Décision

Décision n° 2019-783 QPC du 17 mai 2019

M. Nicolas S. [Cumul de poursuites et de sanctions en cas de dépassement du plafond de dépenses par un candidat à l'élection présidentielle]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 février 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 448 du 19 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Nicolas S. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-783 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code électoral ;
  • la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;
  • la loi organique n° 2012-272 du 28 février 2012 relative au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle ;
  • l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
  • les décisions du Conseil constitutionnel n° 2006-536 DC du 5 avril 2006 et nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016 ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 18 mars 2019 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mai 2019 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 mentionnée ci-dessus et de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 dans sa rédaction résultant de la loi organique du 28 février 2012 mentionnée ci-dessus.

2. Le 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral, dans cette rédaction, prévoit que sera puni d'une amende de 3 750 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui : « Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l'article L. 52-11 ».

3. L'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, dans la rédaction mentionnée ci-dessus, prévoit : « L'ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à l'élection du Président de la République est remplacée par les dispositions suivantes ayant valeur organique.
« I. Quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin ouvert pour l'élection du Président de la République, le Gouvernement assure la publication de la liste des candidats.
« Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées par au moins cinq cents citoyens membres du Parlement, des conseils régionaux, de l'Assemblée de Corse, des conseils généraux des départements, de Mayotte, des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Conseil de Paris, de l'assemblée de la Polynésie française, du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna, maires, maires délégués des communes associées, maires des arrondissements de Lyon et de Marseille ou membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger. Les présidents des organes délibérants des communautés urbaines, des communautés d'agglomération, les présidents des communautés de communes, le président de la Polynésie française, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les ressortissants français membres du Parlement européen élus en France peuvent également, dans les mêmes conditions, présenter un candidat à l'élection présidentielle. Les présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures. Lorsqu'il est fait application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 7 de la Constitution, elles doivent parvenir au plus tard le troisième mardi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux puissent être les élus d'un même département ou d'une même collectivité d'outre-mer.
« Pour l'application des dispositions de l'alinéa précédent, les sénateurs représentant les Français établis hors de France et les membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger sont réputés être les élus d'un même département. Pour l'application des mêmes dispositions, les députés et le sénateur élus en Nouvelle-Calédonie et les membres des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie sont réputés être élus d'un même département d'outre-mer ou d'une même collectivité d'outre-mer. Pour l'application des mêmes dispositions, les ressortissants français membres du Parlement européen élus en France sont réputés être les élus d'un même département. Aux mêmes fins, les présidents des organes délibérants des communautés urbaines, des communautés d'agglomération ou des communautés de communes sont réputés être les élus du département auquel appartient la commune dont ils sont délégués. Aux mêmes fins, les conseillers régionaux sont réputés être les élus des départements correspondant aux sections départementales mentionnées par l'article L. 338-1 du code électoral. Aux mêmes fins, les conseillers à l'Assemblée de Corse sont réputés être les élus des départements entre lesquels ils sont répartis en application des dispositions des articles L. 293-1 et L. 293-2 du même code.
« Le Conseil constitutionnel doit s'assurer du consentement des personnes présentées qui, à peine de nullité de leur candidature, doivent lui remettre, sous pli scellé, une déclaration de leur situation patrimoniale conforme aux dispositions de l'article L.O. 135-1 du code électoral et l'engagement, en cas d'élection, de déposer deux mois au plus tôt et un mois au plus tard avant l'expiration du mandat ou, en cas de démission, dans un délai d'un mois après celle-ci, une nouvelle déclaration conforme à ces dispositions qui sera publiée au Journal officiel de la République française dans les huit jours de son dépôt.
« Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature.
« II. Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par les articles L. 1er, L. 2, L. 5 à L. 7, L. 9 à L. 21, L. 23, L. 25, L. 27 à L. 40, L. 42, L. 43, L. 45, L. 47 à L. 52-2, L. 52-4 à L. 52-11, L. 52-12, L. 52-14, L. 52-15, quatrième alinéa, L. 52-16 à L. 52-18, L. 53 à L. 55, L. 57 à L. 78, L. 85-1 à L. 111, L. 113 à L. 114, L. 116, L. 117, L.O. 127, L. 199, L. 200, L. 203, L. 385 à L. 387, L. 389, L. 393, L. 451 à L. 453, L. 477, L. 504 et L. 531 du code électoral, sous réserve des dispositions suivantes :
