Décision

Décision n° 2018-736 QPC du 5 octobre 2018

Société CSF [Sanction du défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents pour l'établissement de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1135 du 5 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société CSF par Me Alain Recoules, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-736 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de la sécurité sociale ;
  • la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour la société requérante par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 30 juillet et 13 août 2018 ;
  • les observations présentées pour la caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, partie en défense, par la SCP Delvolvé - Trichet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 juillet 2018 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 juillet 2018 ;
  • les pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Olivier Texidor, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Antoine Delvolvé, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 septembre 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe II de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 décembre 2010 mentionnée ci-dessus, institue une procédure de demande de renseignements pouvant être mise en œuvre par l'organisme chargé du recouvrement de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés. Le paragraphe III de ce même article prévoit : « En cas de défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents ou à la mise en demeure mentionnée au II ou en cas de réponse insuffisante à la mise en demeure, il est appliqué une majoration dans la limite de 5 % du montant des sommes dues par le redevable ».

2. La société requérante soutient que l'assiette de la sanction instituée par ces dispositions serait sans rapport avec le manquement réprimé dès lors qu'elle est encourue pour une simple réponse tardive et y compris lorsque le contrôle ne donne pas lieu à des rappels de contribution. Il en résulterait, s'agissant d'une sanction proportionnelle non plafonnée, une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines.

3. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

4. Le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les sociétés assujetties à la contribution sociale de solidarité sont tenues, dans un délai de soixante jours, de fournir à l'organisme chargé de son recouvrement les renseignements et documents nécessaires à la détermination de son assiette et de son montant. En cas de réponse insuffisante, cet organisme les met en demeure de compléter leur réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse attendus.

5. Les dispositions contestées sanctionnent d'une majoration, dans la limite de 5 % du montant total de la contribution due au titre de l'année, le défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents ou à la mise en demeure, ainsi que la réponse insuffisante à cette dernière.

6. En premier lieu, les obligations dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée ont trait à la délivrance de renseignements et documents nécessaires à l'établissement de la contribution. En réprimant la méconnaissance de telles obligations, le législateur a entendu renforcer la procédure de contrôle sur pièces de cette contribution. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

7. En second lieu, d'une part, en punissant d'une majoration de la contribution due au titre de l'année le manquement à des obligations destinées à assurer l'établissement de cette contribution, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. D'autre part, en retenant un taux de 5 %, qui ne constitue qu'un taux maximal pouvant être modulé, sous le contrôle du juge, par l'organisme chargé du recouvrement, le législateur a retenu une sanction qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction.

8. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté. Le paragraphe III de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le paragraphe III de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Rendu public le 5 octobre 2018.

JORF n°0231 du 6 octobre 2018, texte n° 74
ECLI : FR : CC : 2018 : 2018.736.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.2. Absence de méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines
  • 4.23.3.2.1. Détermination des infractions et des peines

Le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les sociétés assujetties à la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés sont tenues, dans un délai de soixante jours, de fournir à l'organisme chargé de son recouvrement les renseignements et documents nécessaires à la détermination de son assiette et de son montant. En cas de réponse insuffisante, cet organisme les met en demeure de compléter leur réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse attendus. Le paragraphe III de cet article L. 651-5-1 sanctionne d'une majoration, dans la limite de 5 % du montant total de la contribution due au titre de l'année, le défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents ou à la mise en demeure, ainsi que la réponse insuffisante à cette dernière.
En premier lieu, les obligations dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée ont trait à la délivrance de renseignements et documents nécessaires à l'établissement de la contribution. En réprimant la méconnaissance de telles obligations, le législateur a entendu renforcer la procédure de contrôle sur pièces de cette contribution. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. En second lieu, d'une part, en punissant d'une majoration de la contribution due au titre de l'année le manquement à des obligations destinées à assurer l'établissement de cette contribution, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. D'autre part, en retenant un taux de 5 %, qui ne constitue qu'un taux maximal pouvant être modulé, sous le contrôle du juge, par l'organisme chargé du recouvrement, le législateur a retenu une sanction qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines est écarté.

(2018-736 QPC, 05 octobre 2018, cons. 4, 5, 6, 7, JORF n°0231 du 6 octobre 2018, texte n° 74)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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