Décision

Décision n° 2017-172 PDR du 20 juillet 2017

Observations du Conseil constitutionnel sur l'élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 2017

Le Conseil constitutionnel est, en application de l'article 58 de la Constitution, chargé de veiller à la régularité de l'élection du Président de la République. À ce titre, il entre dans sa mission de proposer aux pouvoirs publics toute mesure propre à concourir à un meilleur déroulement de cette consultation. Dans le passé, ces propositions ont, pour la plupart, été suivies d'effet.

Le scrutin des 23 avril et 7 mai 2017, dont il a proclamé les résultats le 26 avril pour le premier tour et le 10 mai pour le second tour, s'est dans l'ensemble déroulé dans de bonnes conditions. À la suite de ce scrutin, le Conseil formule, comme pour les précédentes élections, un certain nombre d'observations qui portent sur les points suivants.

    • Les règles de présentation des candidats

Dans ses observations sur l'élection présidentielle des 22 avril et 6 mai 2012, le Conseil constitutionnel avait formulé deux propositions relatives aux règles de présentation (ou « parrainage ») des candidats. Il avait ainsi souhaité que l'acheminement des présentations soit réalisé exclusivement par voie postale afin de renforcer la sérénité des opérations de présentation et de diminuer les pressions auxquelles pouvaient être soumis les élus susceptibles de présenter un candidat. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel avait constaté que la publication partielle des noms des élus habilités ayant présenté un candidat faisait l'objet de contestations récurrentes et qu'une réflexion sur ce sujet serait utile.

S'inspirant de ses recommandations, le législateur organique a, par la loi organique du 25 avril 2016, modifié l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, qui dispose désormais : « Les présentations des candidats sont rédigées sur des formulaires, revêtues de la signature de leur auteur et adressées au Conseil constitutionnel par leur auteur par voie postale, dans une enveloppe prévue à cet effet, ou par voie électronique.. / Au fur et à mesure de la réception des présentations, le Conseil constitutionnel rend publics, au moins deux fois par semaine, le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement présenté des candidats à l'élection présidentielle… Huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, le Conseil constitutionnel rend publics le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement proposé les candidats ».

Contrairement à certaines craintes, ces nouvelles règles n'ont pas eu de conséquences négatives significatives sur le nombre total des présentations adressées au Conseil puisque 14 586 formulaires ont été reçus (dont 14 296 validés), au lieu d'environ 15 000 en 2012. Le nombre de candidats est resté proche des précédentes élections : onze candidats contre dix en 2012 et douze en 2007.

La mise en œuvre de ces règles n'a pas non plus soulevé de difficultés importantes. Le Conseil constitutionnel a toutefois constaté certains dysfonctionnements dans l'acheminement du courrier par La Poste, quelques présentations lui étant parvenues après l'expiration du délai légal (le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures), et ce alors même que la date d'envoi, attestée par le cachet de la poste, était bien antérieure. Le faible nombre de ces dysfonctionnements n'a toutefois pas été de nature à influer sur la liste des candidats admis à se présenter à l'élection. Par ailleurs, la publication régulière de la liste des élus habilités ayant présenté un candidat leur permet de s'assurer que leur présentation a bien été réceptionnée.

Afin de simplifier la phase d'examen des présentations, le Conseil constitutionnel estime qu'un certain nombre de modifications pourraient être apportées aux formulaires de présentation devant être remplis par les élus habilités :

  • suppression de l'exigence du sceau de la mairie pour l'authentification des présentations par les maires et maires délégués dès lors que l'exigence de signature demeure ;

  • ajout, s'il y a lieu, de l'indication de l'adresse de messagerie électronique de l'élu présentant le candidat ;

  • ajout, en plus du nom patronymique, de l'indication du prénom et du nom d'usage sous lequel l'élu souhaite être mentionné dans la liste publiée des présentateurs, afin d'éviter les confusions.

