Décision

Décision n° 2014-445 QPC du 29 janvier 2015

Société Thyssenkrupp Electrical Steel Ugo SAS [Exonération de taxes intérieures de consommation pour les produits énergétiques faisant l'objet d'un double usage]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 novembre 2014 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 1105 du 12 novembre 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Thyssenkrupp Electrical Steel Ugo SAS, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 265 C du code des douanes.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ;

Vu la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité ;

Vu le code des douanes ;

Vu la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Guy Lesourd, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 28 novembre et 22 décembre 2014 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 décembre 2014 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Lesourd, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 20 janvier 2015 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; que la société requérante a demandé la restitution des droits de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel qu'elle avait acquittés au titre de la période allant du 1er avril 2008 au 28 février 2011 ; qu'ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions de l'article 265 C du code des douanes dans ses versions successives applicables pendant cette période ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 265 C du code des douanes, dans sa version issue de la loi du 25 décembre 2007 : « I.- Les produits énergétiques mentionnés à l'article 265 ne sont pas soumis aux taxes intérieures de consommation :
« 1 ° Lorsqu'il s'agit de produits repris aux codes NC 4401 et 4402 de la nomenclature douanière ;
« 2 ° Lorsqu'ils font l'objet d'un double usage, c'est-à-dire lorsqu'ils sont utilisés à la fois comme combustible et pour des usages autres que carburant ou combustible. Sont notamment considérés comme produits à double usage les combustibles utilisés dans des procédés métallurgiques ou de réduction chimique. Le bénéfice de la présente mesure est limité aux seules quantités de produits énergétiques utilisés pour ce double usage ;
« 3 ° Lorsqu'ils sont utilisés dans un procédé de fabrication de produits minéraux non métalliques, classé dans la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne, telle qu'elle résulte du règlement (CE) n° 1893/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 établissant la nomenclature statistique des activités économiques NACE Rév. 2 et modifiant le règlement (CEE) n° 3037/90 du Conseil ainsi que certains règlements (CE) relatifs à des domaines statistiques spécifiques, sous la division 23.
« II.- Les modalités d'application du I ainsi que les modalités du contrôle de la destination des produits et de leur affectation aux usages qui y sont mentionnés sont fixées par décret.
« III.- La consommation de produits énergétiques réalisée dans l'enceinte des établissements de production de produits énergétiques n'est pas soumise aux taxes intérieures de consommation mentionnées aux articles 265 et 266 quater lorsque cette consommation est effectuée pour la production des produits énergétiques eux-mêmes ou pour la production de tout ou partie de l'énergie nécessaire à leur fabrication » ;

3. Considérant que le paragraphe IX de l'article 23 de la loi du 7 décembre 2010 susvisée a complété le second alinéa du 2 ° du paragraphe I de l'article 265 C pour mentionner au titre des produits faisant l'objet d'un « double usage » qui sont exonérés de certaines taxes intérieures de consommation les combustibles utilisés dans des procédés « d'électrolyse » ;

4. Considérant que, selon la société requérante, en renvoyant à un décret le soin de préciser les produits énergétiques faisant l'objet d'un « double usage » qui ouvrent droit à une exonération des taxes intérieures de consommation sur le fondement de l'article 265 C du code des douanes et en ne précisant pas les critères donnant lieu à la qualification de produit faisant l'objet d'un « double usage », le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre, au principe d'égalité devant l'impôt et à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;

5. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du 2 ° du paragraphe I et du paragraphe II de l'article 265 C du code des douanes ;

6. Considérant que la qualification de produit faisant l'objet d'un « double usage » au sens des dispositions du 2 ° du paragraphe I de l'article 265 C du code des douanes, dans ses versions issues des lois du 26 décembre 2007 et du 7 décembre 2010, ouvre droit à exonération de la taxe intérieure de consommation instituée à l'article 265 du même code ; qu'en vertu des dispositions du 2 ° du 4 de l'article 266 quinquies et du b) du 1 ° du 4 de l'article 266 quinquies B de ce code, elle ouvre également droit à exonération de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel et de la taxe intérieure de consommation sur le charbon ;

7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures... » ;

9. Considérant que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'il s'ensuit que doit être écarté le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant au décret le soin de fixer des règles relatives à l'assiette des taxes intérieures de consommation dont un contribuable peut être exonéré lorsqu'un produit énergétique fait l'objet d'un « double usage » au sens du 2 ° du paragraphe I de l'article 265 C du code des douanes ;

10. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont en tout état de cause pas inintelligibles, ne sont contraires à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de l'article 265 C du code des douanes :

  • le 2 ° du paragraphe I, dans sa version issue de l'article 62 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 et dans celle issue de l'article 23 de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité ;
  • le paragraphe II.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 janvier 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 29 janvier 2015.

JORF n°0026 du 31 janvier 2015 page 1502, texte n° 97
ECLI : FR : CC : 2015 : 2014.445.QPC

Les abstracts

  • 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
  • 3.2. CONDITIONS DE RECOURS À LA LOI
  • 3.2.2. Champ d'application de la loi
  • 3.2.2.4. Impositions de toutes natures

La méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Il s'ensuit que doit être écarté le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant au décret le soin de fixer des règles relatives à l'assiette des taxes intérieures de consommation dont un contribuable peut être exonéré lorsqu'un produit énergétique fait l'objet d'un « double usage » au sens du 2° du paragraphe I de l'article 265 C du code des douanes.

(2014-445 QPC, 29 janvier 2015, cons. 9, JORF n°0026 du 31 janvier 2015 page 1502, texte n° 97)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.1. NOTION DE " DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT " (art. 61-1)
  • 4.1.4. Constitution du 4 octobre 1958
  • 4.1.4.3. Article 34

La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

(2014-445 QPC, 29 janvier 2015, cons. 7, JORF n°0026 du 31 janvier 2015 page 1502, texte n° 97)

La méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.

(2014-445 QPC, 29 janvier 2015, cons. 9, JORF n°0026 du 31 janvier 2015 page 1502, texte n° 97)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.2. Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel
  • 11.6.2.2. Applicable au litige ou à la procédure ou fondement des poursuites

La question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La société requérante a demandé la restitution des droits de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel qu'elle avait acquittés au titre de la période allant du 1er avril 2008 au 28 février 2011. Ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions de l'article 265 C du code des douanes dans ses versions successives applicables pendant cette période.

(2014-445 QPC, 29 janvier 2015, cons. 1, JORF n°0026 du 31 janvier 2015 page 1502, texte n° 97)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel

La Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 265 C du code des douanes. Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée, c'est-à-dire sur les dispositions de l'article 265 C du code des douanes dans ses versions successives applicables pendant la période allant du 1er avril 2008 au 28 février 2011. Le Conseil constitutionnel juge également que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du 2° du paragraphe I et du paragraphe II de l'article 265 C du code des douanes.

(2014-445 QPC, 29 janvier 2015, cons. 1, 5, JORF n°0026 du 31 janvier 2015 page 1502, texte n° 97)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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