Décision n° 2014-400 QPC du 6 juin 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 avril 2014 par le Conseil d'État (décision n° 375088 du 9 avril 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Orange SA, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par CMS Bureau Francis Lefebvre, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 2 mai et 16 mai 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 mai 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Stéphane Austry, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 27 mai 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales : « Lorsque le tribunal administratif rejette totalement ou partiellement la demande d'un contribuable tendant à obtenir l'annulation ou la réduction d'une imposition établie en matière d'impôts directs à la suite d'une rectification ou d'une taxation d'office, les cotisations ou fractions de cotisations maintenues à la charge du contribuable et pour lesquelles celui-ci avait présenté une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires au taux de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Ces intérêts moratoires ne sont pas dus sur les cotisations ou fractions de cotisations d'impôts soumises à l'intérêt de retard mentionné à l'article 1727 du code général des impôts.
« Ces dispositions sont également applicables en cas de désistement du contribuable auprès de la juridiction saisie.
« Sur demande justifiée du contribuable, le montant des intérêts moratoires est réduit du montant des frais éventuellement engagés pour la constitution des garanties propres à assurer le recouvrement des impôts contestés.
« Les intérêts courent du premier jour du treizième mois suivant celui de la date limite de paiement jusqu'au jour du paiement effectif des cotisations. Ils sont recouvrés dans les mêmes conditions et sous les mêmes garanties, sûretés et privilèges que les impositions auxquelles ils s'appliquent » ;
2. Considérant que, lorsqu'un tribunal administratif rejette la demande d'un contribuable qui avait sollicité le sursis de paiement des impositions contestées et avait constitué des garanties pour en assurer le recouvrement, les dispositions contestées permettent au contribuable d'imputer les frais engagés à cette fin sur les intérêts « moratoires » mis à sa charge du fait du retard de paiement des impositions induit par le sursis ; qu'en revanche, ces dispositions excluent une telle imputation lorsque le contribuable est redevable non pas des intérêts « moratoires » mais des intérêts « de retard » prévus par l'article 1727 du code général des impôts ;
3. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions contestées créent ainsi une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur et portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « la Loi. . . doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant que le retard de paiement d'une imposition donne notamment lieu à l'application d'intérêts « moratoires », prévue par l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, ou d'intérêts « de retard » en vertu de l'article 1727 du code général des impôts ; que les majorations ainsi instituées ont pour objet la compensation du préjudice subi par l'État du fait du paiement tardif des impôts ;
7. Considérant que le législateur a prévu la possibilité d'obtenir l'imputation des frais de constitution de garanties engagés par le contribuable lors de la demande de sursis de paiement d'impositions directes pour lesquelles le rejet de la contestation par le tribunal administratif ou le désistement du contribuable a pour conséquence la mise à la charge de ce dernier d'intérêts « moratoires » ; qu'il a ainsi entendu permettre que ces frais ne soient pas maintenus à la charge du contribuable lorsque ce dernier s'acquitte de sa dette fiscale ;
8. Considérant qu'en réservant la possibilité d'une imputation du montant des frais de constitution de garanties aux seuls cas où le terme du sursis de paiement de l'imposition contestée a pour conséquence l'application des intérêts « moratoires », à l'exclusion de ceux où sont applicables des intérêts « de retard », le législateur a traité différemment des contribuables qui, à l'occasion de la contestation d'une imposition, ont constitué des garanties pour obtenir un sursis de paiement de l'imposition contestée ; que cette différence de traitement est sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur ; que, par suite, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ; qu'elles doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
10. Considérant, d'une part, que l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales aura pour effet, en faisant disparaître l'inconstitutionnalité constatée, de supprimer la faculté reconnue aux contribuables ayant demandé un sursis de paiement à l'occasion de certains contentieux fiscaux d'obtenir l'imputation des frais de garanties ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; que, par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité ;
11. Considérant, d'autre part, qu'afin de préserver l'effet utile de la présente décision, notamment à la solution des instances actuellement en cours, les frais de constitution de garanties engagés à l'occasion d'une demande de sursis de paiement formulée en application du premier alinéa de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, avant le 1er janvier 2015 sont imputables soit sur les intérêts « moratoires » prévus par l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, soit sur les intérêts « de retard » prévus par l'article 1727 du code général des impôts dus en cas de rejet, par la juridiction saisie, de la contestation de l'imposition,
D É C I D E :
Article 1er.- Le troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux considérants 10 et 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juin 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 6 juin 2014.
