Décision

Décision n° 2013-345 QPC du 27 septembre 2013

Syndicat national Groupe Air France CFTC [Communication syndicale par voie électronique dans l'entreprise]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 juillet 2013 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1553 du 11 juillet 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par le Syndicat national Groupe Air France CFTC, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2142-6 du code du travail.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code du travail ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la société Air France, partie en défense par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 août 2013 ;

Vu les observations produites pour le syndicat requérant par Me François Pinatel, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 août 2013 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 août 2013 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Éric Slupowski, avocat au barreau de Paris, pour le demandeur, Me Didier Le Prado, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 17 septembre 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2142-6 du code du travail : « Un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail » ;
« L'accord d'entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message » ;

2. Considérant que, selon le syndicat requérant, en soumettant à l'accord de l'employeur le droit des syndicats à communiquer avec les salariés soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise, ces dispositions portent une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'expression des syndicats ;

3. Considérant qu'aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; que le huitième alinéa de ce Préambule dispose : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par la Constitution, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'en renvoyant à un accord d'entreprise la définition des conditions dans lesquelles des publications et tracts de nature syndicale peuvent être mis à disposition soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise, le législateur a entendu, dans le cadre de la mise en oeuvre du principe de participation énoncé au huitième alinéa du Préambule de 1946, permettre que les modalités de la communication syndicale par la voie électronique puissent être adaptées à chaque entreprise et, en particulier, à l'organisation du travail et à l'état du développement de ses moyens de communication ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'en prévoyant, d'une part, que la diffusion de l'information syndicale par la voie électronique doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail et, d'autre part, que les modalités de cette diffusion doivent préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message, le législateur a adopté des mesures pour assurer le respect des libertés tant de l'employeur que des salariés ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'en l'absence d'accord d'entreprise relatif à l'utilisation de l'intranet ou de la messagerie électronique de l'entreprise, les syndicats peuvent, outre l'application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2142-3 du code du travail et de son article L. 2142-4, librement diffuser des publications et tracts sur les réseaux de communication au public en ligne ; que les salariés peuvent également librement y accéder sur ces réseaux ; qu'ils peuvent s'inscrire sur des listes de diffusion afin de recevoir par voie électronique les publications et tracts syndicaux ; que, dans ces conditions, la liberté de communication des syndicats n'est pas méconnue ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, par les dispositions contestées, le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la liberté de communication des syndicats et, d'autre part, la liberté tant de l'employeur que des salariés ; que les dispositions de l'article L. 2142-6 du code du travail, qui ne méconnaissent ni la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article L. 2142-6 du code du travail est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 27 septembre 2013.

JORF du 1 octobre 2013 page 16307, texte n° 66
Recueil, p. 948
ECLI : FR : CC : 2013 : 2013.345.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
  • 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
  • 4.9.1.2. Liberté de négociation collective (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
  • 4.9.1.2.4. Répartition des compétences normatives pour réglementer la négociation collective
  • 4.9.1.2.4.2. Rôle du pouvoir réglementaire et des partenaires sociaux

En renvoyant à un accord d'entreprise la définition des conditions dans lesquelles des publications et tracts de nature syndicale peuvent être mis à disposition soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise, le législateur, en adoptant l'article L. 2142-6 du code du travail, a entendu, dans le cadre de la mise en œuvre du principe de participation énoncé au huitième alinéa du Préambule de 1946, permettre que les modalités de la communication syndicale par la voie électronique puissent être adaptées à chaque entreprise et, en particulier, à l'organisation du travail et à l'état du développement de ses moyens de communication.

(2013-345 QPC, 27 septembre 2013, cons. 4, JORF du 1 octobre 2013 page 16307, texte n° 66)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
  • 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
  • 4.9.1.3. Liberté syndicale (alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946)
  • 4.9.1.3.2. Liberté syndicale collective
  • 4.9.1.3.2.1. Liberté d'action du syndicat

En l'absence d'accord d'entreprise relatif à l'utilisation de l'intranet ou de la messagerie électronique de l'entreprise, les syndicats peuvent, outre l'application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2142-3 du code du travail et de son article L. 2142-4, librement diffuser des publications et tracts sur les réseaux de communication au public en ligne. Les salariés peuvent également librement y accéder sur ces réseaux. Ils peuvent s'inscrire sur des listes de diffusion afin de recevoir par voie électronique les publications et tracts syndicaux. Dans ces conditions, la liberté de communication des syndicats n'est pas méconnue.
En adoptant l'article L. 2142-6 du code du travail, le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la liberté de communication des syndicats et, d'autre part, la liberté tant de l'employeur que des salariés.

(2013-345 QPC, 27 septembre 2013, cons. 6, 7, JORF du 1 octobre 2013 page 16307, texte n° 66)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
  • 4.21.2. Liberté d'entreprendre
  • 4.21.2.5. Conciliation du principe
  • 4.21.2.5.3. Avec des exigences de droit social

Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ". Le huitième alinéa de ce Préambule dispose : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". Aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ". Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par la Constitution, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
En l'absence d'accord d'entreprise relatif à l'utilisation de l'intranet ou de la messagerie électronique de l'entreprise, les syndicats peuvent, outre l'application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2142-3 du code du travail et de son article L. 2142-4, librement diffuser des publications et tracts sur les réseaux de communication au public en ligne. Les salariés peuvent également librement y accéder sur ces réseaux. Ils peuvent s'inscrire sur des listes de diffusion afin de recevoir par voie électronique les publications et tracts syndicaux. Dans ces conditions, la liberté de communication des syndicats n'est pas méconnue.
En adoptant l'article L. 2142-6 du code du travail, le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la liberté de communication des syndicats et, d'autre part, la liberté tant de l'employeur que des salariés.

(2013-345 QPC, 27 septembre 2013, cons. 3, 6, 7, JORF du 1 octobre 2013 page 16307, texte n° 66)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
  • 4.21.2. Liberté d'entreprendre
  • 4.21.2.5. Conciliation du principe
  • 4.21.2.5.4. Avec des règles, principes ou objectifs de valeur constitutionnelle

Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ". Le huitième alinéa de ce Préambule dispose : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". Aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ". Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par la Constitution, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
En prévoyant, d'une part, que la diffusion de l'information syndicale par la voie électronique doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail et, d'autre part, que les modalités de cette diffusion doivent préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message, le législateur a adopté des mesures pour assurer le respect des libertés tant de l'employeur que des salariés.

(2013-345 QPC, 27 septembre 2013, cons. 3, 5, JORF du 1 octobre 2013 page 16307, texte n° 66)
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