Décision n° 2018-766 DC du 21 juin 2018
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen, sous le n° 2018-766 DC, le 24 mai 2018, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Julien AUBERT, Mme Nathalie BASSIRE, M. Thibault BAZIN, Mmes Valérie BAZIN-MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Émilie BONNIVARD, MM. Ian BOUCARD, Jean-Claude BOUCHET, Mme Valérie BOYER, MM. Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, François CORNUT-GENTILLE, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, Jean-Pierre DOOR, Mme Virginie DUBY-MULLER, MM. Pierre-Henri DUMONT, Daniel FASQUELLE, Jean-Jacques FERRARA, Laurent FURST, Claude de GANAY, Jean-Jacques GAULTIER, Mme Annie GENEVARD, M. Philippe GOSSELIN, Mme Claire GUION-FIRMIN, MM. Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Mme Valérie LACROUTE, MM. Guillaume LARRIVÉ, Marc LE FUR, Mme Constance LE GRIP, M. David LORION, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Gilles LURTON, Emmanuel MAQUET, Olivier MARLEIX, Jean-Louis MASSON, Gérard MENUEL, Mme Frédérique MEUNIER, MM. Maxime MINOT, Jérôme NURY, Jean-François PARIGI, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Bernard PERRUT, Mme Bérengère POLETTI, MM. Aurélien PRADIÉ, Didier QUENTIN, Mme Nadia RAMASSAMY, MM. Robin REDA, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Bernard REYNÈS, Vincent ROLLAND, Martial SADDIER, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean-Marie SERMIER, Guy TEISSIER, Mmes Laurence TRASTOUR-ISNART, Isabelle VALENTIN, MM. Pierre VATIN, Patrice VERCHÈRE, Charles de la VERPILLIÈRE, Arnaud VIALA, Michel VIALAY, Jean-Pierre VIGIER, Stéphane VIRY et Éric WOERTH, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- les observations du Gouvernement, enregistrées le 8 juin 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen. Ils contestent certaines dispositions de son article 9.
- Sur certaines dispositions de l'article 9 :
2. Le premier alinéa de l'article 9 précise que la loi déférée entre en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel, « sans préjudice de l'application des dispositions prises par les autorités compétentes de l'Union européenne organisant, le cas échéant, l'élection de représentants au Parlement européen sur des listes transnationales au sein d'une circonscription européenne ».
3. Les requérants font valoir que, dans la mesure où l'adoption par l'Union européenne de dispositions instaurant des listes transnationales pour les prochaines élections européennes serait insusceptible de se produire avant l'organisation de ce scrutin, la référence qui y est ainsi faite par la loi est dépourvue de portée normative, en violation des articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 34 de la Constitution.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale ... ». Il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative.
5. L'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.
6. En premier lieu, en vertu du premier alinéa de l'article 10 de la Constitution : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée ». Si les dispositions contestées indiquent que l'entrée en vigueur de la loi déférée s'effectuera « sans préjudice » des éventuelles dispositions adoptées par les autorités européennes prévoyant le recours à des listes transnationales aux élections européennes, cet événement, ainsi que l'attestent les travaux parlementaires eux-mêmes, est insusceptible de se produire avant l'entrée en vigueur de la loi. Dès lors, ces dispositions ne constituent pas une condition d'entrée en vigueur de la loi.
7. En second lieu, dans la mesure où les dispositions contestées font référence à une éventuelle modification des règles européennes dont la teneur n'est pas connue, elles ne peuvent non plus avoir pour objet de préciser les conséquences qu'il conviendrait d'en tirer pour l'application de la loi déférée.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans que le Conseil constitutionnel ait à se prononcer sur le bien-fondé des dispositions contestées, celles-ci, qui, d'ailleurs, ont pour effet de nuire à l'intelligibilité du reste du premier alinéa de l'article 9, sont dépourvues de portée normative. Elles sont donc contraires à la Constitution.
- Sur les autres dispositions :
9. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « sans préjudice de l'application des dispositions prises par les autorités compétentes de l'Union européenne organisant, le cas échéant, l'élection de représentants au Parlement européen sur des listes transnationales au sein d'une circonscription européenne » figurant au premier alinéa de l'article 9 de la loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen sont contraires à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 juin 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
JORF n°0145 du 26 juin 2018, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2018 : 2018.766.DC
Les abstracts
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.10. Qualité de la loi
10.3.10.3. Objectif d'accessibilité et d'intelligibilité (voir également ci-dessus Principe de clarté de la loi)
Jugeant que des dispositions qui indiquent que la loi déférée entre en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel, « sans préjudice de l'application des dispositions prises par les autorités compétentes de l'Union européenne organisant, le cas échéant, l'élection des représentants au Parlement européen sur des listes transnationales au sein d'une circonscription européenne » sont dépourvues de portée normative, le Conseil constitutionnel relève qu'elles ont d'ailleurs pour effet de nuire à l'intelligibilité de l'article qui les intègre.
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.10. Qualité de la loi
10.3.10.6. Exigence de normativité de la loi
Saisi d'un grief contestant la normativité d'une disposition précisant que la loi déférée entre en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel, « sans préjudice de l'application des dispositions prises par les autorités compétentes de l'Union européenne organisant, le cas échéant, l'élection de représentants au Parlement européen sur des listes transnationales au sein d'une circonscription européenne », le Conseil constitutionnel juge que, en premier lieu, en vertu du premier alinéa de l'article 10 de la Constitution : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée ». Si les dispositions contestées indiquent que l'entrée en vigueur de la loi déférée s'effectuera « sans préjudice » des éventuelles dispositions adoptées par les autorités européennes prévoyant le recours à des listes transnationales aux élections européennes, cet événement, ainsi que l'attestent les travaux parlementaires eux-mêmes, est insusceptible de se produire avant l'entrée en vigueur de la loi. Dès lors, ces dispositions ne constituent pas une condition d'entrée en vigueur de la loi. En second lieu, dans la mesure où les dispositions contestées font référence à une éventuelle modification des règles européennes dont la teneur n'est pas connue, elles ne peuvent non plus avoir pour objet de préciser les conséquences qu'il conviendrait d'en tirer pour l'application de la loi déférée.
Le Conseil constitutionnel en conclut que ces dispositions qui, d'ailleurs, ont pour effet de nuire à l'intelligibilité du reste du premier alinéa de l'article auquel elles s'intègrent, sont dépourvues de portée normative. Censure.