Décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 octobre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 401696 du 13 octobre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Alinéa par Mes Stéphane Austry et Agnès Rivière-Durieux, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-604 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Rivière-Durieux, enregistrées les 8 et 22 novembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour l'Association française des entreprises privées par Mes Gauthier Blanluet et Marie-Aimée Delaisi, avocats au barreau de Paris, enregistrées le 8 novembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Austry, pour la société requérante, Me Blanluet, pour l'association intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 mentionnée ci-dessus réforme, à ses paragraphes I et III, le régime du report en avant des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés et, à son paragraphe II, le régime du report en arrière de ces mêmes déficits. Le paragraphe IV de cet article 2, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les I, II et III s'appliquent aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi ainsi qu'aux déficits restant à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date ».
2. La société requérante conteste à un double titre la constitutionnalité de ces dispositions, en ce qu'elles définissent les conditions d'application dans le temps de la réforme du régime du report en arrière des déficits. D'une part, en rendant cette réforme applicable aux déficits restant à reporter avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, ces dispositions porteraient une atteinte inconstitutionnelle à des situations légalement acquises. D'autre part, en privant les entreprises de la possibilité d'opter pour le report en arrière de ces déficits, ces dispositions seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif. Il en résulterait une méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'association intervenante invoque également, pour les mêmes raisons, une méconnaissance du droit au respect des situations légalement acquises.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
5. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
6. Le paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 a modifié l'article 220 quinquies du code général des impôts, afin de réformer le régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés. D'une part, le déficit constaté au titre d'un exercice ne peut plus être imputé que sur le bénéfice de l'exercice précédent, dans la limite d'un plafond fixé à un million d'euros. D'autre part, l'option pour le report en arrière doit être exercée par l'entreprise « dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats » de l'exercice au cours duquel le déficit est constaté.
7. En l'espèce, il résulte de l'absence de disposition expresse contraire que ce paragraphe II ne disposait que pour l'avenir. La réforme du régime du report en arrière des déficits prévue par ce paragraphe s'appliquait donc aux seuls déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011.
8. Les dispositions contestées sont issues du paragraphe II de l'article 31 de la loi du 28 décembre 2011. Selon ces dispositions, auxquelles le paragraphe III de cet article 31 confère un « caractère interprétatif », la réforme du régime du report en arrière des déficits s'applique non seulement aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi aux déficits qui restaient à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date.
9. Ce faisant, les dispositions contestées ont remis en cause les options exercées postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le report en arrière des déficits reportables à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur.
10. Or, en application de l'article 220 quinquies du code général des impôts, l'exercice de l'option pour le report en arrière « fait naître au profit de l'entreprise une créance » sur l'État. Ainsi, dans la mesure où elles remettent en cause des créances dont le fait générateur était intervenu avant leur entrée en vigueur, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises. Dès lors que cette atteinte n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, ces dispositions méconnaissent la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
11. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 doit donc être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
13. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- La référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 17 janvier 2017.
JORF n°0017 du 20 janvier 2017 texte n° 78
ECLI : FR : CC : 2017 : 2016.604.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
4.2.2.4.1. Atteinte à un acte ou à une situation légalement acquise
Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. En l'espèce, le paragraphe II de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 a modifié l'article 220 quinquies du code général des impôts, afin de réformer le régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés: le déficit constaté au titre d'un exercice ne peut plus être imputé que sur le bénéfice de l'exercice précédent, dans la limite d'un plafond fixé à un million d'euros; l'option pour le report en arrière doit être exercée par l'entreprise « dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats » de l'exercice au cours duquel le déficit est constaté. Il résulte en l'espèce de l'absence de disposition expresse contraire que ce paragraphe II ne disposait que pour l'avenir. La réforme du régime du report en arrière des déficits prévue par ce paragraphe s'appliquait donc aux seuls déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011.
Les dispositions contestées sont issues du paragraphe II de l'article 31 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011. Selon ces dispositions, auxquelles le paragraphe III de cet article 31 confère un « caractère interprétatif », la réforme du régime du report en arrière des déficits s'applique non seulement aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi aux déficits qui restaient à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date. Ce faisant, les dispositions contestées ont remis en cause les options exercées postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le report en arrière des déficits reportables à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur. Or, en application de l'article 220 quinquies du code général des impôts, l'exercice de l'option pour le report en arrière « fait naître au profit de l'entreprise une créance » sur l'État.
Ainsi, dans la mesure où elles remettent en cause des créances dont le fait générateur était intervenu avant leur entrée en vigueur, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises. Dès lors que cette atteinte n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, ces dispositions méconnaissent la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Censure.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
4.2.2.4.3. Application de la loi dans le temps
Le paragraphe II de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 a modifié l'article 220 quinquies du code général des impôts, afin de réformer le régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés: le déficit constaté au titre d'un exercice ne peut plus être imputé que sur le bénéfice de l'exercice précédent, dans la limite d'un plafond fixé à un million d'euros; l'option pour le report en arrière doit être exercée par l'entreprise « dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats » de l'exercice au cours duquel le déficit est constaté. Il résulte en l'espèce de l'absence de disposition expresse contraire que ce paragraphe II ne disposait que pour l'avenir. La réforme du régime du report en arrière des déficits prévue par ce paragraphe s'appliquait donc aux seuls déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011.
Les dispositions contestées sont issues du paragraphe II de l'article 31 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011. Selon ces dispositions, auxquelles le paragraphe III de cet article 31 confère un « caractère interprétatif », la réforme du régime du report en arrière des déficits s'applique non seulement aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi aux déficits qui restaient à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date. Ce faisant, les dispositions contestées ont remis en cause les options exercées postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le report en arrière des déficits reportables à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur. Or, en application de l'article 220 quinquies du code général des impôts, l'exercice de l'option pour le report en arrière « fait naître au profit de l'entreprise une créance » sur l'État.
Ainsi, dans la mesure où elles remettent en cause des créances dont le fait générateur était intervenu avant leur entrée en vigueur, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises. Dès lors que cette atteinte n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, ces dispositions méconnaissent la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Censure.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011, le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu des griefs du requérant, la question portant uniquement sur la référence « , II » figurant à ce paragraphe.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.1. Abrogation à la date de la publication de la décision
Aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité de la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.4. Effets produits par la disposition abrogée
- 11.8.6.2.4.2. Remise en cause des effets
11.8.6.2.4.2.1. Pour les instances en cours ou en cours et à venir
La déclaration d'inconstitutionnalité de la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, peut être invoquée dans toutes les instances introduites et non jugées définitivement à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel.