Décision n° 2013-4888 AN du 24 mai 2013
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la décision en date du 6 mars 2013, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 11 mars 2013 sous le numéro 2013-4888 AN, par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques saisit le Conseil constitutionnel de la situation de Mme Khadija DOUKALI, demeurant à Casablanca (Maroc), candidate aux élections qui se sont déroulées en juin 2012 dans la 9ème circonscription des Français établis hors de France pour l'élection d'un député à l'Assemblée nationale ;
Vu les observations présentées pour Mme DOUKALI par Me Philippe Blanchetier, avocat au barreau de Paris, enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 26 mars 2013 et le 12 avril 2013 ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu la Constitution, notamment son article 59 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral, notamment ses articles L.O. 136-1, L. 330-6-1, L. 52-4, L. 52-6 et L. 52-12 ;
Vu le décret n° 2011-843 du 15 juillet 2011 relatif à l'élection de députés par les Français établis hors de France ;
Vu l'arrêté du 5 octobre 2011 pris pour l'application de l'article L. 330-6-1 du code électoral ;
Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant, qu'aux termes des quatre premiers alinéas de l'article L.O. 136-1 du code électoral : « Saisi d'une contestation formée contre l'élection ou dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 52-15, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales.
« Saisi dans les mêmes conditions, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12.
« Il prononce également l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales.
« L'inéligibilité déclarée sur le fondement des trois premiers alinéas du présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections. Toutefois, elle n'a pas d'effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision » ;
2. Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 52-4 du même code : « Tout candidat à une élection déclare un mandataire conformément aux articles L. 52-5 et L. 52-6 au plus tard à la date à laquelle sa candidature est enregistrée.. . . - Le mandataire recueille, pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne. - Il règle les dépenses engagées en vue de l'élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l'exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique. Les dépenses antérieures à sa désignation payées directement par le candidat ou à son profit font l'objet d'un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte bancaire ou postal » ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-6 du même code : « Le mandataire financier est tenu d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières » ; qu'aux termes du paragraphe II de l'article L. 330-7 du même code : « Pour l'application de l'article L. 52-6. . . Le compte unique mentionné au deuxième alinéa est ouvert en France » ;
3. Considérant, toutefois, que l'article L. 330-6-1 du même code dispose, dans le cadre spécifique de l'élection de députés par les Français établis hors de France, que : « Par dérogation à l'article L. 52-4, le mandataire peut autoriser par écrit une personne par pays de la circonscription, autre que le candidat ou son suppléant, à régler des dépenses mentionnées dans l'autorisation. Ces dépenses sont remboursées par le mandataire. Les autorisations sont annexées au compte de campagne.
« En outre, dans les pays où la monnaie n'est pas convertible, dans ceux où les transferts financiers en France sont impossibles et dans ceux où existe un contrôle des changes faisant obstacle en tout ou partie aux transferts nécessaires aux dépenses électorales, la personne autorisée mentionnée au premier alinéa peut, avec l'accord du mandataire, ouvrir un compte spécial dans le pays concerné pour y déposer les fonds collectés pour la campagne. Dans la limite des fonds disponibles, les dépenses mentionnées dans l'autorisation sont réglées à partir de ce compte spécial.
« Toutes les informations relatives à ces comptes et aux justificatifs des mouvements enregistrés sont transmises au mandataire du candidat pour être annexées au compte de campagne.
« Un décret en Conseil d'État détermine, en tant que de besoin, les modalités d'application du présent article » ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article 1er du décret du 15 juillet 2011 susvisé pris pour l'application de ces dispositions, qui a introduit au sein du même code l'article R. 175-1, il appartient au ministre de l'intérieur et au ministre des affaires étrangères de définir par arrêté conjoint la liste des pays dans lesquels est offerte à la personne autorisée par le mandataire financier du candidat la faculté d'ouvrir un compte spécial ; que l'arrêté du 5 octobre 2011, pris sur ce fondement, a prévu qu'une telle faculté était ouverte, au sein de la 9ème circonscription des Français établis hors de France, en Algérie, Côte d'Ivoire, Gambie, Guinée, Libye, Maroc, Sénégal, Sierra Leone, Tunisie ;
5. Considérant que le compte de campagne de Mme DOUKALI, candidate aux élections qui se sont déroulées les 3 et 17 juin 2012 en vue de la désignation d'un député dans la 9ème circonscription des Français établis hors de France, a été rejeté par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dans sa décision du 6 mars 2013 au motif que le mandataire financier a procédé à l'ouverture de deux comptes bancaires, l'un en France, l'autre au Maroc, ces deux comptes ayant fonctionné de façon concomitante ;
6. Considérant que l'ouverture d'un compte spécial, destiné à recevoir des fonds collectés pour la campagne et à régler des dépenses exposées par le candidat, est soumise aux dispositions de l'article L. 330-6-1 ; que l'ouverture d'un compte spécial n'est autorisée que si le pays dans lequel ce compte est ouvert figure dans la liste annexée à l'arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères auquel renvoie l'article R. 175-1 ; que le Maroc est mentionné dans la liste annexée à l'arrêté du 5 octobre 2011 pris pour l'application de ces dispositions ; que, toutefois, les dispositions de l'article L. 330-6-1 ne permettent pas l'ouverture d'un compte spécial directement par le mandataire financier mais par une personne qu'il désigne ; que le mandataire financier de Mme DOUKALI a procédé directement à l'ouverture du compte spécial au Maroc ; que c'est donc à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de Mme DOUKALI ;
7. Considérant qu'eu égard au caractère substantiel de l'obligation méconnue, dont Mme DOUKALI ne pouvait ignorer la portée, il y a lieu, en application de l'article L.O. 136-1 du code électoral, de prononcer l'inéligibilité de Mme DOUKALI à tout mandat pour une durée d'un an à compter de la date de la présente décision,
D É C I D E :
Article 1er.- Mme Khadija DOUKALI est déclarée inéligible en application de l'article L.O. 136-1 du code électoral pour une durée d'un an à compter de la présente décision.
Article 2.- La présente décision sera notifiée à Mme DOUKALI et au président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 mai 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 24 mai 2013.
JORF du 29 mai 2013 page 8859, texte n° 127
Recueil, p. 797
ECLI : FR : CC : 2013 : 2013.4888.AN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.5. Financement
- 8.3.5.1. Mandataire financier
8.3.5.1.4. Circonscriptions des Français établis hors de France
Rejet du compte de campagne par la CNCCFP au motif que le mandataire financier a procédé à l'ouverture de deux comptes bancaires, l'un en France, l'autre au Maroc, ces deux comptes ayant fonctionné de façon concomitante.
L'ouverture d'un compte spécial, destiné à recevoir des fonds collectés pour la campagne et à régler des dépenses exposées par le candidat, est soumise aux dispositions de l'article L. 330-6-1 du code électoral. L'ouverture d'un compte spécial n'est autorisée que si le pays dans lequel ce compte est ouvert figure dans la liste annexée à l'arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères auquel renvoie l'article R. 175-1. Le Maroc est mentionné dans la liste annexée à l'arrêté du 5 octobre 2011 pris pour l'application de ces dispositions.
Toutefois, les dispositions de l'article L. 330-6-1 ne permettent pas l'ouverture d'un compte spécial directement par le mandataire financier mais par une personne qu'il désigne. Le mandataire financier de Mme DOUKALI a procédé directement à l'ouverture du compte spécial au Maroc. Rejet à bon droit. Inéligibilité de Mme DOUKALI à tout mandat pour une durée d'un an.