Décision n° 2015-461 QPC du 24 avril 2015
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 janvier 2015 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n°363 du 20 janvier 2015), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour Mme Christine M., épouse C., par Me Elodie Maumont, avocat au barreau de Paris, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 du code de procédure pénale et du premier alinéa de l'article 698-2 du même code.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles ;
Vu la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la requérante par Me Maumont, enregistrées les 10 février et 4 mars 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 février 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Maumont pour la requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 avril 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 698-1 du code de procédure pénale figure dans le chapitre Ier du titre XI du livre IV de ce code, consacré à la poursuite, à l'instruction et au jugement des infractions militaires en temps de paix visées par les articles 697-1 et 697-4 dudit code ; qu'aux termes des premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 dans sa rédaction résultant de la loi du 13 décembre 2011 susvisée : « Sans préjudice de l'application de l'article 36, l'action publique est mise en mouvement par le procureur de la République territorialement compétent, qui apprécie la suite à donner aux faits portés à sa connaissance, notamment par la dénonciation du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui. À défaut de cette dénonciation, le procureur de la République doit demander préalablement à tout acte de poursuite, y compris en cas de réquisitoire contre personne non dénommée, de réquisitoire supplétif ou de réquisitions faisant suite à une plainte avec constitution de partie civile, sauf en cas de crime ou de délit flagrant, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui. Hormis le cas d'urgence, cet avis est donné dans le délai d'un mois. L'avis est demandé par tout moyen dont il est fait mention au dossier de la procédure.
« La dénonciation ou l'avis figure au dossier de la procédure, à peine de nullité, sauf si cet avis n'a pas été formulé dans le délai précité ou en cas d'urgence » ;
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 698-2 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 18 décembre 2013 susvisée : « L'action civile en réparation du dommage causé par l'une des infractions mentionnées au premier alinéa des articles 697-1 ou 697-4 appartient à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. L'action publique peut être mise en mouvement par la partie lésée dans les conditions déterminées aux articles 85 et suivants » ;
3. Considérant que, selon la requérante, les dispositions du premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale, en ne permettant pas à la victime d'un crime ou d'un délit commis sur le territoire de la République par un militaire dans l'exercice du service, à la différence de la victime d'un autre crime ou délit, de saisir la juridiction de jugement par la voie de la citation directe, méconnaissent tant le principe d'égalité devant la loi et la justice que le droit à un recours juridictionnel effectif ; que méconnaîtraient les mêmes principes les dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 du même code, qui imposent au ministère public, pour les infractions précédemment mentionnées, de solliciter l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui préalablement à tout acte de poursuite et, à défaut de sollicitation de cet avis, exposent la victime à un risque de nullité de la procédure ;
4. Considérant que les dispositions contestées de l'article 698-1 et de la première phrase du premier alinéa de l'article 698-2 s'appliquent, d'une part, aux crimes et délits commis en temps de paix sur le territoire de la République par les militaires dans l'exercice du service, d'autre part, aux crimes et délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci dans les cas prévus au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de justice militaire ; que celles de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 698-2 s'appliquent aux mêmes infractions à l'exception des délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci et sauf s'il s'agit de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; qu'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il ressort de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;
- SUR LE PREMIER ALINÉA DE L'ARTICLE 698-2 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :
7. Considérant qu'il résulte du premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale que la partie lésée ne peut mettre en mouvement l'action publique que par la voie de la constitution de partie civile devant le juge d'instruction ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter, en matière délictuelle, le risque de poursuites pénales abusives exercées par la voie de la citation directe en imposant une phase d'instruction préparatoire destinée, d'une part, à vérifier si les faits constituent une infraction et la suffisance des charges à l'encontre de la personne poursuivie et, d'autre part, à établir les circonstances particulières de la commission des faits ; que la partie lésée conserve la possibilité de mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile devant le juge d'instruction ou d'exercer l'action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l'origine de la poursuite ;
- SUR LES PREMIER ET DEUXIÈME ALINÉAS DE L'ARTICLE 698-1 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :
8. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'en imposant au ministère public de solliciter avant tout acte de poursuite, en cas de crime ou de délit visé par les articles 697-1 ou 697-4 du code de procédure pénale, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, le législateur a entendu garantir que puissent, le cas échéant, être portées à la connaissance de l'institution judiciaire les spécificités du contexte militaire des faits à l'origine de la poursuite ou des informations particulières relatives à l'auteur présumé eu égard à son état militaire ou à sa mission ; que, d'autre part, cet avis n'a pas à être demandé en cas de crime ou de délit flagrant ; qu'il ne lie pas le ministère public dans l'appréciation de la suite à donner aux faits ; que, figurant au dossier de la procédure, il peut être discuté par les parties ;
9. Considérant, en second lieu, qu'il ressort du deuxième alinéa de l'article 698-1 du code de procédure pénale que l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui figure au dossier de la procédure, à peine de nullité, sauf s'il n'a pas été formulé dans le délai d'un mois ou en cas d'urgence ; qu'en cas d'annulation de la procédure, les poursuites peuvent être reprises, après régularisation, par le ministère public, de la demande d'avis initialement omise ; qu'à défaut, la partie lésée conserve la possibilité soit de mettre en mouvement l'action publique dans les conditions déterminées aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, soit d'exercer l'action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l'origine de la poursuite ;
10. Considérant que, de ce qui précède, il résulte que la différence de traitement qui, pour la partie lésée par les infractions visées par les articles 697-1 et 697-4 du code de procédure pénale, résulte des dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 dudit code et du premier alinéa de l'article 698-2, ne procède pas de discriminations injustifiées et que sont assurées à la partie lésée des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ; que les dispositions contestées ne portent pas davantage d'atteinte substantielle à son droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction ; que, par suite, ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 et le premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 avril 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 24 avril 2015.
