Décision

Décision n° 2018-774 DC du 20 décembre 2018

Loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information
Conformité - réserve

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, le 21 novembre 2018, par le Premier ministre, sous le n° 2018-774 DC, conformément au cinquième alinéa de l'article 46 et au premier alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;
  • la loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique ;
  • le code électoral ;
  • la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, adoptée définitivement par le Parlement le 20 novembre 2018, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été prise sur le fondement de l'article 6 de la Constitution. Elle a été adoptée dans le respect des règles de procédure prévues par les trois premiers alinéas de son article 46.

2. L'article 1er modifie le paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 mentionnée ci-dessus, afin de rendre applicables à l'élection du Président de la République les articles L. 112, L. 163-1 et L. 163-2 du code électoral, créés par l'article 1er de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information mentionnée ci-dessus.

3. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 2 à 26 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018 mentionnée ci-dessus, et sous les mêmes réserves que celles énoncées au paragraphe 23 de la même décision, l'article 1er est conforme à la Constitution.

4. L'article 2 modifie l'article 4 de la loi du 6 novembre 1962 et l'article 1er de la loi organique du 15 septembre 2017 mentionnée ci-dessus, afin de prévoir que les dispositions du code électoral applicables à l'élection du Président de la République sont celles en vigueur à la date de publication de la loi organique objet de la présente décision. Cet article 2 est conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sous les réserves rappelées au paragraphe 3, l'article 1er de la loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information est conforme à la Constitution.

Article 2. - Les autres dispositions de la loi organique déférée sont conformes à la Constitution.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 décembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Rendu public le 20 décembre 2018.

JORF n°0297 du 23 décembre 2018
ECLI : FR : CC : 2018 : 2018.774.DC

Les abstracts

  • 2. NORMES ORGANIQUES
  • 2.3. FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DES LOIS ORGANIQUES
  • 2.3.1. Articles 6 et 7 - Élection du Président de la République

La loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information a été prise sur le fondement de l'article 6 de la Constitution.

(2018-774 DC, 20 décembre 2018, cons. 1, JORF n°0297 du 23 décembre 2018 )
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.16. LIBERTÉ D'EXPRESSION ET DE COMMUNICATION
  • 4.16.5. Communication électronique
  • 4.16.5.7. Clarté du débat électoral et respect du principe de sincérité du scrutin

L'article L. 163-2 du code électoral instaure une procédure de référé permettant d'obtenir, pendant les trois mois précédant une élection générale ou un référendum, la cessation de la diffusion de fausses informations sur les services de communication au public en ligne, lorsqu'elles sont de nature à altérer la sincérité du scrutin.
En premier lieu, en instaurant une procédure de référé pour obtenir la cessation de la diffusion de certaines fausses informations susceptibles de porter atteinte à la sincérité du scrutin, le législateur a entendu lutter contre le risque que les citoyens soient trompés ou manipulés dans l'exercice de leur vote par la diffusion massive de telles informations sur des services de communication au public en ligne. Il a ainsi entendu assurer la clarté du débat électoral et le respect du principe de sincérité du scrutin.
En deuxième lieu, le législateur a limité l'application de cette procédure à la période de campagne électorale qui débute trois mois avant le premier jour du mois précédant des élections générales ou un référendum et s'achève à la date du tour du scrutin où celles-ci sont acquises.
En troisième lieu, la procédure de référé ne concerne que les contenus publiés sur des services de communication au public en ligne. Or, ces services se prêtent plus facilement à des manipulations massives et coordonnées en raison de leur multiplicité et des modalités particulières de diffusion de leurs contenus.
En quatrième lieu, le législateur a strictement délimité les informations pouvant faire l'objet de la procédure de référé contestée. D'une part, cette procédure ne peut viser que des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ou imputations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. D'autre part, seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée.
Cependant, la liberté d'expression revêt une importance particulière dans le débat politique et au cours des campagnes électorales. Elle garantit à la fois l'information de chacun et la défense de toutes les opinions mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d'y répondre et de les dénoncer.
Dès lors, compte tenu des conséquences d'une procédure pouvant avoir pour effet de faire cesser la diffusion de certains contenus d'information, les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d'expression et de communication, justifier une telle mesure que si leur caractère inexact ou trompeur est manifeste. Il en est de même pour le risque d'altération de la sincérité du scrutin, qui doit également être manifeste.
En cinquième lieu, si les requérants dénoncent le risque d'instrumentalisation de la procédure, une telle éventualité ne saurait suffire à entacher celle-ci d'inconstitutionnalité.
En dernier lieu, en permettant au juge des référés de prescrire toutes les mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser la diffusion des contenus fautifs, le législateur lui a imposé de prononcer celles qui sont les moins attentatoires à la liberté d'expression et de communication.
Il résulte de tout ce qui précède, que, sous les réserves énoncées au quatrième lieu, l'article L. 163-2 du code électoral, qui n'est pas entaché d'incompétence négative, ne porte pas à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

(2018-774 DC, 20 décembre 2018, cons. 3, JORF n°0297 du 23 décembre 2018 )
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
  • 4.21.2. Liberté d'entreprendre
  • 4.21.2.5. Conciliation du principe
  • 4.21.2.5.2. Avec l'intérêt général

L'obligation de transparence imposée aux opérateurs de plateforme en ligne par les articles L. 112 et L. 163-1 du code électoral est limitée au temps de la campagne électorale et ne concerne que ceux dont l'activité dépasse un certain seuil. Elle se borne à leur imposer de délivrer une information loyale, claire et transparente sur les personnes dont ils ont promu, contre rémunération, certains contenus d'information en lien avec la campagne électorale. Elle vise à fournir aux citoyens les moyens d'apprécier la valeur ou la portée de l'information ainsi promue et contribue par là-même à la clarté du débat électoral. Compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi et du caractère limité de l'obligation imposée aux opérateurs de plateforme en ligne, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

(2018-774 DC, 20 décembre 2018, cons. 3, JORF n°0297 du 23 décembre 2018 )
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.2. Principe de la légalité des délits et des peines
  • 4.23.2.1. Compétence du législateur
  • 4.23.2.1.2. Applications
  • 4.23.2.1.2.1. Absence de méconnaissance de la compétence du législateur

Les obligations de transparence imposées aux opérateurs de plateforme en ligne par les articles L. 112 et L. 163-1 du code électoral ne le sont que pendant la période de trois mois précédant le premier jour du mois d'élections générales ou d'un référendum et jusqu'à la date du scrutin et seulement au regard de l'intérêt général attaché à l'information éclairée des citoyens en période électorale et à la sincérité du scrutin. Il en résulte que les contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général visés par les dispositions contestées sont ceux qui présentent un lien avec la campagne électorale. La référence à cette notion ne méconnaît donc pas le principe de légalité des délits et des peines.

(2018-774 DC, 20 décembre 2018, cons. 3, JORF n°0297 du 23 décembre 2018 )
  • 16. RÉSERVES D'INTERPRÉTATION
  • 16.4. DROIT ÉLECTORAL
  • 16.4.11. Loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (n° 62-1292 du 6 novembre 1962)

Le paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 rend applicables à l'élection du Président de la République l'article L. 163-2 du code électoral. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 11 à 26 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018, et sous les mêmes réserves que celles énoncées au paragraphe 23 de la même décision, l'article 1er est conforme à la Constitution.

(2018-774 DC, 20 décembre 2018, cons. 2, 3, JORF n°0297 du 23 décembre 2018 )
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Législation consolidée, Texte adopté, Dossier législatif AN, Dossier législatif Sénat, Références doctrinales, Version PDF de la décision.
Toutes les décisions