Le Conseil constitutionnel appelle l'attention du Gouvernement sur la nécessité de n'envisager qu'avec les plus grandes précautions la mise en œuvre de la transmission électronique des présentations, prévue par le quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, qui renvoie à un décret le soin d'en fixer les modalités. Compte tenu des risques de fraudes informatiques et de l'ampleur de leurs conséquences, cette voie de transmission devra, en tout état de cause, être entourée des garanties nécessaires.

    • La campagne

a) Les menaces informatiques pesant sur la campagne et les opérations électorales

Alerté par les incidents informatiques qui ont perturbé les consultations électorales d'autres pays, le Conseil constitutionnel a, à l'initiative de son Président, appelé les services compétents de l'État à adopter les mesures préventives de nature à parer aux menaces d'attaques informatiques.

La seule attaque d'ampleur a été celle qui a touché le réseau informatique de l'équipe de campagne du candidat élu. La commission nationale de contrôle de la campagne électorale a réagi avec célérité : elle a dénoncé ces faits au procureur de la République et elle a recommandé à l'ensemble des acteurs présents sur les sites internet et les réseaux sociaux, au premier chef les médias, mais également à tous les citoyens, de faire preuve d'esprit de responsabilité et de ne pas relayer ces contenus, afin de ne pas altérer la sincérité du scrutin.

Le Conseil constitutionnel estime qu'une réflexion doit être conduite sur ce nouveau type de menaces pesant sur les processus électoraux et sur les réponses techniques, réglementaires et législatives susceptibles d'y parer.

b) La campagne audiovisuelle

Dans ses observations sur l'élection présidentielle de 2012, le Conseil constitutionnel avait relevé que le nombre élevé de candidats avait pu affecter la clarté du débat électoral en raison de l'exigence légale d'une stricte égalité entre les candidats dans le cadre de la campagne audiovisuelle. Il avait appelé l'attention du législateur sur l'opportunité de prévoir qu'entre la publication de la liste de candidats par le Conseil constitutionnel et le début de la campagne officielle (période dite « intermédiaire »), le temps de parole dans les médias audiovisuels soit réparti selon un principe d'équité et non d'égalité.

Le Parlement a traduit cette suggestion dans la loi organique du 25 avril 2016, en faisant reposer cette règle de l'équité sur un double critère : d'une part, la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d'opinion ; d'autre part, la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral.

La mise en œuvre de ces règles par les télévisions et les radios a pu susciter quelques critiques, par exemple, sur le fait de scinder en deux émissions le débat entre les candidats, compte tenu de leur nombre, ou sur la proposition d'organiser un tel débat peu de temps avant la veille du scrutin.

Toutefois, le Conseil constitutionnel constate, comme l'a relevé le Conseil supérieur de l'audiovisuel chargé du contrôle de l'application du nouveau dispositif, que les volumes horaires consacrés à l'élection ont été particulièrement importants et que les émissions politiques ont été très suivies : ces nouvelles règles ont ainsi contribué à mettre fin à la diminution, constatée en 2012 par rapport à 2007, du temps d'antenne global consacré à la campagne sur les chaînes de télévision généralistes.

    • Les radiations des listes électorales

Plusieurs communes ayant procédé à un nombre très important de radiations sur les listes électorales, de nombreux électeurs auxquels cette radiation avait été opposée lorsqu'ils s'étaient présentés à leur bureau de vote habituel ont dû saisir les tribunaux d'instance pour obtenir leur réinscription. Si la plupart de ces radiations était justifiée, leur ampleur et le manque d'information des intéressés par les services compétents ont conduit à un désordre regrettable.

Une telle situation ne devrait pas se renouveler, puisque le législateur a prévu, avec la loi du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales, la mise en place d'un dispositif de radiation plus fluide, permettant l'actualisation en continu des listes électorales et fondé sur un répertoire électoral unique tenu par l'Institut national de la statistique et des études économiques. Ce dispositif entrera en vigueur à la date fixée par un décret en Conseil d'État et, au plus tard, le 31 décembre 2019. Il conviendra de s'assurer qu'il en est donc ainsi.

