Décision n° 2017-627/628 QPC du 28 avril 2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 février 2017 par le Conseil d'État (décision n° 405102 du 8 février 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Orange par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et par la SCP August Debouzy, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017- 627 QPC.
Il a également été saisi, le même jour, par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 308 du 9 février 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Orange par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Perier. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-628 QPC.
Ces questions sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 ;
- les arrêts de la Cour de cassation n° 743 du 7 mai 2014 et n° 569 du 2 avril 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Périer et Me Emmanuelle Mignon, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 3 et 20 mars 2017 ;
- les observations présentées pour l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Alsace, partie en défense, par la SCP Gatineau-Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 1er et 16 mars 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 mars 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bertrand Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 avril 2017 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour la société requérante par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Périer et Me Mignon, enregistrée le 6 avril 2017 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 7 avril 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale institue, au profit des régimes obligatoires d'assurance maladie, une contribution patronale sur les attributions d'options de souscription ou d'achat d'actions et sur les attributions d'actions gratuites. Pour ce second type d'attribution, la contribution est due par les employeurs « sur les actions attribuées ». Le paragraphe II de cet article, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2007 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Le taux de cette contribution est fixé à 10 %. Elle est exigible le mois suivant la date de la décision d'attribution des options ou des actions visées au I ».
3. La société requérante soutient qu'en liant l'exigibilité de la contribution patronale à la décision d'attribution d'actions gratuites, que ces actions soient ou non effectivement attribuées, ces dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques et porteraient atteinte au droit de propriété.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou des actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale.
5. En premier lieu, selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. La contribution prévue par l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale est due sur les actions attribuées dans les conditions prévues notamment par l'article L. 225-197-1 du code de commerce. Cet article fixe les conditions dans lesquelles les sociétés par actions peuvent procéder à une attribution d'actions gratuites au profit de leurs salariés et de certains de leurs mandataires sociaux. Sur autorisation de l'assemblée générale extraordinaire, le conseil d'administration ou le directoire décide de l'attribution, désigne les bénéficiaires et définit les conditions et, le cas échéant, les critères auxquels l'attribution définitive est subordonnée. Cette attribution n'est effective que si ces conditions sont satisfaites et à l'issue d'une période d'acquisition dont la durée, qui ne peut être inférieure à deux ans, est déterminée par l'assemblée générale extraordinaire.
7. En application des dispositions contestées, la contribution patronale est exigible le mois suivant la date de la décision d'attribution des actions gratuites. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'en l'absence d'attribution effective des actions en raison de la défaillance des conditions auxquelles cette attribution était subordonnée, l'employeur n'est pas fondé à obtenir la restitution de la contribution.
8. En instituant la contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites, le législateur a entendu que ce complément de rémunération, exclu de l'assiette des cotisations de sécurité sociale en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, participe au financement de la protection sociale. Toutefois, s'il est loisible au législateur de prévoir l'exigibilité de cette contribution avant l'attribution effective, il ne peut, sans créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, imposer l'employeur à raison de rémunérations non effectivement versées. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient faire obstacle à la restitution de cette contribution lorsque les conditions auxquelles l'attribution des actions gratuites était subordonnée ne sont pas satisfaites. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
9. En second lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, « la loi … doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
10. En prévoyant une seule date d'exigibilité, que les actions gratuites soient ou non effectivement attribuées, le législateur n'a institué aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les mots « ou des actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaissent ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les mots « ou des actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 avril 2017 où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 28 avril 2017.JORF n°0101 du 29 avril 2017 texte n° 106
ECLI : FR : CC : 2017 : 2017.627.QPC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
- 1.2.7. Article 6
1.2.7.2. Égalité devant la loi
Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, « la loi … doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
- 1.2.15. Article 13 - Charges publiques
1.2.15.1. Égalité devant les charges publiques
Aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
5.1.3.7. Droit fiscal
En prévoyant une seule date d'exigibilité, que les actions gratuites soient ou non effectivement attribuées, le législateur n'a institué aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.2. Champ d'application du principe
- 5.4.2.2. Égalité en matière d'impositions de toutes natures
5.4.2.2.69. Contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites
En instituant la contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites, le législateur a entendu que ce complément de rémunération, exclu de l'assiette des cotisations de sécurité sociale en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, participe au financement de la protection sociale. Toutefois, s'il est loisible au législateur de prévoir l'exigibilité de cette contribution avant l'attribution effective, il ne peut, sans créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, imposer l'employeur à raison de rémunérations non effectivement versées. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient faire obstacle à la restitution de cette contribution lorsque les conditions auxquelles l'attribution des actions gratuites était subordonnée ne sont pas satisfaites. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté. (la réserve est fondée sur l'absence de critères objectifis rationnels).
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou des actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale.
- 16. RÉSERVES D'INTERPRÉTATION
- 16.17. DROIT DES FINANCES PUBLIQUES ET SOCIALES
16.17.22. Code de la sécurité sociale
En instituant la contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites, le législateur a entendu que ce complément de rémunération, exclu de l'assiette des cotisations de sécurité sociale en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, participe au financement de la protection sociale. Toutefois, s'il est loisible au législateur de prévoir l'exigibilité de cette contribution avant l'attribution effective, il ne peut, sans créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, imposer l'employeur à raison de rémunérations non effectivement versées. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient faire obstacle à la restitution de cette contribution lorsque les conditions auxquelles l'attribution des actions gratuites était subordonnée ne sont pas satisfaites. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.