JORF du 8 juin 2014 page 9674, texte n° 30
ECLI : FR : CC : 2014 : 2014.400.QPC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.6. Violation du principe d'égalité
5.1.6.13. Droit fiscal
Le retard de paiement d'une imposition donne notamment lieu à l'application d'intérêts « moratoires », prévue par l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, ou d'intérêts « de retard » en vertu de l'article 1727 du code général des impôts. Les majorations ainsi instituées ont pour objet la compensation du préjudice subi par l'État du fait du paiement tardif des impôts.
Au troisième alinéa de l'article L.209 du livre des procédures fiscales, le législateur a prévu la possibilité d'obtenir l'imputation des frais de constitution de garanties engagés par le contribuable lors de la demande de sursis de paiement d'impositions directes pour lesquelles le rejet de la contestation par le tribunal administratif ou le désistement du contribuable a pour conséquence la mise à la charge de ce dernier d'intérêts « moratoires ». Il a ainsi entendu permettre que ces frais ne soient pas maintenus à la charge du contribuable lorsque ce dernier s'acquitte de sa dette fiscale.
En réservant la possibilité d'une imputation du montant des frais de constitution de garanties aux seuls cas où le terme du sursis de paiement de l'imposition contestée a pour conséquence l'application des intérêts « moratoires », à l'exclusion de ceux où sont applicables des intérêts « de retard », le législateur a traité différemment des contribuables qui, à l'occasion de la contestation d'une imposition, ont constitué des garanties pour obtenir un sursis de paiement de l'imposition contestée. Cette différence de traitement est sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur. Par suite, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales méconnaissent le principe d'égalité devant la loi. Censure.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
Lorsqu'un tribunal administratif rejette la demande d'un contribuable qui avait sollicité le sursis de paiement des impositions contestées et avait constitué des garanties pour en assurer le recouvrement, les dispositions de l'article L.209 du livre des procédures fiscales permettent au contribuable d'imputer les frais engagés à cette fin sur les intérêts « moratoires » mis à sa charge du fait du retard de paiement des impositions induit par le sursis. En revanche, ces dispositions excluent une telle imputation lorsque le contribuable est redevable non pas des intérêts « moratoires » mais des intérêts « de retard » prévus par l'article 1727 du code général des impôts. Selon la société requérante, les dispositions de l'article L.209 créent ainsi une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur et portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.
Le Conseil constitutionnel restreint la question prioritaire de constitutionnalité au seul troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, relatif à l'imputation des frais de constitution de garanties sur les intérêts moratoires, à l'exclusion des autres dispositions de l'article L.209, relatives au régime des intérêts moratoires.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.2. Abrogation reportée dans le temps
L'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales aura pour effet, en faisant disparaître l'inconstitutionnalité constatée, de supprimer la faculté reconnue aux contribuables ayant demandé un sursis de paiement à l'occasion de certains contentieux fiscaux d'obtenir l'imputation des frais de garanties. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.3. Réserve
11.8.6.2.3.2. Réserve transitoire avant abrogation
Il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité. Toutefois, afin de préserver l'effet utile de la présente décision, notamment à la solution des instances actuellement en cours, les frais de constitution de garanties engagés à l'occasion d'une demande de sursis de paiement formulée en application du premier alinéa de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, avant le 1er janvier 2015, sont imputables soit sur les intérêts « moratoires » prévus par l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, soit sur les intérêts « de retard » prévus par l'article 1727 du code général des impôts dus en cas de rejet, par la juridiction saisie, de la contestation de l'imposition.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.4. Effets produits par la disposition abrogée
- 11.8.6.2.4.2. Remise en cause des effets
11.8.6.2.4.2.1. Pour les instances en cours ou en cours et à venir
Il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité. Toutefois, afin de préserver l'effet utile de la décision, notamment à la solution des instances actuellement en cours, les frais de constitution de garanties engagés à l'occasion d'une demande de sursis de paiement formulée en application du premier alinéa de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, avant le 1er janvier 2015 sont imputables soit sur les intérêts « moratoires » prévus par l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, soit sur les intérêts « de retard » prévus par l'article 1727 du code général des impôts dus en cas de rejet, par la juridiction saisie, de la contestation de l'imposition.