus d'exercer à plein temps leur activité au sein de cet établissement. Ces derniers peuvent donc exercer, dans des proportions que la loi les laisse libres de déterminer, d'autres activités médicales, non soumises à l'interdiction de dépassements d'honoraires, dans le cadre de la médecine de ville ou dans un établissement de santé n'assurant pas le service public hospitalier. La différence de traitement contestée, entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés, repose donc sur une différence de situation.

10. D'autre part, la possibilité pour les praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé d'exercer une activité libérale au sein de l'établissement est soumise à plusieurs conditions. Elle ne doit pas entraver l'accomplissement des missions du service public hospitalier. Les praticiens doivent être adhérents à la convention régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins, mentionnée à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, relative à l'encadrement des tarifs. Ils doivent exercer personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public. La durée de l'activité libérale ne doit pas excéder 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints. Le nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité libérale doit être inférieur au nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité publique. Enfin, aucun lit ni aucune installation médico-technique ne doit être réservé à l'activité libérale. L'exercice, dans de telles conditions, d'une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé. Il permet ainsi d'améliorer l'attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé.

11. Dans la mesure où la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires contribue à cette attractivité, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l'objet de la loi.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

13. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4 ° du I de l'article L. 6112-2 » figurant au dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 21 juin 2019.

JORF n°0143 du 22 juin 2019, texte n° 83
ECLI : FR : CC : 2019 : 2019.792.QPC

Les abstracts

  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
  • 5.1.3.12. Applications diverses
  • 5.1.3.12.5. Service public hospitalier

Les dispositions contestées permettent au pouvoir réglementaire de prévoir des dérogations à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires, en faveur des praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé autorisés à exercer, dans leur établissement, une activité libérale. Lorsqu'ils exercent une telle activité, ces praticiens n'interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier. Le patient accueilli dans un tel établissement peut ainsi bénéficier d'une prestation assurée soit par un praticien exerçant à titre libéral en dehors du cadre du service public hospitalier, sans garantie d'absence de dépassements d'honoraires, soit par un praticien intervenant dans le cadre du service public hospitalier, alors tenu à l'absence de facturation de tels dépassements. À cet égard, le paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique garantit l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique. Les dispositions contestées n'instaurent ainsi aucune différence de traitement entre les patients accueillis dans un établissement public de santé.

(2019-792 QPC, 21 juin 2019, cons. 4, 5, JORF n°0143 du 22 juin 2019, texte n° 83 )
  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.4. Respect du principe d'égalité : différence de traitement justifiée par une différence de situation
  • 5.1.4.23. Droit de la santé

Les dispositions contestées permettent au pouvoir réglementaire de prévoir des dérogations à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires, en faveur des praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé autorisés à exercer, dans leur établissement, une activité libérale.
D'une part, les praticiens publics qui peuvent bénéficier d'une telle dérogation sont, en raison de leur situation statutaire, tenus de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et universitaires. Il en va différemment des médecins libéraux employés par un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier, qui n'ont pas nécessairement vocation à y consacrer l'intégralité de leur carrière et qui ne sont pas tenus d'exercer à plein temps leur activité au sein de cet établissement. Ces derniers peuvent donc exercer, dans des proportions que la loi les laisse libres de déterminer, d'autres activités médicales, non soumises à l'interdiction de dépassements d'honoraires, dans le cadre de la médecine de ville ou dans un établissement de santé n'assurant pas le service public hospitalier. La différence de traitement contestée, entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés, repose donc sur une différence de situation.
D'autre part, la possibilité pour les praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé d'exercer une activité libérale au sein de l'établissement est soumise à plusieurs conditions. Elle ne doit pas entraver l'accomplissement des missions du service public hospitalier. Les praticiens doivent être adhérents à la convention régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins relative à l'encadrement des tarifs. Ils doivent exercer personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public. La durée de l'activité libérale ne doit pas excéder 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints. Le nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité libérale doit être inférieur au nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité publique. Enfin, aucun lit ni aucune installation médico-technique ne doit être réservé à l'activité libérale. L'exercice, dans de telles conditions, d'une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé. Il permet ainsi d'améliorer l'attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé. Dans la mesure où la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires contribue à cette attractivité, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l'objet de la loi. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.

(2019-792 QPC, 21 juin 2019, cons. 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, JORF n°0143 du 22 juin 2019, texte n° 83 )
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique, le Conseil constitutionnel juge qu'elle porte uniquement sur les mots « qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l'article L. 6112-2 » figurant à cet alinéa.

(2019-792 QPC, 21 juin 2019, cons. 3, JORF n°0143 du 22 juin 2019, texte n° 83 )
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi CE, Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
Toutes les décisions