« Le plafond des dépenses électorales prévu par l'article L. 52-11 du code électoral est fixé à 13,7 millions d'euros pour un candidat à l'élection du Président de la République. Il est porté à 18,3 millions d'euros pour chacun des candidats présents au second tour.
« Les personnes physiques ne peuvent, dans le cadre de l'application des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, accorder des prêts et avances remboursables aux candidats.
« L'obligation de dépôt du compte de campagne ainsi que la présentation de ce compte par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés s'imposent à tous les candidats. Les frais d'expertise comptable liés à l'application de l'article L. 52-12 du code électoral sont inscrits dans le compte de campagne.
« La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve, rejette ou réforme, après procédure contradictoire, les comptes de campagne et arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu au V du présent article. Elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes.
« Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales est constaté, la commission fixe une somme, égale au montant du dépassement, que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine.
« Par dérogation au quatrième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral, les comptes de campagne des candidats sont publiés par la commission au Journal officiel dans le mois suivant l'expiration du délai prévu au deuxième alinéa du même article L. 52-12.
« Pour l'application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 52-5 et du quatrième alinéa de l'article L. 52-6 du code électoral, le délai pour la dissolution de plein droit de l'association de financement électoral et pour la cessation des fonctions du mandataire financier est fixé à un mois à compter de la publication prévue au dernier alinéa du V du présent article.
« Le solde positif éventuel des comptes des associations électorales et mandataires financiers des candidats est dévolu à la Fondation de France.
« Le montant de l'avance prévue au deuxième alinéa du paragraphe V du présent article doit figurer dans les recettes retracées dans le compte de campagne.
« Par dérogation aux dispositions de l'article L. 55 du code électoral, le scrutin est organisé le samedi en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française et dans les ambassades et les postes consulaires situés sur le continent américain.
« III. Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations et examine les réclamations dans les mêmes conditions que celles fixées pour les opérations de référendum par les articles 46, 48, 49, 50 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
« Le Conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l'élection qui sont publiés au Journal officiel de la République française dans les vingt-quatre heures de la proclamation. La déclaration de situation patrimoniale du candidat proclamé élu est jointe à cette publication.
« Les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques mentionnées au II du présent article peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat concerné, dans le mois suivant leur notification. Pour l'examen des comptes comme des réclamations visées au premier alinéa du présent paragraphe, le président du Conseil constitutionnel désigne des rapporteurs, choisis parmi les membres du Conseil et les rapporteurs adjoints mentionnés au second alinéa de l'article 36 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Les agents de l'administration des impôts sont déliés du secret professionnel à l'égard des membres du Conseil constitutionnel et de ses rapporteurs adjoints à l'occasion des enquêtes qu'ils effectuent pour contrôler les comptes de campagne des candidats à l'élection du Président de la République.
« IV. Tous les candidats bénéficient, de la part de l'État, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle.
« V. Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application des présentes dispositions organiques ; il détermine notamment les conditions de la participation de l'État aux dépenses de propagande.
« Lors de la publication de la liste des candidats au premier tour, l'État verse à chacun d'entre eux une somme de 153 000 euros, à titre d'avance sur le remboursement forfaitaire de leurs dépenses de campagne prévu à l'alinéa suivant. Si le montant du remboursement n'atteint pas cette somme, l'excédent fait l'objet d'un reversement.
« Une somme égale à 4,75 % du montant du plafond des dépenses de campagne qui leur est applicable est remboursée, à titre forfaitaire, à chaque candidat ; cette somme est portée à 47,5 % dudit plafond pour chaque candidat ayant obtenu plus de 5 % du total des suffrages exprimés au premier tour. Elle ne peut excéder le montant des dépenses du candidat retracées dans son compte de campagne.
« Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne n'est possible qu'après l'approbation définitive de ce compte. Le remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions du deuxième alinéa du II du présent article, qui n'ont pas déposé leur compte de campagne au plus tard à 18 heures le onzième vendredi suivant le premier tour de scrutin ou dont le compte de campagne est rejeté pour d'autres motifs. Dans les cas où les irrégularités commises ne conduisent pas au rejet du compte, la décision concernant ce dernier peut réduire le montant du remboursement forfaitaire en fonction du nombre et de la gravité de ces irrégularités.
« La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ou, en cas de recours, le Conseil constitutionnel fait publier au Journal officiel les décisions prises pour approuver, rejeter ou réformer les comptes de campagne et arrêter le montant du remboursement ».