    • Le vote des Français de l'étranger

Le Conseil constitutionnel a relevé à plusieurs reprises, par le passé, les difficultés suscitées par la possible double inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France. À défaut de choix avant le 31 décembre de l'année précédant l'élection, les intéressés sont réputés exercer leur droit de vote à l'étranger, ce dont il est fait mention sur la liste électorale de leur commune de rattachement. Toutefois, le Conseil constitutionnel a été conduit à admettre un dispositif d'urgence permettant le vote dans la commune de rattachement en dépit de la mention portée sur la liste électorale, à la condition d'attester sur l'honneur ne pas y voter pour l'élection présidentielle ni avoir établi de procuration.

La loi organique du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France a prévu la suppression de cette double inscription. Son entrée en vigueur ayant été repoussée à une date fixée par décret en Conseil d'État et au plus tard le 31 décembre 2019, elle n'était pas applicable à l'élection présidentielle de 2017. Le Conseil constitutionnel a par conséquent, une nouvelle fois, constaté les difficultés observées lors des précédentes élections.

Par ailleurs, les opérations électorales à l'étranger ont été marquées par d'importantes files d'attente à l'entrée de certains consulats ou bureaux de vote, au premier comme au second tour. Si l'attente excessive ainsi imposée aux électeurs trouve, pour partie, sa justification dans la difficulté pour les consulats d'obtenir des autorités étrangères la mise à disposition de locaux supplémentaires, il conviendrait que puissent être prises à l'avenir des mesures de nature à remédier à cette situation.

    • Le déroulement des opérations de vote

Pour assurer le contrôle des opérations de vote sur l'ensemble du territoire national, plus de 2 000 délégués du Conseil constitutionnel ont été désignés et ont fait un travail remarquable.

Dans l'ensemble, les rapports des délégués du Conseil constitutionnel, ainsi que l'examen des divers procès-verbaux adressés au Conseil ou dont il a eu connaissance, révèlent le bon fonctionnement des opérations électorales et un grand civisme, pour l'élection présidentielle, notamment de la part des maires, des membres des bureaux de vote et des scrutateurs. Les protestations ont été peu nombreuses, les annulations de suffrages également.

Le Conseil constitutionnel constate l'absence de difficulté majeure causée par le report en principe à 19 heures, au lieu de 18 heures, de l'horaire de clôture des bureaux de vote. Il relève toutefois que les horaires de fermeture différents pour les élections législatives ont pu induire en erreur certains électeurs.

Des entorses à des règles électorales importantes ont été occasionnellement constatées. Même s'il y a été généralement remédié pendant le déroulement des opérations de vote, le rappel de ces règles aux maires et présidents de bureaux de vote paraît nécessaire :

  • composition de certains bureaux de vote non conforme aux exigences du code électoral ;

  • non-accessibilité de certains bureaux de vote aux personnes handicapées ;

  • absence d'isoloirs dans certains bureaux de vote ;

  • bulletins blancs mis à disposition des électeurs sur les tables ;

  • absence de contrôle de l'identité des électeurs dans des communes dont la population est pourtant égale ou supérieure à 1 000 habitants ;

  • méconnaissance de l'ordre des opérations prescrit par le code électoral : reconnaissance de l'identité, puis vérification de l'inscription sur les listes électorales, vote et émargement ;

  • procès-verbal non directement accessible et difficultés opposées aux électeurs désireux d'y mentionner des réclamations, voire aux délégués du Conseil constitutionnel souhaitant y inscrire leurs observations ;

  • fermeture de certains bureaux de vote avant l'heure légale de clôture et dépouillement anticipé.

Pour assurer le respect des règles encadrant le vote, il pourrait être envisagé de joindre un rappel de ces règles à la propagande adressée aux électeurs.

S'agissant du vote par procuration, le Conseil constitutionnel a constaté que l'absence de fixation d'un délai minimal avant le scrutin pour l'établissement d'une procuration pose de nombreuses difficultés. En l'absence d'une telle limite, le défaut de réception par le maire d'une procuration fait obstacle à ce que le mandataire participe au scrutin.