JORF n°0098 du 26 avril 2015 page 7354 texte n° 23
ECLI : FR : CC : 2015 : 2015.461.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
- 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
4.23.9.3. Champ d'application du principe
Le ministère public doit solliciter avant tout acte de poursuite, en cas de crime ou de délit visé par les articles 697-1 ou 697-4 du code de procédure pénale, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui. Il ressort du deuxième alinéa de l'article 698-1 du code de procédure pénale que l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui figure au dossier de la procédure, à peine de nullité, sauf s'il n'a pas été formulé dans le délai d'un mois ou en cas d'urgence. En cas d'annulation de la procédure, les poursuites peuvent être reprises, après régularisation, par le ministère public, de la demande d'avis initialement omise. À défaut, la partie lésée conserve la possibilité soit de mettre en mouvement l'action publique dans les conditions déterminées aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, soit d'exercer l'action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l'origine de la poursuite. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 698-1 du code de procédure pénale ne portent pas d'atteinte substantielle au droit de la partie lésée d'exercer un recours effectif devant une juridiction garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Les dispositions du premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale s'appliquent, d'une part, aux crimes et délits commis en temps de paix sur le territoire de la République par les militaires dans l'exercice du service, d'autre part, aux crimes et délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci dans les cas prévus au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de justice militaire. Celles de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 698-2 s'appliquent aux mêmes infractions à l'exception des délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci et sauf s'il s'agit de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises.
Il résulte du premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale que la partie lésée ne peut mettre en mouvement l'action publique que par la voie de la constitution de partie civile devant le juge d'instruction. En adoptant ces dispositions, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter, en matière délictuelle, le risque de poursuites pénales abusives exercées par la voie de la citation directe en imposant une phase d'instruction préparatoire destinée, d'une part, à vérifier si les faits constituent une infraction et la suffisance des charges à l'encontre de la personne poursuivie et, d'autre part, à établir les circonstances particulières de la commission des faits. La partie lésée conserve la possibilité de mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile devant le juge d'instruction ou d'exercer l'action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l'origine de la poursuite. Ces dispositions ne portent pas d'atteinte substantielle au droit de la partie lésée d'exercer un recours effectif devant une juridiction garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.2. ÉGALITÉ DEVANT LA JUSTICE
- 5.2.2. Égalité et droits - Garanties des justiciables
- 5.2.2.2. Égalité et règles de procédure
5.2.2.2.5. Procédures dérogatoires pour certaines infractions
En premier lieu, les dispositions du premier alinéa de l'article 698-1 du code de procédure pénale imposent au ministère public de solliciter avant tout acte de poursuite, en cas de crime ou de délit visé par les articles 697-1 ou 697-4 du code de procédure pénale, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui. Le législateur a ainsi entendu garantir que puissent, le cas échéant, être portées à la connaissance de l'institution judiciaire les spécificités du contexte militaire des faits à l'origine de la poursuite ou des informations particulières relatives à l'auteur présumé eu égard à son état militaire ou à sa mission. Cet avis n'a pas à être demandé en cas de crime ou de délit flagrant. Il ne lie pas le ministère public dans l'appréciation de la suite à donner aux faits. Figurant au dossier de la procédure, il peut être discuté par les parties.
En second lieu, il ressort du deuxième alinéa de l'article 698-1 du code de procédure pénale que l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui figure au dossier de la procédure, à peine de nullité, sauf s'il n'a pas été formulé dans le délai d'un mois ou en cas d'urgence. En cas d'annulation de la procédure, les poursuites peuvent être reprises, après régularisation, par le ministère public, de la demande d'avis initialement omise. A défaut, la partie lésée conserve la possibilité soit de mettre en mouvement l'action publique dans les conditions déterminées aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, soit d'exercer l'action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l'origine de la poursuite.
Ainsi, la différence de traitement qui, pour la partie lésée par les infractions visées par les articles 697-1 et 697-4 du code de procédure pénale, résulte des dispositions des premier et deuxième alinéas de l'article 698-1 dudit code, ne procède pas de discriminations injustifiées et sont assurées à la partie lésée des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
Les dispositions de la première phrase du premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale s'appliquent, d'une part, aux crimes et délits commis en temps de paix sur le territoire de la République par les militaires dans l'exercice du service, d'autre part, aux crimes et délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci dans les cas prévus au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de justice militaire. Celles de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 698-2 s'appliquent aux mêmes infractions à l'exception des délits commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci et sauf s'il s'agit de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises.
Il résulte du premier alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale que la partie lésée ne peut mettre en mouvement l'action publique que par la voie de la constitution de partie civile devant le juge d'instruction. En adoptant ces dispositions, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter, en matière délictuelle, le risque de poursuites pénales abusives exercées par la voie de la citation directe en imposant une phase d'instruction préparatoire destinée, d'une part, à vérifier si les faits constituent une infraction et la suffisance des charges à l'encontre de la personne poursuivie et, d'autre part, à établir les circonstances particulières de la commission des faits. La partie lésée conserve la possibilité de mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile devant le juge d'instruction ou d'exercer l'action civile pour obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à l'origine de la poursuite.
Ainsi, la différence de traitement qui, pour la partie lésée par les infractions visées par les articles 697-1 et 697-4 du code de procédure pénale, résulte des dispositions du premier alinéa de l'article 698-2, ne procède pas de discriminations injustifiées et sont assurées à la partie lésée des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.