Décision n° 2019-787 DC du 25 juillet 2019
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi pour une école de la confiance, sous le n° 2019-787 DC, le 5 juillet 2019, par MM. Christian JACOB, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Thibault BAZIN, Mmes Valérie BAZIN-MALGRAS, Émilie BONNIVARD, M. Ian BOUCARD, Mme Valérie BOYER, MM. Xavier BRETON, Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, Gérard CHERPION, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, MM. François CORNUT-GENTILLE, Rémi DELATTE, Fabien DI FILIPPO, Éric DIARD, Julien DIVE, Jean-Pierre DOOR, Pierre-Henri DUMONT, Daniel FASQUELLE, Nicolas FORISSIER, Laurent FURST, Mme Annie GENEVARD, MM. Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Mme Claire GUION-FIRMIN, MM. Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Mansour KAMARDINE, Mmes Brigitte KUSTER, Valérie LACROUTE, MM. Guillaume LARRIVÉ, Marc LE FUR, Mme Constance LE GRIP, M. Sébastien LECLERC, Mmes Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, MM. Emmanuel MAQUET, Olivier MARLEIX, Jean-Louis MASSON, Gérard MENUEL, Mme Frédérique MEUNIER, MM. Maxime MINOT, Jérôme NURY, Éric PAUGET, Mme Bérengère POLETTI, MM. Aurélien PRADIÉ, Alain RAMADIER, Robin REDA, Frédéric REISS, Bernard REYNES, Antoine SAVIGNAT, Jean-Marie SERMIER, Éric STRAUMANN, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Jean-Louis THIÉRIOT, Mme Laurence TRASTOUR-ISNART, MM. Charles de la VERPILLIÈRE, Arnaud VIALA et Michel VIALAY, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'éducation ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 15 juillet 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi pour une école de la confiance, dont ils contestent l'article 17.
- Sur l'article 17 :
2. L'article 17 de la loi déférée détermine les conditions dans lesquelles l'État attribue aux communes les ressources rendues nécessaires par l'abaissement à trois ans, au lieu de six, de l'âge à partir duquel l'instruction est obligatoire. Cet abaissement, prévu à l'article 11, entrera en vigueur à la rentrée scolaire 2019.
3. Les députés requérants reprochent à ces dispositions de ne bénéficier qu'aux communes qui ne finançaient pas déjà, de façon volontaire, des écoles maternelles. En effet, dans la mesure où elles limitent l'accompagnement financier de l'État à la compensation des seules charges supplémentaires créées par l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire, ces dispositions créeraient une différence de traitement entre les communes, contraire au principe d'égalité devant la loi. Pour les mêmes motifs, la liberté de l'enseignement et le principe d'égal accès à l'instruction seraient également méconnus.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Les dispositions contestées prévoient l'attribution par l'État à chaque commune, de manière pérenne, de ressources correspondant à l'augmentation, par rapport à l'année scolaire 2018‑2019, des dépenses obligatoires que la commune prend en charge au titre du financement des écoles et classes maternelles au cours de l'année scolaire 2019‑2020, dans la limite de la part d'augmentation résultant directement de l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire. Ces dépenses sont celles qui bénéficient aux écoles publiques et aux établissements d'enseignement privés ayant passé un contrat d'association avec l'État.
6. Il résulte des dispositions contestées une différence de traitement entre les communes, selon qu'elles finançaient ou non des classes maternelles avant l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire. Les communes qui n'en finançaient aucune bénéficient, de ce fait, d'une compensation financière de l'État correspondant à la totalité des charges résultant de cet abaissement. Il en va différemment des communes qui avaient financé de telles classes, soit au sein d'une école élémentaire publique, soit en créant une école maternelle publique, soit en donnant leur accord à la conclusion du contrat liant une école maternelle privée et l'État. Ces dernières communes ne bénéficient d'une compensation qu'à hauteur des charges créées par la loi déférée, résultant de l'augmentation du nombre d'élèves scolarisés ou de l'obligation de financer les écoles privées dont le contrat d'association n'avait pas été approuvé par la commune.
7. Toutefois, d'une part, les communes qui, au cours de l'année scolaire 2018-2019, avaient institué des classes maternelles ou écoles maternelles publiques ou approuvé des contrats d'association d'écoles maternelles privées, ont contribué à ce titre à leur financement, dans les conditions prévues par le code de l'éducation. Ces communes ne sont, ainsi, pas placées dans une situation identique à celle des autres communes, qui n'exerçaient pas déjà les mêmes compétences et ne supportaient donc pas les charges correspondantes.
