Décision

Décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015

Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, le 29 janvier 2015, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Gérard BAILLY, Philippe BAS, Christophe BÉCHU, Jérôme BIGNON, Jean BIZET, François BONHOMME, Michel BOUVARD, François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Daniel CHASSEING, François COMMEINHES, Gérard CORNU, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, René DANESI, Mathieu DARNAUD, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Marie-Hélène DES ESGAULX, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, MM. Eric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, M. Louis DUVERNOIS, Mme Dominique ESTROSI SASSONE, MM. Michel FORISSIER, Alain FOUCHÉ, Jean-Paul FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Pierre FROGIER, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jean-Claude GAUDIN, Jacques GAUTIER, Jacques GENEST, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Jean-Pierre GRAND, Daniel GREMILLET, François GROSDIDIER, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Charles GUENÉ, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Alain JOYANDET, Mme Christiane KAMMERMANN, M. Roger KAROUTCHI, Mme Fabienne KELLER, M. Guy-Dominique KENNEL, Mme Elisabeth LAMURE, MM. Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Baptiste LEMOYNE, Jean-Claude LENOIR, Mme Vivette LOPEZ, MM. Michel MAGRAS, Claude MALHURET, Didier MANDELLI, Alain MARC, Jean-François MAYET, Mmes Colette MÉLOT, Brigitte MICOULEAU, M. Alain MILON, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Philippe MOUILLER, Philippe NACHBAR, Claude NOUGEIN, Jean-Jacques PANUNZY, Philippe PAUL, Cédric PERRIN, Jackie PIERRE, François PILLET, Xavier PINTAT, Louis PINTON, Rémy POINTEREAU, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Bruno SIDO, André TRILLARD, Michel VASPART, Jean-Pierre VIAL et Jean-Pierre VOGEL, sénateurs.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code civil ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 9 février 2015 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ; qu'ils contestent la conformité à la Constitution de son article 8 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 : « Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme et, à cette fin :
« 1 ° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d'offre et d'acceptation de contrat, notamment s'agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;
« 2 ° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d'information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d'une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l'autre ;
« 3 ° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;
« 4 ° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;
« 5 ° Clarifier les dispositions relatives à l'interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d'adhésion ;
« 6 ° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l'égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d'adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;
« 7 ° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;
« 8 ° Regrouper les règles applicables à l'inexécution du contrat et introduire la possibilité d'une résolution unilatérale par notification ;
« 9 ° Moderniser les règles applicables à la gestion d'affaires et au paiement de l'indu et consacrer la notion d'enrichissement sans cause ;
« 10 ° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l'obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d'extinction de l'obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;
« 11 ° Regrouper l'ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d'obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d'anéantissement du contrat ;
« 12 ° Clarifier et simplifier l'ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d'abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l'autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l'admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d'admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ;
« 13 ° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1 ° à 12 ° » ;

3. Considérant que, selon les requérants, l'habilitation ainsi donnée au Gouvernement pour modifier par voie d'ordonnance le livre III du code civil excède, en raison de son ampleur et de l'importance que revêt dans l'ordre juridique le droit des contrats et des obligations, les limites qui résultent de l'article 38 de la Constitution en matière de recours aux ordonnances ; que l'urgence invoquée pour justifier le recours à cette procédure ne serait pas caractérisée ; qu'enfin, la sécurité juridique serait méconnue compte tenu des modifications qui pourraient être apportées au droit des contrats et des obligations par le Parlement à l'occasion de la ratification de l'ordonnance ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » ; que cette disposition fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention ;

5. Considérant que, d'une part, l'article 34 de la Constitution place les principes fondamentaux des obligations civiles dans le domaine de la loi ; que, d'autre part, l'habilitation conférée par les dispositions précitées à réformer par ordonnance le droit commun des contrats, le régime des obligations et le droit de la preuve est précisément définie dans son domaine et dans ses finalités ; que, par suite, cette habilitation ne méconnaît pas les exigences qui résultent de l'article 38 de la Constitution ;

6. Considérant, en second lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; que, d'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ;

7. Considérant que, lorsqu'il modifie, notamment à l'occasion de sa ratification, les dispositions d'une ordonnance entrées en vigueur, le législateur est tenu au respect de ces exigences ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 8 de la loi déférée, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

9. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de constitutionnalité,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article 8 de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 février 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.

JORF n°0040 du 17 février 2015 page 2969, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2015 : 2015.710.DC

Les abstracts

  • 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
  • 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
  • 1.2.18. Article 16
  • 1.2.18.1. Garantie des droits

D'une part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions. D'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.
Il en résulte que, lorsqu'il modifie, notamment à l'occasion de sa ratification, les dispositions d'une ordonnance entrées en vigueur, le législateur est tenu au respect de ces exigences.

(2015-710 DC, 12 février 2015, cons. 6, 7, JORF n°0040 du 17 février 2015 page 2969, texte n° 2)
  • 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
  • 3.4. POUVOIR LÉGISLATIF DÉLÉGUÉ
  • 3.4.1. Ordonnances de l'article 38
  • 3.4.1.1. Conditions de recours à l'article 38
  • 3.4.1.1.1. Demande d'habilitation

Etait déféré l'article 8 de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures autorisant le Gouvernement à prendre, par voie d'ordonnance, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme.
D'une part, l'article 34 de la Constitution place les principes fondamentaux des obligations civiles dans le domaine de la loi. D'autre part, l'habilitation conférée par les dispositions précitées à réformer par ordonnance le droit commun des contrats, le régime des obligations et le droit de la preuve est précisément définie dans son domaine et dans ses finalités. Par suite, cette habilitation ne méconnaît pas les exigences qui résultent de l'article 38 de la Constitution.

(2015-710 DC, 12 février 2015, cons. 5, JORF n°0040 du 17 février 2015 page 2969, texte n° 2)
  • 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
  • 3.4. POUVOIR LÉGISLATIF DÉLÉGUÉ
  • 3.4.1. Ordonnances de l'article 38
  • 3.4.1.4. Respect de la hiérarchie des normes

D'une part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions. D'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.
Lorsqu'il modifie, notamment à l'occasion de sa ratification, les dispositions d'une ordonnance entrées en vigueur, le législateur est tenu au respect de ces exigences.

(2015-710 DC, 12 février 2015, cons. 6, 7, JORF n°0040 du 17 février 2015 page 2969, texte n° 2)
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