4. Le requérant soutient que ces dispositions contreviendraient, en méconnaissance du principe non bis in idem, aux exigences de nécessité et de proportionnalité des peines, dans la mesure où elles permettraient des poursuites et des sanctions pénales à l'égard de candidats à l'élection présidentielle ayant déjà été sanctionnés financièrement pour des faits identiques de dépassement du plafond des dépenses électorales par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et, en cas de recours, par le Conseil constitutionnel.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, au 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et, d'autre part, sur la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II du même article 3.

- Sur la recevabilité :

6. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

7. Dans sa décision du 5 avril 2006 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné le premier alinéa et la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et les a déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.

8. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, le Conseil constitutionnel a jugé, dans ses décisions du 24 juin 2016 mentionnées ci-dessus, que, dans certaines hypothèses, le principe de nécessité des délits et des peines pouvait faire obstacle à des cumuls de poursuites. Ces décisions constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.

- Sur le fond :

9. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.

10. En application des deux premiers alinéas du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et de l'article L. 52-11 du code électoral, les candidats à l'élection du Président de la République sont tenus, au cours de la campagne, de respecter un plafond des dépenses électorales. Lorsque la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques constate un dépassement de ce plafond par un candidat, celui-ci est, en vertu des dispositions contestées du sixième alinéa du même paragraphe II, tenu de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement. En application du paragraphe III du même article 3, la décision de cette commission peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat en cause. En outre, en application des dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe II du même article, qui renvoient au 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral, le candidat ayant dépassé le plafond des dépenses électorales encourt également une amende de 3 750 euros et une peine d'emprisonnement d'un an.

11. Par conséquent, les dispositions contestées tendent à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique.

12. Toutefois, en premier lieu, la sanction financière prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques intervient à l'issue de l'examen par cette commission, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, des comptes de campagne de chacun des candidats à l'élection du Président de la République. En conférant à cette sanction un caractère systématique et en prévoyant que son montant est égal au dépassement du plafond des dépenses électorales, le législateur a entendu assurer le bon déroulement de l'élection du Président de la République et, en particulier, l'égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale. En revanche, en instaurant une répression pénale des mêmes faits, qui exige un élément intentionnel et permet de tenir compte des circonstances de l'infraction et d'adapter la sévérité de la peine à la gravité de ces faits, le législateur a entendu sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus.

13. En second lieu, la sanction prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une pénalité financière, strictement égale au montant du dépassement constaté. Sa nature est donc différente de la peine d'emprisonnement encourue par le candidat poursuivi pour le délit de dépassement du plafond des dépenses électorales.

14. Il résulte de ce qui précède que les deux répressions prévues par les dispositions contestées relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines doit donc être écarté.

15. Par suite, le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, au 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II du même article 3, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :

  • le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, dans sa rédaction résultant de la loi organique n° 2012-272 du 28 février 2012 relative au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle, au 3 ° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral ;
  • la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la même loi du 6 novembre 1962, dans la même rédaction.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 17 mai 2019.

JORF n°0115 du 18 mai 2019, texte n° 62
ECLI : FR : CC : 2019 : 2019.783.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.4. Principe Non bis in idem

En application des deux premiers alinéas du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et de l'article L. 52-11 du code électoral, les candidats à l'élection du Président de la République sont tenus, au cours de la campagne, de respecter un plafond des dépenses électorales. Lorsque la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques constate un dépassement de ce plafond par un candidat, celui-ci est, en vertu des dispositions contestées du sixième alinéa du même paragraphe II, tenu de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement. En application du paragraphe III du même article 3, la décision de cette commission peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat en cause. En outre, en application des dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe II du même article, qui renvoient au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral, le candidat ayant dépassé le plafond des dépenses électorales encourt également une amende de 3 750 euros et une peine d'emprisonnement d'un an. Par conséquent, les dispositions contestées tendent à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique. Toutefois, en premier lieu, la sanction financière prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques intervient à l'issue de l'examen par cette commission, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, des comptes de campagne de chacun des candidats à l'élection du Président de la République. En conférant à cette sanction un caractère systématique et en prévoyant que son montant est égal au dépassement du plafond des dépenses électorales, le législateur a entendu assurer le bon déroulement de l'élection du Président de la République et, en particulier, l'égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale. En revanche, en instaurant une répression pénale des mêmes faits, qui exige un élément intentionnel et permet de tenir compte des circonstances de l'infraction et d'adapter la sévérité de la peine à la gravité de ces faits, le législateur a entendu sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus. En second lieu, la sanction prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une pénalité financière, strictement égale au montant du dépassement constaté. Sa nature est donc différente de la peine d'emprisonnement encourue par le candidat poursuivi pour le délit de dépassement du plafond des dépenses électorales. Dès lors, les deux répressions relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

(2019-783 QPC, 17 mai 2019, cons. 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, JORF n°0115 du 18 mai 2019, texte n° 62 )
  • 8. ÉLECTIONS
  • 8.2. ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
  • 8.2.4. Financement
  • 8.2.4.1. Dispositions applicables au financement de l'élection présidentielle

En application des deux premiers alinéas du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et de l'article L. 52-11 du code électoral, les candidats à l'élection du Président de la République sont tenus, au cours de la campagne, de respecter un plafond des dépenses électorales. Lorsque la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques constate un dépassement de ce plafond par un candidat, celui-ci est, en vertu des dispositions contestées du sixième alinéa du même paragraphe II, tenu de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement. En application du paragraphe III du même article 3, la décision de cette commission peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat en cause. En outre, en application des dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe II du même article, qui renvoient au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral, le candidat ayant dépassé le plafond des dépenses électorales encourt également une amende de 3 750 euros et une peine d'emprisonnement d'un an. Par conséquent, les dispositions contestées tendent à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique. Toutefois, en premier lieu, la sanction financière prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques intervient à l'issue de l'examen par cette commission, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, des comptes de campagne de chacun des candidats à l'élection du Président de la République. En conférant à cette sanction un caractère systématique et en prévoyant que son montant est égal au dépassement du plafond des dépenses électorales, le législateur a entendu assurer le bon déroulement de l'élection du Président de la République et, en particulier, l'égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale. En revanche, en instaurant une répression pénale des mêmes faits, qui exige un élément intentionnel et permet de tenir compte des circonstances de l'infraction et d'adapter la sévérité de la peine à la gravité de ces faits, le législateur a entendu sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus. En second lieu, la sanction prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une pénalité financière, strictement égale au montant du dépassement constaté. Sa nature est donc différente de la peine d'emprisonnement encourue par le candidat poursuivi pour le délit de dépassement du plafond des dépenses électorales. Dès lors, les deux répressions relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

(2019-783 QPC, 17 mai 2019, cons. 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, JORF n°0115 du 18 mai 2019, texte n° 62 )
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et sur l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, le Conseil constitutionnel juge qu'elle porte, notamment, sur la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de cet article 3.

(2019-783 QPC, 17 mai 2019, cons. 5, JORF n°0115 du 18 mai 2019, texte n° 62 )
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1.1. Délimitation visant le renvoi à une autre disposition législative opéré par la disposition soumise au Conseil

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et sur l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, le Conseil constitutionnel juge qu'elle porte uniquement, d'une part, sur le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et, d'autre part, sur la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II du même article 3. Ainsi, au sein du premier alinéa de ce paragraphe II, qui opère un renvoi à une série d'articles du code électoral, dont les articles "L. 113 à L. 114", le Conseil constitutionnel identifie le renvoi particulier dont la constitutionnalité est contestée, à savoir le renvoi à l'article L. 113-1, et juge en conséquence que la question prioritaire de constitutionnalité porte, notamment, sur ce renvoi.

(2019-783 QPC, 17 mai 2019, cons. 5, JORF n°0115 du 18 mai 2019, texte n° 62 )
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.7. Autorité des décisions du Conseil constitutionnel
  • 11.8.7.2. Hypothèses où la chose jugée n'est pas opposée
  • 11.8.7.2.8. Changement des circonstances

Dans sa décision n° 2006-536 DC du 5 avril 2006, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné le premier alinéa et la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et les a déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, le Conseil constitutionnel a jugé, dans ses décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016 que, dans certaines hypothèses, le principe de nécessité des délits et des peines pouvait faire obstacle à des cumuls de poursuites. Ces décisions constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.

(2019-783 QPC, 17 mai 2019, cons. 7, 8, JORF n°0115 du 18 mai 2019, texte n° 62 )
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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