8. D'autre part, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, qui consiste, en application de la seconde phrase du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, à accompagner de ressources financières une extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales.
9. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
10. L'article 17, qui ne méconnaît pas non plus la liberté de l'enseignement et le principe d'égal accès à l'instruction, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur la place d'autres dispositions dans la loi déférée :
11. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
12. L'article 33 prévoit une information des familles sur l'« intérêt » et les « enjeux » des offres d'apprentissage des langues et cultures régionales.
13. L'article 53 porte sur le droit de prescription des médecins scolaires et sur les conditions dans lesquelles les infirmiers de l'éducation nationale peuvent administrer des médicaments aux élèves et étudiants.
14. Introduites en première lecture, les dispositions des articles 33 et 53 ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
- Sur les autres dispositions :
15. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les articles 33 et 53 de la loi pour une école de la confiance sont contraires à la Constitution.
Article 2. - L'article 17 de la même loi est conforme à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 juillet 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 25 juillet 2019.
JORF n°0174 du 28 juillet 2019, texte n° 6
ECLI : FR : CC : 2019 : 2019.787.DC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.4. Respect du principe d'égalité : différence de traitement justifiée par une différence de situation
- 5.1.4.2. Collectivités territoriales
5.1.4.2.1. Communes
Les dispositions contestées déterminent les conditions dans lesquelles l'État attribue aux communes les ressources rendues nécessaires par l'abaissement à trois ans, au lieu de six, de l'âge à partir duquel l'instruction est obligatoire, abaissement entrant en vigueur à la rentrée scolaire 2019. Les dispositions contestées prévoient l'attribution par l'État à chaque commune, de manière pérenne, de ressources correspondant à l'augmentation, par rapport à l'année scolaire 2018‑2019, des dépenses obligatoires que la commune prend en charge au titre du financement des écoles et classes maternelles au cours de l'année scolaire 2019‑2020, dans la limite de la part d'augmentation résultant directement de l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire. Ces dépenses sont celles qui bénéficient aux écoles publiques et aux établissements d'enseignement privés ayant passé un contrat d'association avec l'État. Il résulte de ces dispositions contestées une différence de traitement entre les communes, selon qu'elles finançaient ou non des classes maternelles avant l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire. Les communes qui n'en finançaient aucune bénéficient, de ce fait, d'une compensation financière de l'État correspondant à la totalité des charges résultant de cet abaissement. Il en va différemment des communes qui avaient financé de telles classes, soit au sein d'une école élémentaire publique, soit en créant une école maternelle publique, soit en donnant leur accord à la conclusion du contrat liant une école maternelle privée et l'État. Ces dernières communes ne bénéficient d'une compensation qu'à hauteur des charges créées par la loi déférée, résultant de l'augmentation du nombre d'élèves scolarisés ou de l'obligation de financer les écoles privées dont le contrat d'association n'avait pas été approuvé par la commune.
Toutefois, d'une part, les communes qui, au cours de l'année scolaire 2018-2019, avaient institué des classes maternelles ou écoles maternelles publiques ou approuvé des contrats d'association d'écoles maternelles privées, ont contribué à ce titre à leur financement, dans les conditions prévues par le code de l'éducation. Ces communes ne sont, ainsi, pas placées dans une situation identique à celle des autres communes, qui n'exerçaient pas déjà les mêmes compétences et ne supportaient donc pas les charges correspondantes. D'autre part, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, qui consiste, en application de la seconde phrase du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, à accompagner de ressources financières une extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.5. Droit d'amendement
- 10.3.5.2. Recevabilité
- 10.3.5.2.5. Recevabilité en première lecture
10.3.5.2.5.4. Absence de lien indirect
L'article 33 prévoit une information des familles sur l'« intérêt » et les « enjeux » des offres d'apprentissage des langues et cultures régionales. L'article 53 porte sur le droit de prescription des médecins scolaires et sur les conditions dans lesquelles les infirmiers de l'éducation nationale peuvent administrer des médicaments aux élèves et étudiants. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.4. RECEVABILITÉ DES SAISINES (article 61 de la Constitution)
- 11.4.3. Conditions tenant à la forme de la saisine
11.4.3.2. Formes de la saisine
Des observations, qualifiées comme telles par leurs auteurs, émanant de plus de soixante députés, sont considérées comme une contribution extérieure et non comme une saisine, alors même qu'elles développent des griefs d'inconstitutionnalité de certaines dispositions.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.4. RECEVABILITÉ DES SAISINES (article 61 de la Constitution)
- 11.4.4. Effets de la saisine
11.4.4.2. Applications
Censure d'office de cavaliers législatifs (exemples).