Afin de remédier à cette difficulté, il pourrait être envisagé de fixer une date limite avant le scrutin pour établir une procuration, tenant compte du délai d'acheminement de la procuration vers la mairie destinataire et de son traitement en mairie.

Enfin, le taux de participation des détenus demeure très faible sans que le mécanisme de procuration destiné à leur permettre de voter parvienne à y remédier.

    • Le dépouillement et le recensement des votes

a) Le dépouillement des votes

Les opérations de dépouillement des votes obéissent à des règles précisément définies par le code électoral.

Il convient de rappeler, en particulier, qu'est strictement prohibée la pratique du dépouillement « par tas », consistant à d'abord regrouper les bulletins par candidats avant de reporter leur nombre sur les feuilles de pointage. Le décompte de chaque voix doit, au contraire, intervenir au fur et à mesure du dépouillement.

Par ailleurs, ainsi que le Conseil constitutionnel l'avait déjà recommandé en 2012, le caractère public des opérations de dépouillement mériterait d'être clairement inscrit dans le code électoral - dont l'article R. 63 se borne actuellement à prévoir que « les tables sur lesquelles s'effectue le dépouillement sont disposées de telle sorte que les électeurs puissent circuler autour ».

L'obligation de compter à part les votes blancs, résultant de la loi du 21 février 2014, a parfois entraîné des erreurs, conduisant les commissions de recensement à devoir requalifier en votes blancs des bulletins à tort déclarés nuls. En l'état du droit, le vote blanc peut prendre la forme soit d'un bulletin blanc (fabriqué par l'électeur lui-même, dès lors que ce type de bulletins ne doit pas être mis à disposition dans les bureaux de vote), soit d'une enveloppe vide.

b) Le recensement des votes

De la qualité des opérations de recensement des votes dépend l'efficacité du contrôle de la régularité et de la sincérité du scrutin.

Ainsi, il importe que soit transmis aux commissions de recensement un procès-verbal complet des opérations de vote, comportant toutes les mentions et signatures requises, faisant état des éventuels incidents, accompagné de l'ensemble des documents requis : bulletins et enveloppes déclarés blancs ou nuls, bulletins contestés, enveloppes litigeuses ; pièces fournies à l'appui des réclamations et des décisions prises par le bureau ; feuilles de pointage ; liste d'émargement ; états nominatifs des électeurs ayant retiré leur carte électorale le jour du scrutin et de ceux ne l'ayant pas retirée ; procès-verbaux de remises des cartes électorales. Cette transmission du procès-verbal et des documents annexés doit intervenir sans délai (« immédiatement après le dépouillement du scrutin » selon l'article L. 68 du code électoral).

En outre, il appartient aux commissions de recensement de reporter sur le procès-verbal récapitulatif l'ensemble des mentions utiles - notamment les réclamations portées sur les procès-verbaux des bureaux de vote - et d'y joindre toutes les pièces requises.

    • La communication des rapports des délégués du Conseil constitutionnel

Pour la nomination de ses délégués, le Conseil constitutionnel désigne chaque chef de cour d'appel comme délégué, qui peut à son tour nommer d'autres délégués parmi les magistrats du ressort de sa juridiction.

Afin de rendre le concours ainsi apporté au bon déroulement de l'élection encore plus efficace, il serait souhaitable que les chefs de cour délégués rassemblent et communiquent au Conseil constitutionnel, en un seul envoi et dès le lendemain du scrutin, leur rapport de synthèse sur la manière dont les opérations se sont déroulées dans l'ensemble de leur ressort territorial, accompagné le cas échéant des rapports des magistrats subdélégués.

    • La notification des décisions du Conseil constitutionnel

Généralisant une pratique à laquelle il a parfois déjà eu recours, le Conseil constitutionnel a décidé, afin de prévenir la réitération d'irrégularités, que ses décisions relatives aux deux tours de scrutin de l'élection du Président de la République seraient désormais systématiquement notifiées aux maires des communes dans lesquelles il a prononcé l'annulation de suffrages.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Rendu public le 20 juillet 2017.

ECLI : FR : CC : 2017 : 2017.172.PDR

À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Version PDF de la décision.
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